Ce pays ne s’aime pas

Ce pays décidément n’aime rien, même pas ses propres enfants. La politique antifamiliale de M. Hollande commence déjà de faire sentir ses effets : la natalité, dernière puissance de la France, est en chute libre. À quoi aurait-on pu s’attendre d’autre quand les allocations familiales ont été ainsi sabotées depuis deux ans ? Quand l’école de la République produit exactement l’inverse de ce qu’elle prétend, c’est-à-dire qu’elle reproduit les inégalités sociales au lieu de les atténuer ? Quand elle n’enseigne rien, sinon à être Charlie ?

Mais qu’attendait-on quand, de François Hollande à Nicolas Sarkozy maintenant, pour qui en doutait encore, c’est en chœur que nos gouvernants proclament l’éternité de la loi Taubira, celle qui a définitivement ruiné le mariage ? Croyait-on sérieusement que les couples homosexuels allaient pourvoir au renouvellement des générations ?

On peut toujours y croire, si l’on attend la PMA et l’utérus artificiel, qui réglera définitivement la question de la gestation.

Ce pays ne s’aime pas qui, blessé par des attaques violentes, refuse d’en nommer les causes. Ce pays qui, pris de vertige devant son virage nihiliste, préfère s’abîmer dans les bras d’une charia importée qui, dorénavant, hante certains de ses quartiers, Belphégor non pas même symbolique, mais bien incarné, voiles qui cachent des visages humains aux yeux d’autres humains.

Ce pays ne s’aime pas non plus, et ce pays nous fait mal quand il se définit seulement par le terme trop vague et trop dur, trop dur comme tous les termes trop vagues, de laïcité, qui n’est que le string idéologique de l’athéisme gravé dans le marbre, aspiration vers le bas, vers le matériel triomphant, où il faut abandonner toute espérance.

Ce pays ne s’aime pas et ne nous aime pas qui demande seulement un peu plus de commerce, un peu plus de graphique orientés à la hausse pour trouver son bonheur.

Ce pays ne s’aime pas lui-même, qui fut celui des cathédrales où chaque pierre était ordonnée par rapport aux autres et au monde, où chacune était un symbole raisonné d’un ordre venu d’ailleurs et plus puissant, où chaque heure de sueur d’un ouvrier tendait à un but, s’embétonne maintenant lui-même, se rond-pointise, se zone-commercialise, ravage chaque mètre carré de ses paysages qui furent un jour les plus beaux du monde, comme si tout héritage se remplaçait sans réflexion, comme si tout neuf valait pour cette seule raison qu’il l’est.

Jésus pleurait sur cette génération qui était la sienne, et pleurait sur Jérusalem dont, comme une mère poule il voulait rassembler les oisillons. Dans notre ordre, qui n’est certes pas le sien, pleurons aussi sur la nôtre, à la nuque raide, fascinée par sa propre puissance – et il est vrai qu’elle l’est, puissante, productrice de prodiges inouïs et jamais vus – dont elle croit qu’elle la fera pour toujours durer.

Mais tout passe, et nul besoin d’être Héraclite pour le savoir. Mais surtout, plus que le passage, logique dans ce monde de la chute, du temps, de l’être, de la personne, de l’homme, c’est la somme de destruction contenue dans le temps où nous sommes qui est terrifiante.

À moins que de se cramponner dans des lieux retirés, coupés du monde, on voit de moins en moins ce qui reste à transmettre à ceux qui viennent après, qu’ils soient nos enfants ou ceux des autres. Un monde en proie à la violence endémique, où la méfiance est la règle ? Un monde concurrentiel, comme ils disent, où la seule pensée au réveil devient : « Combien vais-je pouvoir gagner aujourd’hui, par n’importe quel moyen » ? Un monde de conspiration contre toute existence réelle, où l’image dans le miroir est la dernière règle ?

Reste évidemment ce dont nous savons qu’il ne passera pas, Ses paroles. Mais qui les entendra ? Le veilleur attend dans la nuit l’aurore. Parfois on dirait qu’il s’endort.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°278 Février 2016