Un rabbin défend Pie XII

Le rabbin américain David Dalin, qui est aussi professeur d’université, publie une étude historique très dense pour défendre Pie XII. Un livre-événement publié chez un tout jeune éditeur catholique, au moment même où l’on évoque à nouveau la possible béatification de ce pape et où Andrea Tornelli publie en Italie un livre qui va dans le même sens, Pie XII, Eugenio Pacelli. Un homme sur le trône de Pierre.

L’édition américaine du livre porte en sous-titre : « Comment le pape Pie XII a sauvé les Juifs des nazis ». En réalité, s’il traite bien de ce sujet, avec de nombreux faits à l’appui, le rabbin Dalin élargit son étude, en amont et en aval.
Il ne se contente pas de montrer que Pie XII n’a pas été « silencieux » face au massacre des Juifs par Hitler. À l’encontre des auteurs qui estiment que le prétendu « silence » de Pie XII trouve son origine dans un antisémitisme qui serait « au cœur du catholicisme », David Dalin consacre un chapitre complet aux « papes qui défendirent les Juifs ».
Le grand historien Cecil Roth, qui fut titulaire de la chaire d’Histoire juive à Oxford de 1939 à 1964, avait montré que la Rome pontificale avait été, de tout temps, la seule capitale européenne « où ne se sont jamais produites d’atrocités perpétrées contre des juifs ». David Dalin fait remonter cette tradition de protection des Juifs au pape Grégoire Ier (590-604). Le décret historique qu’il publia, Sicut Judaeis, interdisait « d’avilir les Juifs » et les autorisait « à vivre en tant que Romains et à avoir les pleins droits sur leurs biens. »
On trouvera, dans le livre de Dalin, bien d’autres faits de cette protection pontificale à travers les siècles. Auraient pu être signalées aussi, en parallèle, les œuvres des papes pour favoriser la conversion des Juifs.
Dans l’entre-deux guerres, qui voit l’antisémitisme intégré dans des politiques étatiques, la papauté est dans la continuité de ce refus de la persécution. David Dalin cite à juste titre le décret de 1928 par lequel Pie XI condamnait « particulièrement, et sans réserve, la haine envers le peuple qui fut choisi par Dieu, haine communément appelée antisémitisme ». Il y aura aussi, toujours sous le pontificat de Pie XI, l’encyclique Mit brennender Sorge (1937), encyclique de condamnation du racisme hitlérien, dont la rédaction fut mise au point par le cardinal Pacelli (le futur Pie XII), mais dont la première rédaction fut élaborée par certains évêques allemands.

Pie XII face à la Shoah

Un des ouvrages les plus virulents contre Pie XII est celui de John Cornwell, intitulé The Hitler’s pope (« Le pape d’Hitler »). Cornwell voyait dans le concordat signé par le Saint-Siège, en 1933, avec l’Allemagne, la première manifestation publique de cet appui donné à Hitler. Le Concordat, signé par Pie XI quelques mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, avait été préparé par le cardinal Pacelli, secrétaire d’État. David Dalin montre bien que ce concordat n’était point une soumission politique au nouveau régime, mais « au contraire, une mesure diplomatique réaliste, moralement juste, destinée à protéger les catholiques allemands et à préserver la relative liberté et l’Église catholique en Allemagne. »
Quand Hitler violera ce Concordat et multipliera les pressions puis les persécutions contre les catholiques allemands, Pie XI et son Secrétaire d’État multiplieront les protestations publiques ou par la voie diplomatique (des dizaines de dépêches et de notes de protestation, parfois très longues, ont été envoyées par le Saint-Siège entre 1930 et 1939).
Les esprits honnêtes ne s’y sont pas trompés. Au lendemain de la mort de Pie XI, en février 1939, le National Jewish Monthly, périodique de grande influence publié par le B’nai Brith américain, saluera « la position ferme et inflexible du pape Pie XI contre la brutalité fasciste, le paganisme et les théories raciales. »
Une partie importante du livre est consacrée, bien sûr, à l’action de Pie XII en faveur des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Les onze tomes des Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale publiés par le Saint-Siège avaient déjà rendu notoires les instructions envoyées par le Saint-Siège aux représentants du pape en Slovaquie, en Roumanie et en Hongrie pour qu’ils interviennent contre des déportations imminentes de Juifs par les Allemands. Mais ces Actes sont peu connus voire ignorés par de nombreux auteurs.
Les interventions personnelles de Pie XII sont nombreuses, et bien connues déjà par d’autres livres. On citera, notamment, en octobre 1943, les ordres donnés pour que les couvents et institutions religieuses de Rome accueillent les Juifs que les Allemands commençaient à rafler. Dalin estime : « Cent cinquante-cinq couvents et monastères de Rome en abritèrent quelque cinq mille ».
Pie XII a dû moduler son action et ses interventions en fonction des circonstances. David Dalin écrit justement : « Il fallait que le pape pèse ses mots afin de ne pas mettre en danger la vie des milliers de Juifs cachés dans le Vatican, dans de nombreux couvents, monastères et églises de Rome, et dans les églises et institutions catholiques à travers l’Italie. Il se devait, quand il parlait, de ne pas mettre en danger la vie du clergé catholique, des religieux et des laïcs qui s’efforçaient de sauver des Juifs. Et, bien sûr, il lui fallait éviter de provoquer les Nazis pour qu’ils n’envoient pas davantage encore de prêtres en camp de concentration. »
Dans la dernière partie de son livre, le rabbin Dalin expose, en contrepoint, ce qu’il pense être la source la plus dangereuse de l’antisémitisme contemporain : l’Islam. Ces pages peuvent être contestées dans certains de leurs aspects et elles auraient pu faire l’objet d’un autre livre.
Reste que le livre courageux et bien informé du rabbin Dalin dans sa défense de l’action de Pie XII offre une synthèse argumentée et riche en informations historiques.
David Dalin, Pie XII et les Juifs. Le Mythe du Pape d’Hitler, Éditions Tempora, 2007, 240 pages, 19,90 euros.