L’islam en vérité

Alors qu’il est de plus en plus nécessaire de bien appréhender ce qu’est l’islam, notre collaboratrice Annie Laurent a publié le 12 avril 2017, à point nommé, un livre très éclairant sur les réalités de celui-ci, sans complaisance mais aussi sans animosité. Entretien.

La Nef – Vous publiez un nouveau livre sur l’islam alors que les rayons des librairies en sont remplis. Qu’est-ce qui vous a motivée ?
Annie Laurent – La profusion d’ouvrages sur l’islam démontre un besoin croissant de mieux connaître cette religion dont on se rend de plus en plus compte qu’elle est aussi un système global, difficilement compatible avec la privatisation des convictions religieuses à laquelle la laïcité française nous a habitués. Pour ma part, je suis attachée à la clarté, ce qui résulte sans doute de ma formation de juriste. Avant mon doctorat d’État en science politique (ma thèse avait pour thème « Le Liban et son voisinage »), j’ai obtenu une maîtrise en droit international. Depuis plus de trente-cinq ans, je me bats donc contre les confusions, les ambiguïtés et l’approche superficielle, sentimentaliste et conformiste des réalités propres à l’islam. Une complexité supplémentaire s’y ajoute, à savoir les nombreuses contradictions qui caractérisent le propos des musulmans eux-mêmes : un tel nous assure que l’islam est une « religion d’amour et de tolérance » pendant qu’un autre justifie des pratiques barbares en se référant à ses textes sacrés au contenu irréfutable.
Face à ces désordres mentaux, j’ai adopté le précepte de saint Paul, « La charité met sa joie dans la vérité » (1 Co 13, 6). Je dois dire que j’ai été très encouragée dans cette voie par l’insistance du pape Benoît XVI à remettre la raison à sa juste place.

Est-ce pour cela que vous avez créé l’association Clarifier que nous aimerions mieux connaître ?
En 2009, avec quelques amis, conscients des travers et des pièges que je viens d’évoquer, nous avons créé cette association dont la vocation est d’abord pédagogique, comme le suggère son nom. Nous proposons d’instruire tous ceux qui en ont besoin, pour les aider à porter un regard lucide sur l’islam et à adopter des attitudes ou des décisions responsables. La clarté est indispensable à l’instauration d’un dialogue vrai avec les musulmans. Clarifier poursuit cet objectif sans polémique, mais dans le respect des personnes qui se réfèrent à l’islam. Nous avons un site Internet et nous diffusons un périodique informatique, les Petites Feuilles vertes ; nous proposons aussi des conférences et des sessions de formation (1).

Quels sont les aspects les plus saillants de l’islam que vous avez voulu mettre en évidence dans votre ouvrage ?
Plutôt que d’écrire un compendium des croyances et des rites religieux de l’islam, j’ai préféré, plus concrètement, répondre aux principales questions que soulève sa présence en Europe, présence qui nous trouve dé­semparés par manque de préparation. L’essentiel de mon livre traite des aspects temporels, constitutifs des rapports entre les musulmans eux-mêmes (divisions confessionnelles et idéologiques) et avec le reste du monde (violence et djihad, regard du Coran sur les juifs et les chrétiens), sans oublier l’organisation politique et sociale (citoyenneté, libertés, mariage et famille, charia). Des développements importants concernent, par exemple, le voile islamique, où je démontre que le signe religieux va de pair avec une posture idéologique, ainsi que les mariages islamo-chrétiens, sujet qui est souvent traité chez nous avec trop de légèreté. J’ai aussi tenu à expliquer ce que la miséricorde signifie dans l’islam, qui en reste à l’arbitraire divin et légitime le talion. Une compréhension correcte de tout cela est nécessaire pour éviter de dangereux malentendus.

Quelles sont, selon vous, les erreurs commises par les Occidentaux, en particulier les dirigeants politiques, dans leur perception de l’islam et les décisions qu’ils prennent à ce sujet ?
Depuis plusieurs décennies, nos élites feignent de croire que l’humanité serait entrée dans une ère de paix perpétuelle, que tout le monde aimerait tout le monde, donc qu’il n’y aurait plus d’ennemis. On oublie que la conscience d’une identité européenne, enracinée dans la foi chrétienne, s’est forgée en partie dans la confrontation complexe à l’islam. Une autre erreur consiste à imaginer que toutes les cultures sont appelées à se fondre dans le moule occidental, confondu avec le Bien, et donc à renoncer à leurs propres valeurs et traditions. C’est d’ailleurs pourquoi nos dirigeants cherchent à imposer partout leur vision (démocratie laïque, égalitarisme, droits de l’homme). Ces jugements faux et ces attitudes orgueilleuses sont aujourd’hui démentis par l’ample réislamisation qui n’épargne aucun pays : celle-ci veut s’opposer à des prétentions qui heurtent le sens religieux commun, scandalisé par la sécularisation et ses conséquences, l’oubli de la vertu et le rejet de Dieu de la Cité.

