Une leçon de démocratie

En politique, les bonnes nouvelles sont suffisamment rares pour que nous ne boudions pas notre plaisir après le vote britannique favorable au Brexit le 23 juin dernier. Il s’agit d’un événement d’une immense portée, puisque c’est la première fois qu’un véritable coup d’arrêt est porté à la « construction européenne » qui s’élabore depuis trente ans contre les peuples du vieux continent. Certes, il y avait eu le référendum de Maastricht sur la monnaie unique en 1992 qui était passé d’extrême justesse et qui aurait dû alerter nos eurocrates ; il y a surtout eu le rejet clair et net de la Constitution européenne en 2005 (en France et aux Pays-Bas) qui aurait dû stopper la machine mais que nos politiques ont superbement méprisé et finalement ignoré.

Cette fois-ci, le résultat est incontournable et crée un précédent historique : il est possible de sortir de cette Europe-là et l’on verra que, malgré les menaces et discours catastrophistes ressassés à l’envi avec une démagogie aussi absurde qu’enfantine par les partisans du Remain, le retrait britannique ne conduira à rien de tel, il montrera au contraire, qu’à l’instar de la Suisse ou de la Norvège, il y a aujourd’hui plus d’avantages que d’inconvénients à être en-dehors de cette Union européenne, moloch bureaucratique ouvert à tous les vents qui confisque la démocratie et sape les nations.

UN AVERTISSEMENT ASSEZ CLAIR

De ce vote outre-Manche, il y a des leçons à tirer que nos politiques feraient bien d’intégrer s’ils en sont encore capables, tant l’idéologie européiste les aveugle.

Dès l’origine, l’Europe s’est élaborée sur une ambiguïté. Jean Monnet était clairement fédéraliste et les pères fondateurs chrétiens – Schuman, Adenauer, De Gasperi – assez peu clairs, tandis que le général de Gaulle, arrivé au pouvoir après la création de la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, affirmait nettement la primauté nationale contre toute évolution fédéraliste : par le « compromis de Luxembourg », il avait réussi à imposer un droit de veto qui sauvegardait la souveraineté des nations. Mais cet acquis fut peu à peu défait par ses successeurs et l’Europe prit à nouveau une direction supranationale avec l’Acte unique (1986) et ses suites… Le problème est que jamais, et nulle part, les peuples ne furent réellement informés et consultés des orientations « fédéralistes » prises par une toute petite élite politico-bureaucratique qui savait bien mieux que le peuple ce qu’il voulait et où était son bien. Pire, les signes étaient assez évidents depuis longtemps que les peuples ne voulaient pas s’engager dans cette voie, qu’ils demeuraient attachés à une certaine souveraineté de leurs nations, mais cette « élite », aveuglée par son orgueil technocratique, n’en a tenu aucun compte, les opposants à un si beau dessein ne pouvant être que d’horribles xénophobes racistes qu’il fallait rééduquer et qui finiraient bien par comprendre qu’ils avaient tort !

L’ÉCHEC DE L’EUROPE

L’échec fondamental de l’Europe est là et le Brexit en est une conséquence. Le vice rédhibitoire de cette Europe est d’être coupée des peuples, d’agir contre leur sentiment profond et leur besoin d’enracinement, d’être foncièrement anti-démocratique, aux mains d’une classe apatride non élue et inconnue du grand public. Ajoutons à cela le monstre bureaucratique ubuesque que sont devenues les institutions bruxelloises avec leur pléthore de fonctionnaires qui se mêlent de tout et de rien, et l’on comprendra le rejet qu’inspire aujourd’hui le « projet européen » ! Lequel n’a jamais eu de dimension exaltante et transcendante, mais, en plus, il n’apporte même plus d’avantages là où il prétendait en donner : en économie, où l’austérité est devenue la règle d’or. Et pour les nations du Sud soumises au carcan de l’euro, c’est pire encore et sans espoir de solutions satisfaisantes. Au reste, est-ce vraiment « l’Europe » qui a apporté la paix et la prospérité ? On peut penser avec Marcel Gauchet que c’est plutôt l’Europe qui s’est bâtie grâce à la paix assurée par la Guerre froide, alors que la prospérité a été générale dans le monde occidental d’après-guerre (1).

L’autre leçon du Brexit est que le scrutin s’est joué principalement sur les thèmes de l’identité et des frontières dans un contexte d’immigration massive. Or, s’il est des domaines où l’Europe ne nous protège en rien, c’est bien ceux-là : elle est, par idéologie libérale, quasiment la seule zone au monde qui applique naïvement le libre-échange et qui ne cherche pas à protéger son marché intérieur ni ses frontières de l’immigration : celle-ci est même recherchée pour combler la chute démographique du vieux continent, dont tout le monde se moque ! Ainsi, au lieu de promouvoir des politiques natalistes là où les peuples vieillissants ne font plus d’enfants, édifie-t-on une société multiculturelle à forte prédominance musulmane incompatible avec nos valeurs fondamentales et dont on prend conscience qu’elle risque de mener à la guerre civile.

Les enseignements du Brexit devraient être un enjeu majeur de la présidentielle de 2017 : si l’on veut vraiment sauver l’Europe, il faut radicalement tourner le dos à la logique fédérale actuelle et rebâtir à frais nouveaux une Europe des nations avec des structures infiniment plus légères qui associeraient enfin les peuples par référendum à toutes les grandes décisions. Et rien n’empêche de commencer dès maintenant par suivre l’exemple britannique avec un référendum dans chacun des pays de l’Union. Au lieu de cela, il est fort à craindre que Mme Merkel et M. Hollande trouveront la solution dans… « encore plus d’Europe », de celle pourtant dont les peuples ne veulent plus !

(1) Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Stock, 2016, p. 162.

LA NEF n°283 Juillet-août 2016