La parentalité positive

La « pédagogie bienveillante », encouragée à tous les niveaux officiels, s’est largement imposée. Analyse d’une idéologie déconnectée du réel qui peut faire bien du mal.

Discussion entre mamans :
– « Je suis fière ! Cela fait trois soirs que Louis s’endort sans pleurs.
– Comment fais-tu ?
– J’ai suivi le conseil d’Élisabeth Filliozat (1) : je lui tiens la main le temps qu’il s’endorme. Cela prend une heure, c’est difficile, mais Louis est serein. »
Cet exemple illustre la dernière mode éducative : la parentalité positive ou pédagogie bienveillante, s’appuyant entre autres sur la communication non violente. Cette pédagogie trouve son origine dans une utopie onusienne de société pacifiée. Elle s’appuie sur des principes idéologiques et s’oppose de manière virulente à ses contradicteurs. Mais est-elle réaliste et applicable par des parents catholiques ?

AUX ORIGINES DE LA PÉDAGOGIE POSITIVE
En 1989, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) entend faire une « révolution tranquille » pour redéfinir les rapports entre parents et enfants. Ses réflexions ont été reprises lors de la XVIIIe session, en mai 2006, de la « conférence des ministres européens chargés des affaires familiales » du Conseil de l’Europe (CE) : la « parentalité » doit passer dans le domaine de la politique publique et l’éducation doit s’appuyer sur l’affectivité. Le CE recommande la mise en place de lieux d’information et d’échanges, d’assistances téléphoniques et de services axés sur les populations à risque. Des mesures sont proposées pour légiférer. Des compétences-clés, non innées, seraient indispensables pour éduquer ses enfants. Par l’auto-évaluation et le travail de groupe, il devient possible de se corriger et de modifier les comportements. Il s’agit de méthodes de manipulation psychologique destinées à rééduquer les parents (2).
L’« observatoire de la violence éducative ordinaire » est un site de lobbying qui promeut ce modèle de parentalité. Il y est déploré que la France ne se soit pas dotée de loi contre les châtiments corporels selon les recommandations de la CIDE. La France se justifie en invoquant « l’information et la sensibilisation des parents » via « la distribution aux femmes enceintes d’un livret de parentalité promouvant l’éducation non-violente ».
Cette idéologie s’est ensuite répandue dans les milieux universitaires, puis auprès du grand public via les médias sociaux : les groupes fleurissent sur Facebook : « Maman ne me laisse pas pleurer », « Papa positive », « parent positif, enfant réceptif ». Notons la dialectique employée : qui peut soutenir qu’il est contre la bienveillance ? Le but est d’arriver à un conformisme éducatif.

LA NAISSANCE D’UN PARADIGME
Valérie Orvain (3) définit ce qui est constitutif d’une éducation violente : les châtiments corporels, les « évictions » (isolement), les punitions. Une remarque blessante induit un stress qui fige le cerveau et provoque une fuite, un « figement » ou de l’agressivité. Toute contrainte est assimilée à une violence. Ce « dressage » détruit l’estime de soi de l’enfant et crée un sentiment de vengeance qui le « déconnecte de son ressenti » (cf. encadré 1 ci-dessous).
Catherine Guéguen, pédiatre, est un des apôtres de la parentalité positive. Elle invoque les « neurosciences affectives » comme argument majeur. Le cortex orbito-frontal, siège de l’empathie, ainsi que l’hypophyse, siège de la mémorisation, auraient un développement optimal avec des parents bienveillants. A contrario, la « violence éducative ordinaire » produirait des « molécules de stress » et « provoquerait des dommages irréversibles dans le cerveau ». Sur quelles preuves scientifiques s’appuient ces théories ? La plupart des articles mentionnent des études qu’il est rare de voir citées. Boris Cyrulnik (4) a étudié le développement d’enfants abandonnés. Un enfant en carence affective extrême (orphelinat maltraitant) présente des retards de développement du cortex et une atrophie des lobes préfrontaux qui disparaît avec une attention aimante. Mais aucune étude ne prouve la supériorité du développement cérébral d’un enfant éduqué par des parents « bienveillants ». Les « neurosciences affectives » sont bien un argument d’autorité. D’ailleurs, peut-on réduire la psychologie enfantine à un ensemble de réactions chimiques observables par IRM ?

