L’Eglise et l’immigration

Si l’on veut comprendre le message de l’Église sur l’immigration, il faut commencer par ne pas oublier qu’elle n’est pas un parti politique et que si son domaine d’intervention est le spirituel, il concerne aussi tout ce qui a trait au respect de la dignité de la personne humaine créée à l’image de Dieu. Ainsi, quand le pape François pleure les victimes du drame de Lampedusa et dénonce l’exploitation de ces migrants, qui pourrait le lui reprocher ? Partout où l’homme souffre, l’Église est présente, et il est juste que des chrétiens s’engagent à les aider, à les soulager, indépendamment de tout aspect politique.

Ce préambule explique le souci maintes fois réaffirmé de l’Église pour l’accueil des immigrés. Ce faisant, elle ne dénie pas aux responsables politiques la possibilité de limiter l’immigration conformément au bien commun, c’est-à-dire aux possibilités d’accueil de la nation. Et elle insiste aussi sur les devoirs que l’immigré a à l’égard de son nouveau pays. Lisons le Catéchisme de l’Église catholique :

« Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent. Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont elles ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges » (n. 2241, c’est nous qui soulignons).

Cet enseignement est clair et peut se décliner ainsi : les nations riches ont un devoir d’accueil envers l’étranger issu de pays pauvres ; mais le nombre d’étrangers capables d’être accueillis est du ressort de l’autorité temporelle qui juge conformément au bien commun et qui peut donc en conséquence fixer les conditions d’entrée sur le territoire national. Et Jean-Paul II ajoute : « On ne peut parler de “droit”, pour le migrant comme pour le pays d’accueil, sans parler de “devoirs”, de devoirs réciproques » (17 octobre 1985).

Le pape François a rendu public en septembre son message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié (daté du 5 août) qui aura lieu le 19 janvier prochain. En voici quelques extraits significatifs, ils éclaireront ainsi notre bref exposé.

«Si d’une part, en effet, les migrations trahissent souvent des carences et des lacunes des États et de la Communauté internationale, de l’autre elles révèlent aussi l’aspiration de l’humanité à vivre l’unité dans le respect des différences, l’accueil et l’hospitalité qui permettent le partage équitable des biens de la terre, la sauvegarde et la promotion de la dignité et de la centralité de tout être humain.

« Du point de vue chrétien, aussi bien dans les phénomènes migratoires, que dans d’autres réalités humaines, se vérifie la tension entre la beauté de la création, marquée par la Grâce et la Rédemption, et le mystère du péché. À la solidarité et à l’accueil, aux gestes fraternels et de compréhension, s’opposent le refus, la discrimination, les trafics de l’exploitation, de la souffrance et de la mort. Ce sont surtout les situations où la migration n’est pas seulement forcée, mais même réalisée à travers diverses modalités de traite des personnes et de réduction en esclavage qui causent préoccupation. […]

« Notre cœur désire un “plus” qui n’est pas seulement un connaître plus ou un avoir plus, mais qui est surtout un être plus. Le développement ne peut être réduit à la simple croissance économique, obtenue, souvent sans regarder aux personnes plus faibles et sans défense. Le monde peut progresser seulement si l’attention première est dirigée vers la personne ; si la promotion de la personne est intégrale, dans toutes ses dimensions, incluse la dimension spirituelle […]. Migrants et réfugiés ne sont pas des pions sur l’échiquier de l’humanité. […] Les flux migratoires contemporains constituent le plus vaste mouvement de personnes, sinon de peuples, de tous les temps. En marche avec les migrants et les réfugiés, l’Église s’engage à comprendre les causes qui sont aux origines des migrations, mais aussi à travailler pour dépasser les effets négatifs et à valoriser les retombées positives sur les communautés d’origine, de transit et de destination des mouvements migratoires. »

Enfin, signalons que François, citant Benoît XVI, exhorte à développer la collaboration entre pays d’accueil et pays d’origine des migrants « dans le but de sauvegarder les exigences et les droits des personnes et des familles émigrées et, en même temps, ceux des sociétés où arrivent ces mêmes émigrés » (Caritas in veritate, 2009, n. 62). Cette collaboration a pour but d’aider les pays des migrants à faire disparaître le désir de départ et ainsi éviter de nombreux drames.

Christophe Geffroy

LA NEF N°254 Décembre 2013