L’identité nationale, une histoire d’amour

Le débat sur l’identité nationale voulu par le chef de l’État a été jusque-là décevant. Je ne cherche pas à scruter les arrière-pensées politiciennes ou électorales de nos gouvernants dans cette affaire, je constate seulement le poids paralysant du « politiquement correct » qui empêche toujours un tel débat de se déployer librement. Grâce à la presse vraiment libre (donc « petite » et mal diffusée), à internet et ici ou là à quelques tribunes intelligentes, cependant, on a pu lire des contributions de valeur qui montrent que tout esprit critique n’est pas mort malgré le rouleau compresseur abêtissant des grands médias.

Que retenir de ces débats ? D’abord, que la façon dont il était posé, ou plutôt la manière même dont la nation est appréhendée, empêche d’emblée une réflexion de fond sur ce thème difficile qui justifie des approches différentes et complémentaires. Comment, en effet, engager un débat quand le ministre qui en est chargé donne de la France cette définition hallucinante : « La France n’est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c’est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n’y a pas de Français de souche, il n’y a qu’une France de métissage » ? (1) Autrement dit, la France n’est rien et on voit mal ce qu’il y aurait là à aimer, à admirer ! Il paraît que le ministre a regretté son propos sans donner de la France une meilleure image.

Quant au président Sarkozy lui-même, s’il n’hésite pas à se référer à « l’identité nationale » – parfois, grâce à Henri Guaino, avec des accents sympathiques –, le contenu qu’il lui prête demeure flou et incertain, au point de vanter « le métissage » : « Le métissage c’est la volonté de vivre ensemble. Le communautarisme c’est le choix de vivre séparément. Mais le métissage ce n’est pas la négation des identités, c’est pour chacun, vis-à-vis de l’autre, la reconnaissance, la compréhension et le respect. […] La clé de cet enrichissement mutuel qu’est le métissage des idées, des pensées, des cultures, c’est une assimilation réussie » (2).

Le propos élyséen a au moins le mérite de montrer du doigt le problème : l’immigration massive de populations étrangères – musulmanes notamment – à notre culture. C’est cette présence qui inquiète les Français et remet en cause notre identité. Est-ce à dire que sans l’immigration la question ne se poserait pas ? Assurément non, car si nous avons perdu le sens de ce que nous sommes, la faute n’en est pas aux immigrés mais à nous-mêmes. Je ne cherche pas à minimiser le problème de l’immigration, mais il faut reconnaître que les Français ont perdu eux-mêmes le sens de la patrie et de l’amour qui lui est dû. Sans doute parce qu’on ne leur a plus inculqué l’esprit de piété filiale qui était jadis une vertu, mais enfin nous en sommes là : les Français ne s’aiment plus, vilipendent leur passé, en oublient ce qu’ils sont.

L’esprit de Mai 68 n’est pas étranger à ce malaise, mais plus encore, me semble-t-il, faut-il incriminer les méfaits du « matérialisme mercantile » (Jean-Paul II) qui ne voit l’homme que comme un consommateur et la planète comme un gigantesque marché sans frontières ; cette mondialisation libérale, pour laquelle tout enracinement est à combattre, lamine les identités nationales « en douceur » et donc bien plus efficacement que l’immigration dont il est plus facile de percevoir les dangers.

Ce mal-être des Français, comme de tous les Européens, conduit au suicide à petit feu de nos peuples qui ne renouvellent plus les générations nécessaires à leur simple survie biologique. Comment s’étonner qu’un pays riche et relativement peu peuplé, fatigué et sans dynamisme démographique, attire à lui des populations jeunes fuyant la misère d’un tiers-monde qui ne voit guère sa situation s’améliorer ? Tant que l’on n’aura pas pris en compte ces deux éléments – notre déclin démographique et la misère des pays pauvres –, toute limitation de l’immigration, évidemment nécessaire, restera difficile et aléatoire.

Le drame français et européen est donc cette faiblesse « identitaire », symptôme inquiétant en lui-même, mais plus encore en présence d’une immigration massive – en grande partie musulmane – que nous sommes incapables d’assimiler et qui contribue à nous faire perdre nos repères déjà bien fragilisés.

Il est au demeurant piquant de noter que M. Sarkozy revient au vieux concept « républicain » d’assimilation qui a bien fonctionné du XIXe siècle aux années 60-70, quand la doctrine officielle, depuis, est l’intégration – mots en vérité assez proches, le changement de terme signifiant surtout une moindre volonté politique d’intégrer les nouveaux venus. Quoi qu’il en soit de la terminologie, le propos du Président est sophistique en ce qu’il suppose un échange culturel « égal », comme un compromis entre la culture du pays d’accueil et celle de l’immigré. C’est d’ailleurs la vision officiellement imposée par l’Union européenne : « L’intégration est un processus dynamique, à double sens, de compromis réciproques entre tous les immigrants et résidents des États membres » (3). Une telle vision est une utopie, car « l’enrichissement mutuel » de M. Sarkozy ou les « compromis réciproques » de l’UE ne peuvent s’opérer, c’est-à-dire conduire à une assimilation ou une intégration, que si le nombre des immigrés demeure limité – et plus la culture du nouveau venu est éloignée de celle du pays d’accueil et plus ce seuil baisse (on assimile plus facilement un Polonais catholique qu’un Pakistanais musulman). Le général de Gaulle a rappelé cette vérité de bon sens en langage imagé : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. […] Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont les Arabes, les Français sont les Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront peut-être vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! » (4). Ou encore : « On peut intégrer des individus ; et encore, dans une certaine mesure seulement. On n’intègre pas des peuples, avec leur passé, leurs traditions, leurs souvenirs communs de batailles gagnées ou perdues, leurs héros. »