Quel regard portez-vous sur l’attitude de l’Église catholique dans ce domaine ? En êtes-vous satisfaite ?
L’Église, du moins en Occident, n’est pas épargnée par l’irénisme contemporain. En son sein, trop nombreux sont ceux qui ont cru à des « lendemains qui chantent ». Bien sûr, elle a eu raison de s’engager dans le dialogue avec les non-chrétiens, et donc avec les musulmans. Mais il me semble que beaucoup de catholiques, clercs et laïcs, ont mal compris le sens profond de l’enseignement des papes. Le dialogue est une expression de la charité, il configure en quelque sorte les baptisés au Dieu trinitaire qui est un Dieu de relation (ce qui n’est pas le cas d’Allah dans le Coran), comme l’a expliqué Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam (1964), où il qualifie cette démarche de « dialogue du salut ». Or, oubliant cette perspective eschatologique, on en a fait une fin en soi, un insipide « dialogue de salon ». Malgré les fermes rappels du magistère (cf. Evangelii nuntiandi de Paul VI en 1975 ; Redemptoris missio de Jean-Paul II en 1990), on en est souvent encore là. D’où le relativisme qui perdure chez certains théologiens et pasteurs. Dès 1980, à partir de mes premiers voyages au Levant, d’abord en Égypte puis au Liban, et ailleurs ensuite, j’ai perçu l’étonnement des chrétiens de cette région face aux attitudes occidentales.

Vous semblez avoir été très influencée par les chrétiens du Proche-Orient sur ce problème. Mais leur position face à l’islam n’est-elle pas trop partiale ?
On m’a parfois reproché, surtout dans certains milieux catholiques français, y compris au sein du clergé, de manquer d’objectivité à cause de mes fréquentations là-bas. En fait, on a trop longtemps oublié l’existence des chrétiens en Orient, cette région étant confondue à nos yeux avec l’islam ; ou bien, peut-être par complexe post-colonial, on les critiquait hier au Liban quand ils osaient résister par les armes aux prétentions des musulmans cherchant à islamiser ce pays, tandis qu’aujourd’hui on leur reproche de défendre leurs villages irakiens et syriens attaqués par des djihadistes. Au nom d’un impératif démocratique, dont on a perdu de vue que, dans cette région, faute de laïcité, les majorités et minorités sont confessionnelles, la diplomatie française sacrifie trop souvent ces chrétiens qui en souffrent beaucoup. Mais pourquoi, dans notre approche de l’islam, négliger leur expérience si éclairante ? Qualifier leur attitude de partiale est vraiment injuste au regard de l’héroïsme dont ils font la preuve par fidélité à Jésus-Christ.

Comment voyez-vous l’avenir des rapports entre l’Europe et le monde musulman ?
Face aux provocations de l’islamisme, les Européens sont invités à se réapproprier leur héritage chrétien, sans arrogance mais aussi sans complexe, et ceci dans toutes ses dimensions (spirituelle, culturelle, sociale et anthropologique). S’ils veulent être respectés, nos États doivent cesser d’être les « esclaves de leurs pétro-clients » comme je le dis souvent, quitte à renoncer à des contrats avantageux. L’histoire du Proche-Orient nous apprend que l’islam prospère toujours sur la faiblesse des chrétiens. Donc, je n’ai qu’une réponse à votre question : si les Européens ne retrouvent pas une foi vivante et féconde, notre continent sera dominé par l’islam.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

(1) Association Clarifier, Galaxy 103, 6 bis rue de la Paroisse, 78000 Versailles. Site : http://associationclarifier.fr/ Courriel : contact@associationclarifier.fr

L’Islam. Pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore), d’Annie Laurent, Artège, 2017, 282 pages, 19,50 €.
Pour lire régulièrement Annie Laurent dans La Nef, nos lecteurs connaissent ses grandes qualités : clarté alliée à un sens aigu de la pédagogie, courage de nommer les choses sans compromission mais toujours avec nuance. C’est à ces qualités que l’on pense immédiatement en lisant ce livre sur l’islam qui rendra d’immenses services à quiconque essaie vraiment de se faire une opinion aussi objective que possible sur ce qu’est l’islam en vérité et sur les problèmes qu’il pose à notre civilisation occidentale peu préparée à cette confrontation et dont les élites demeurent largement dans le déni, leur schéma mental ne pouvant s’accommoder à une vision qui ne fasse pas des musulmans les éternelles victimes de notre « colonialisme ».
Cet ouvrage reprend les textes qu’Annie Laurent avait publiés dans les Petites Feuilles vertes de l’association Clarifier, mais elle les a retravaillés et ordonnés en chapitres thématiques pour en faire un livre cohérent qui aborde tous les thèmes nécessaires à une juste compréhension de l’islam : le Coran incréé, Mahomet le « beau modèle », l’oumma et les divisions dans l’islam, le lien entre islamisme et islam, avec la question de la violence, le statut de la femme, les chrétiens d’Orient, etc.

C.G.

© LA NEF n°292 Avril 2017