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La COP21 et l’objectif des 2°C

Il est très difficile pour le profane de comprendre les aspects scientifiques du réchauffement
climatique. Qu’est-ce qui est controversé, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Explication.

L’organisation d’une conférence internationale comme la COP21, l’information, ou plus exactement la communication organisée autour de l’événement et les débats qui animent la société civile et ses « représentants », sont dans leur ensemble absolument révélateurs de l’état de nos sociétés d’opinion et des contraintes qui en résultent. Si l’on acceptait d’être un peu pessimiste (réaliste ?), on pourrait même dire que cet immense capharnaüm est paradigmatique de l’impossibilité de nos systèmes post-démocratiques de prendre en temps utile des décisions visant au bien commun !

L’objectif des 2° C
On pourrait sans difficulté résumer l’objectif de cette conférence internationale à ce seul chiffre ! Le site officiel du gouvernement note en introduction générale : « C’est une échéance cruciale, puisqu’elle doit aboutir à un nouvel accord “contraignant” et “universel” sur le climat, applicable à tous les pays, dans l’objectif de maintenir le réchauffement climatique mondial en deçà de 2° C. » En réalité ce chiffre aux vertus quasi magiques provient d’une dégradation au X-ième degré de recherches scientifiques extrêmement nombreuses et complexes. Ces recherches servent de base au dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui résulte lui-même de nombreuses réunions de travail ayant mobilisé plus de 800 experts provenant de tous les continents.
Ces travaux tentent de résumer et de synthétiser plusieurs centaines d’études dans d’innombrables domaines. Ils aboutissent à trois rapports :
Le rapport du groupe I (physique et bio-chimie) résume : les études sur l’effet de serre et les modifications de la composition atmosphérique ; les températures terrestres et océaniques ; les pluies, les glaciers et les calottes glaciaires ; les océans et le niveau des mers ; les perspectives historiques et paléo-climatiques ; la biogéochimie, le cycle du carbone, les gaz et aérosols ; les données satellitaires ; les modèles climatiques ; les projections climatiques (causes et attributions du changement climatique).
Le groupe II synthétise et résume les études sur les vulnérabilités socio-économiques aux différents scénarios de changement dans des domaines aussi différents que les ressources en eau, les écosystèmes, l’agriculture et l’alimentation, les forêts, les systèmes côtiers, l’industrie, la santé humaine.
Le rapport du groupe III se concentre sur la question des émissions des gaz à effet de serre. Il évalue les options pour atténuer le changement climatique en limitant ou en empêchant les émissions de gaz à effet de serre. Les principaux secteurs économiques sont pris en compte, à la fois à court terme et dans une perspective de long terme. Les secteurs étudiés comprennent l’énergie, les transports, les bâtiments, l’industrie, l’agriculture, la foresterie, la gestion des déchets.
Ces trois groupes rédigent chacun un rapport de synthèse, ceux-ci servent de base au rapport global : le cinquième rapport étant le dernier en date (380 millions d’octets de données). Mais à partir de cette dernière version il faut encore distiller un « résumé à l’attention des décideurs » qui divise cette masse de données par 10, mais comporte malgré tout encore 225 pages ! Autant dire que seuls les spécialistes dans les équipes gouvernementales auront la possibilité de lire ce « résumé » et qu’ils devront en tirer pour les vrais « décideurs » une fiche A5 ou au mieux A4 ! C’est de cette incroyable déperdition d’informations et de complexité que provient le magique 2° C !
En réalité ce chiffre sert, en remontant l’arbre de la complexité, en particulier grâce aux modèles mathématiques, à en déduire les actions qui sont susceptibles de faire varier cette valeur. Il n’est d’ailleurs pas très réaliste d’espérer mieux de notre système de prise de décision ! En effet notre fiction institutionnelle repose sur le principe du « gouvernement par le peuple » ; en théorie les décideurs (le peuple en son entier) devraient donc avoir tous lu a minima les 225 pages du résumé !
Faute d’atteindre à cet objectif et compte tenu de l’absence de confiance (souvent justifiée hélas !) dans la classe politique, le débat se résume donc à une bataille de communication !