UNE ÉDUCATION CATHO-COMPATIBLE ?
Voici l’extrait d’une interview publiée sur le site de La Croix (2015) intitulée « On ne se libère pas si vite de siècles de maltraitance » :
« La Croix – Dans votre livre Oser la bienveillance, vous parlez des “ravages” de la doctrine du péché originel, notamment sur l’éducation des enfants.
« L. Basset – Ce dogme, adopté seulement en 418, attribuait à Adam et Ève la responsabilité de l’entrée du mal dans le monde, leur faute s’étant propagée par procréation à toute l’humanité, faisant de nous tous dès la conception une “masse damnée” dont seul le Christ pouvait nous sauver. Pendant presque quinze siècles, les enfants étaient considérés comme des “suppôts de Satan”. »
La pédagogie bienveillante nie le péché originel. L’enfant est un être bon par nature, perverti par les adultes. Imposer à l’enfant des savoirs et savoir-être entache son innocence (5). Pourtant le règne des émotions sur la raison est contraire à l’enseignement catholique. Pour saint Paul l’homme doit chercher à contrôler ses passions avec sa raison. La vie est un combat : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? […] par l’esprit, je suis l’esclave de la loi de Dieu, et par la chair l’esclave de la loi du péché » (Rm 7, 24-25).
Imposer à un enfant de s’excuser serait une violence (cf. encadré 2 ci-dessous). Mais si un enfant ne demande pas pardon, comment développera-t-il son jugement moral ? Comment se confessera-t-il ? Et quel est le rôle du père dans la pédagogie bienveillante ? Loin de dire la loi et de la faire respecter, il apprend à être une seconde maman. Il n’est plus question de complémentarité mais de « communauté d’éducateurs ».
Des mamans « bienveillantes » s’inquiètent de l’arrivée d’un enfant : elles ont peur de ne plus pouvoir répondre aux besoins affectifs des précédents. L’idéologie est malthusienne : une nouvelle vie menace la part des autres. Surtout, un parent chrétien veut éduquer son enfant en vue du Ciel. Ce n’est pas l’objectif des pédagogies bienveillantes pour lesquelles l’épanouissement de l’enfant est un but en soi.
Nous autres femmes sommes les cibles privilégiées de l’éducation positive. Comment lutter ? Soyons attentives aux signaux d’alerte : épuisement de la mère qui s’immole à l’enfant, sentiment de culpabilité, rancœur envers le mari, enfant devenant hypersensible ou manipulateur. Sachons écouter notre bon sens et nos époux pour éviter la dissonance cognitive (si la méthode ne fonctionne pas, c’est que je ne vais pas assez loin) et n’invoquons pas la science à l’appui de nos choix éducatifs.
L’éducation bienveillante s’inscrit dans le nouvel ordre mondial où la science prime le bon sens. Une élite éclairée doit former des « bons parents », libérés des œillères des modèles éducatifs hérités. Pour ceux-ci, il est rassurant de se voir proposer une recette qui fonctionne pour tout enfant et à tout âge. Mais cela signifierait que tous les enfants sont identiques. Il est important d’être à l’écoute de nos enfants. Mais complétons l’analyse, « voilà ce que tu ressens », avec : « mais en réalité, voilà ce qu’il en est » ; de cette manière, la bienveillance serait réelle puisqu’empreinte de vérité.

Diane de Laubrière

(1) Psychothérapeute (maîtrise de psychologie), auteur de J’ai tout essayé, JC Lattès, 2011, rééd. Marabout, 2013.
(2) Cf. Pascal Bernardin, Machiavel pédagogue, Éditions Notre-Dame des Grâces, 1995.
(3) Fondatrice de l’association « Grand’Dire ensemble », organisatrice des « ateliers de parents » qui « participent à ce que le Conseil de l’Europe appelle “Soutien à la Parentalité Positive”. Cette action est financée en partie par la CAF et le Conseil Départemental de l’Hérault ».
(4) Psychiatre et neurologue.
(5) Cf. François-Xavier Bellamy, « Les Déshérités », Plon, 2014.

ENCADRÉ 1
Les points clés de la pédagogie bienveillante :
1/ Accueillir et nommer l’émotion ressentie : une émotion contenue peut ressortir sous forme de colère ou de maladie.
2/ Développer la confiance en enrichissant le vocabulaire de l’enfant (il met des mots sur ses émotions).
3/ Systématiser la tendresse et l’empathie pour un développement physiologique optimal

ENCADRÉ 2
La Communication non violente a été introduite par Marshall Rosenberg (1934-2015), docteur en psychologie. Elle rejette le modèle punition-récompense. Il n’y a pas de comportement bon ou mauvais, d’obligation ou devoir, de choses normales ou anormales et personne n’a raison ou tort : tout se vaut !
L’obéissance est violente car elle méprise la liberté de l’enfant. La contrainte blesse sa nature. Il faut constater, sans culpabiliser. Plutôt que d’adresser des reproches, procédons à une introspection de nos besoins insatisfaits, car ce qui nous blesse vient de nous et non d’autrui. Il faut penser avec son cœur et non avec sa raison – l’empathie est la clé.

© LA NEF n°284 Septembre 2016