A mes amis climato-sceptiques

Il est de bon ton chez certains milieux catholiques de droite ou « libéraux-conservateurs » de contester ce qu’ils appellent le « réchauffisme ». Il me semble utile de clarifier le débat. L’argumentaire climato-sceptique a trois principaux volets.
1. Passons sur la négation de l’existence même du réchauffement climatique. Les faits sont massifs qui prouvent non seulement le risque d’un réchauffement mais sa réalité présente, qui concerne déjà un pays tel que la France. Par exemple, nos vignerons sont confrontés à cette évolution qui a de multiples conséquences : augmentation d’un degré d’alcool par décennie, menaces sur certaines appellations telles que le Sauternes, attaques d’insectes (tordeuses, cochenilles) et de moisissures faisant chuter les rendements en Beaujolais, Champagne et Bourgogne, etc. Des recherches – vitales pour l’avenir de nos vignobles – sont en cours pour sélectionner les cépages adaptés aux nouvelles conditions climatiques et changer de méthodes (1). Le vin français de 2050 sera différent du vin actuel. Ce n’est pas une tragédie dans la mesure où les viticulteurs ne restent pas passifs face au défi climatique, mais simplement une preuve parmi des milliers d’autres que le réchauffement n’est pas un mythe.
2. Si de nombreux climato-sceptiques admettent la réalité du réchauffement, leur critique se concentre sur ses causes : humaines (gaz à effet de serre lié à la combustion des énergies fossiles) ou physiques (variations du rayonnement solaire, volcanisme…). Le GIEC estime que la probabilité du réchauffement dû aux activités humaines est supérieure à 90 %. Où l’on voit qu’elle n’est pas absolue, mais la notion de vérité absolue est étrangère à la technoscience expérimentale moderne. Il est sain que les recherches soient discutées, que les modélisations fassent l’objet de débats sereins, que des arguments rationnels soient échangés.
Je me garderai d’entrer dans cette disputatio étrangère à mes compétences (même si je doute que l’explosion des activités industrielles n’ait aucun effet sur le climat). Comme disait Wittgenstein, « ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». Précisément, il me semble souhaitable que nombre de climatologues amateurs suivent ce sage principe. Plus encore, notons que nombre de pourfendeurs du « réchauffisme », même bardés de diplômes et de prix (Nobel inclus), ont des compétences éloignées de la climatologie. Le propre des sciences modernes étant la spécialisation, la parcellisation du savoir, l’expertise dans un domaine particulier ne procure aucune crédibilité dans la contestation du con­sensus global admis dans un autre.
Plus profondément, je m’interroge sur les arrière-pensées des climato-sceptiques chrétiens. Que veulent-ils démontrer en exonérant l’homme de ses possibles responsabilités ? Veulent-ils sauver à tout prix un modèle de croissance qui ne détruit pas seulement notre « maison commune » mais avilit l’homme, ravalé au rang d’homo oeconomi­cus ? La lutte contre le réchauffement climatique peut et doit être l’occasion d’une subversion positive du « paradigme techno-économi­que » (cf. Laudato si’), du consumérisme dominant, au profit d’un autre style de vie conforme à une conception non-séculière et chrétienne de l’existence.
3. Les climato-sceptiques s’en prennent aux politiques engagées contre le réchauffement. C’est ici que leurs arguments s’avèrent souvent pertinents, car les dispositions proposées procèdent d’une vision du monde étrangère au christianisme. Mais ce n’est pas parce que les réponses proposées sont inadéquates que les questions n’ont pas de consistance et que l’on peut s’abstenir de les traiter.
Je conseille à mes amis climato-sceptiques la lecture bienveillante de l’encyclique Laudato si’. Le pape François ne dresse pas seulement un état des lieux soigneusement documenté ; il réveille notre engagement en faveur de la Création, au service du Créateur.

Denis Sureau

(1) Cf. Menace sur le vin. Les défis du changement climatique, de Valérie Laramée de Tannenberg et Yves Leers, Buchet-Chastel, 2015, 128 pages, 12 €.

LA NEF n°277 Janvier 2016