Modèles climatiques et climato-sceptiques
Dans cette bataille, les modèles climatiques et la communication des climato-sceptiques jouent un rôle central. Il peut paraître surprenant d’aborder ces deux thèmes simultanément ; c’est qu’en réalité leur place ressort de questions parallèles : la nécessaire simplification des enjeux et la suspicion généralisée qui gangrène leur corps social.
En effet pour disposer d’un instrument de pilotage à la mesure de nos institutions, il est absolument indispensable de simplifier et catégoriser les problématiques. C’est le rôle central des modèles mathématiques : à partir d’un nombre fini de variables, ils sont capables de calculer la réponse vraisemblable du système climatique dans son ensemble. Tant de PPM de CO2, tant de dixièmes de degré en plus, donc tel ou tel problème météorologique ou agricole ou de santé publique. Simplificateur mais efficace ! Ce que demande les décideurs : blanc ou noir. Il est évident que, pour qui veut entrer dans le détail, il sera toujours possible de relever un résumé abrupt, une simplification excessive. C’est ce que font en général les climato-sceptiques. Faisant abstraction des centaines d’heures de travail nécessaires à la synthèse et à la modélisation, ils incriminent soit l’ONU (qui comploterait contre le libre marché ?), soit le GIEC lui-même (organe politique et non scientifique), soit les surpuissants (?) lobbys écologistes, soit encore les scientifiques (prêts à tout pour obtenir le financement de leurs recherches). Dans ces attaques, ils ne font pas eux-mêmes l’économie de simplifications extrêmes ; d’ailleurs comment un homme seul, voire un petit groupe, pourrait exécuter en quelques mois avec la moindre pertinence, ce que plusieurs centaines de chercheurs ont mis des années à réaliser ?
De plus, il n’est pas inutile de remarquer qu’aucun des plus « éminents » climato-sceptiques français n’est climatologue : Claude Allègre est géo-chimiste, Vincent Courtillot et Jean-Louis Le Mouël sont géo-physiciens, François Gervais physicien des matériaux. Les débats à l’Académie des sciences entre Vincent Courtillot et Édouard Bard en 2010 ont largement montré le manque de profondeur et de recevabilité de l’argumentaire climato-sceptique. À titre d’exemple, dans sa réponse (publiée dans Le Monde) aux critiques de son ouvrage dans le même journal, François Gervais s’étonnait de l’usage par les climatologues de « données corrigées » préférant pour sa part l’usage de données brutes. On comprend l’intérêt de cette approche dans un laboratoire de physique des matériaux, mais le simple bon sens montre qu’il ne peut en être de même pour des mesures réalisées sur de longues périodes de temps, dans un milieu ouvert comme c’est le cas des stations météorologiques. Un changement d’appareil de mesure, la modification du milieu proche de la station, un changement d’emplacement, un dérèglement passager… autant de facteurs à prendre en compte pour corriger des valeurs brutes.
Les arguments les plus fréquemment agités par les climato-sceptiques répondent à des positions qui ne sont pas celles du GIEC ! Ainsi, il est répété à satiété que l’augmentation de volume de l’Inlandsis antarctique est une preuve de l’arrêt du réchauffement, voire d’un refroidissement. Pourtant ce phénomène, apparemment paradoxal, est parfaitement prévu par les modèles classiques et repose sur le fait bien connu de l’absence de précipitations (et donc de glace nouvelle) à très basse température. Le réchauffement provoque donc, dans ce cas, une augmentation des chutes de neige !
Ces mêmes opposants prétendent que le GIEC fait l’impasse sur le ralentissement récent du réchauffement pour camoufler son parti pris. C’est tout simplement mensonger. Le dernier « résumé pour les décideurs » note ainsi (page 15) cette réduction de la tendance au réchauffement sur la période 1998-2012 et ne remet cependant pas en cause le modèle global. En effet, les experts attribuent ce phénomène à l’action des océans. Il faut toutefois noter que ce ralentissement n’a nullement empêché les quinze dernières années d’être les plus chaudes enregistrées depuis 1850 (voir graphique ci-contre) !
Dans la même veine certains présentent comme une découverte contredisant le GIEC que le CO2 n’est pas un polluant et qu’il est bon pour la végétation ! C’est bien sûr parfaitement connu et pris en compte par les météorologues qui savent très bien que la température terrestre serait de
-18° C sans effet de serre.
Enfin on entend souvent qu’il y aurait un lobby écologiste constitué « d’officines » diverses. Le peu de sérieux de ces arguments apparaît nettement si l’on met en regard le chiffre d’affaires de ces structures et celui de Total ou d’Exxon ! Qui, en effet, a le plus de moyens pour mettre en œuvre une politique de communication qui est au cœur du problème actuel ? À titre d’exemple Manicore, une de ces officines écologiques emblématiques (J.M. Jancovici, son patron, a été auditionné à l’Assemblée Nationale), a un capital de 7622 euros et Total, le pétrolier bien connu, représente une capitalisation de 18 milliards d’euros (chiffres 2014) ! Ceci ne veut pas dire que le thème des énergies renouvelables ne puisse être utilisé à des fins diverses comme le montre l’attaque à visée concurrentielle de la politique d’investissement d’EDF par des ONG anglo-saxonnes plus ou moins pilotées.