Le passage du modèle de l’assimilation à celui de l’intégration a été en réalité une façade pour masquer notre démission, notre absence de volonté d’intégration, comme si le seul fait de venir en France, d’y bénéficier de l’aide sociale ou d’y travailler allait faire des immigrés de futurs Français fiers de leur nouvelle patrie, bref comme si l’aspect économique était seul en cause. « Ce serait d’ailleurs une entreprise vouée à l’échec que de vouloir intégrer dans une France qui ne s’aime pas, des gens qui n’aiment pas la France », dit fort justement Alain Finkielkraut (5). L’intégration suppose en effet deux conditions : qu’il y ait un terreau d’accueil propice, c’est-à-dire un peuple démographiquement dynamique et fier de ce qu’il est, d’une part, et que les candidats à l’intégration ne soient pas en trop grand nombre et aient le désir de s’intégrer avec les efforts que cela suppose (apprendre la langue, s’initier à la culture, bref être dans une démarche d’amour, pas de rejet a priori), d’autre part.

Or, nous sommes loin de ce schéma et tout en condamnant officiellement le communautarisme, nous l’avons laissé se développer, les populations étrangères installées en France se regroupant en conservant leurs coutumes et traditions, sans se mélanger, et pour certaines, en crachant ouvertement sur la France qu’elles méprisent. Ajoutons à cela une présence croissante et de plus en plus revendicative de l’islam, dont l’expérience montre qu’il est difficilement intégrable en Europe. C’est ainsi que les Français vivant en certaines banlieues se sont retrouvés des étrangers dans leur propre pays !

Et tout débat sur ces questions essentielles a été étouffé de longue date par la tyrannie du « politiquement correct » qui a imposé le silence à l’aide des lois dites anti-racistes et de la lutte contre toutes les discriminations : toute critique du laxisme en matière d’immigration est aussitôt taxée de « raciste », ce qui évite toute réponse argumentée. Au reste, lorsque l’on parle de la France, il est devenu interdit d’évoquer « nos ancêtres les Gaulois », au prétexte que cela serait discriminant pour les jeunes non blancs : ce qu’est la France – et donc son identité – ne se réfère plus à ce qui la constitue réellement, à savoir son histoire bimillénaire, sa géographie, sa culture, sa langue, l’apport du christianisme, de Rome et de la Grèce… non, la France est désormais réduite aux « valeurs de la République » dont on ne sait trop ce qu’elles sont : liberté, égalité, fraternité ? droits de l’homme ? laïcité ? Autant de concepts qui peuvent être justes ou non selon le sens qu’on leur donne, mais qui, de toute façon, ne suffisent pas à créer une identité, de telles valeurs pouvant être revendiquées par n’importe quelle autre nation au monde…

Cette conception idéologique de la nation et le déferlement de populations profondément étrangères à notre être national quand notre propre démographie est en grave déclin ont fait dire à certains que la France était morte ! Le constat est choquant mais non point absurde. Il fait fi cependant un peu vite de l’instinct de survie d’un peuple qui, aujourd’hui encore, montre des signes d’espérance à travers une partie de sa jeunesse qui, comme le levain dans la pâte, cherche à servir sa patrie en servant son Dieu. Certes, la France de demain ne sera pas celle d’hier, les immigrés d’aujourd’hui ne deviendront pas par miracle de nouveaux Français fiers du passé de leur nouvelle patrie, mais n’oublions pas que l’intégration est d’abord une histoire d’amour : saurons-nous leur inculquer – à leurs enfants ou petits-enfants à défaut des parents – l’amour de la France ? L’aimons-nous nous-mêmes assez pour transmettre ce trésor ?

Christophe Geffroy

(1) Éric Besson, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, le 5 janvier 2010 à la Courneuve.

(2) Le Monde du 9 décembre 2009.

(3) Article 1er d’un texte intitulé « Justice et affaires intérieures » du Conseil européen du 18 novembre 2004 qui adopta les « principes de base communs de la politique d’intégration des immigrants dans l’Union européenne » (cité par Éric Zemmour dans Le Spectacle du Monde de décembre 2009).

(4) Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard/Éditions de Fallois, 1994, p. 52.

(5) La Vie du 21 janvier 2010.

 

ENCADRÉ : Droit du sol ?

Curieusement, le débat sur l’identité nationale n’a pas abordé la question du code de la nationalité, question qui, dans le passé, a donné lieu à des joutes homériques. On sait qu’en France, nos valeureux défenseurs des « valeurs de la République » tiennent le droit du sol comme la grande tradition française, la base incontournable de notre législation : tout enfant né en France doit pouvoir acquérir automatiquement la nationalité française. Ce qui se justifiait jadis, lorsque l’immigration était moins nombreuse et les nouveaux venus désireux de s’intégrer, devient plus discutable quand on a affaire à de tels déplacements de populations peu désireuses de s’insérer dans le tissu national (un minimum de preuves d’intégration comme la connaissance de la langue et de l’histoire devrait être exigé de toute personne sollicitant la nationalité française, dont l’obtention ne devrait jamais être automatique). Quoi qu’il en soit, l’imposture est de faire croire que le droit du sol est la règle en France ; toute nation se perpétue par le droit du sang : la règle habituelle d’acquisition de la nationalité se fait par transmission héréditaire. Est Français celui qui naît de parents français ; la patrie est bien la terre des pères. Aucune nation au monde ne fait exception à cette règle générale, pas même les États-Unis. Une tradition nationale peut favoriser plus qu’une autre le droit du sol, mais cela ne peut jouer qu’à la marge.

C.G.

LA NEF n°213 Mars 2010