Pourquoi le climat est-il si central dans le débat politique ?
Finalement l’interrogation qui doit être la nôtre, c’est celle de la centralité de la question climatique dans le débat sur l’impact environnemental de notre système de production, d’échange et de consommation quand le biotope craque de toutes parts. Il faut sans doute en conclure que c’est l’intérêt bien compris de la plupart des parties prenantes de ce débat !
Comme nous l’avons vu ci-dessus, cette problématique trop technique se résume in fine en bataille de communication pour la conquête de l’opinion des citoyens et de la classe politique elle-même. Chacun se trouve ainsi conforté dans ses habitudes et dans son rôle ; les journalistes choisissent leur camp à partir de présupposés idéologiques et font de la vulgarisation ciblée ; les hommes politiques se construisent à bon compte l’image d’hommes d’État visant à l’intérêt général et au long terme, en laissant, de fait, les spécialistes leur fixer les orientations ; les ONG environnementales jouent leur jeu d’« agit-prop » habituel ; les industriels utilisent sans états d’âme le gros gourdin du lobbyisme à coups d’euros ou de dollars. Les scientifiques, spécialistes ou climato-sceptiques, apprennent à leur tour le jeu malsain de la com et de l’influence.
L’autre point important qui explique cette centralité, est qu’il semble possible techniquement de réduire les émissions de gaz à effet de serre sans remettre en cause notre modèle social et économique. On reste en terrain connu : un problème technique, une solution technique ! Développons les « énergies propres » et l’affaire est dans le sac !
Ainsi l’ADEME qui étudie les différents scénarios d’évolution de la production et de la consommation d’énergie a publié en octobre dernier une étude prospective à horizon 2050 où, d’après ses hypothèses de calcul, le passage à 100 % de renouvelable dans la production d’électricité n’aurait comme conséquence qu’une hausse modérée (+2 %) du coût du kilowatt-heure. L’ADEME décrit ainsi un scénario proche de celui déjà mis en œuvre au Danemark où l’éolien représente déjà 39 % de l’électricité produite (100 % ponctuellement le 21 décembre 2013 !) avec un coût du kW/h inférieur à la moyenne européenne (chiffres Eurostat). Toutefois, ce scénario implique un développement de l’éolien à un tel niveau que nous pouvons être plus qu’inquiets pour nos paysages !
De plus ces énergies soi-disant propres ne changent rien de fondamental en réalité. Ainsi pour la construction des éoliennes, on utilise de plus en plus les nano-particules (nano-tubes de carbone), toutes les applications à base d’électronique (smart grids, panneaux solaires, piles…) sont extrêmement gourmandes en matériaux rares (argent, terres rares…) dont les réserves sont comptées et très concentrées (95 % des terres rares disponibles sur le marché proviennent de Chine).
Par ailleurs ces énergies « alternatives » aboutissent encore à des projets géants dont les impacts peuvent être potentiellement dévastateurs (ainsi l’impact potentiel sur la forêt des centrales à biomasse), mais qui ouvrent encore la voie aux pressions, à la corruption et à des flux internationaux d’échanges de grande ampleur (environ 80 % des panneaux solaires posés en Europe sont fabriqués en Chine).
Bref, pendant que le débat est monopolisé par la COP21, on ne parle pas des seuls enjeux réels : la fin du libre-échangisme mondialisé, la relocalisation de l’économie, la sobriété de la consommation et la défense de la justice sociale. Il est vrai que ces points ne sauraient trouver de solution qu’avec un pouvoir politique installé sur le long terme et libéré des lobbies.

Philippe Conte

© LA NEF n°277 Janvier 2016