Des médias à la dérive

La campagne électorale a révélé, une fois de plus, le comportement partial jusqu’à la caricature des médias, fameux quatrième pouvoir pourtant nécessaire en démocratie. Analyse.

La séparation des pouvoirs est une donnée fondatrice de la démocratie. Législatif, exécutif et judiciaire ne doivent pas empiéter les uns sur les autres. Le respect de cette séparation est un principe (éthique) qui doit être mis en œuvre dans les comportements (morale). En théorie, il en va ainsi dans la République : la morale fonde ses us et coutumes, son cadre et ses limites, sur des principes fondamentaux. Autrement dit : sur une éthique. Cette dernière et la pensée qui la détermine sont le socle par lequel se définissent nos conduites.

LE RETOUR DE LA FOLLE DU LOGIS ?
Cette conception de la vie politique et sociale, fondement actuel de notre vie en commun, s’applique à chacun et plus encore à qui en sont les gardiens : les hommes politiques prétendant aux responsabilités les plus élevées. Nous attendons de l’homme auquel nous confions le destin de la nation qu’il fonde sa pratique politique sur une éthique distinguant clairement le bon grain moral et juste de l’ivraie immorale et injuste. C’est le bagage minimum du politicien. Le quatrième pouvoir, avant tout acteur de la vie politique, ne devrait pas plus échapper au fondement éthique de la morale commune. On peut se demander si tel est aujourd’hui le cas au sein des médias officiels, ceux qui sont les plus soutenus, les plus diffusés, les plus puissants. De France Inter à TF1, de Libération au Monde en passant par le Canard enchaîné ou Médiapart et RTL, etc., les médias « mainstream » ou reconnus comme « légitimes » devraient sans doute être les plus moraux. Ils forment un pouvoir théoriquement garant et gardien de la démocratie. Le respect de la liberté de ce quatrième pouvoir garantit le respect général des libertés publiques : la liberté de la presse est un critère de la liberté. D’un autre côté, la liberté de la presse est garante du bon fonctionnement de la démocratie par son rôle d’investigation. La presse regarde la morale publique. C’est son rôle. Encore faut-il que l’instance médiatique soit soucieuse d’éthique et de morale. Dans le contexte de l’actuelle campagne électorale, force est de se demander si le quatrième pouvoir n’est pas devenu une sorte de nouvelle folle du logis.

QUAND J’ENTENDS LE MOT « DROITE », JE DÉGAINE MA DOXA IDÉOLOGIQUE
Pénélope-gate. La tournure n’est pas anodine. Elle élève l’actuelle « affaire Fillon » au rang d’un scandale d’État. Il y a pourtant loin d’un système d’espionnage politique à ce qui est reproché à Fillon. La tournure vise à retirer toute légitimité politique et morale à celui qui en est la cible. Cette façon de faire est-elle morale ? On peut en douter.
L’« affaire Fillon » a commencé bien avant les « révélations » du Canard enchaîné. Dès les primaires de la droite, quand Libération titrait « Primaires : au secours, Jésus revient ! Les lobbies catholiques sont-ils en train de désigner le nouveau président ? » François Fillon, annoncé comme candidat « d’une vraie droite » qui, bien que libérale, serait fondée sur des valeurs d’autorité, une droite refusant la culture libérale libertaire. Un candidat en porte-à-faux avec la culture dominante en somme.
Est-il exact que Fillon a détourné de l’argent public ou offert des emplois fictifs à son épouse ? Et Fillon est-il un candidat antisystème ? Rien de tout cela n’est certain et la question véritable est ailleurs. Elle réside dans une autre réalité : en 2006, un sondage IFOP effectué par Marianne au sein de la profession révélait que 94 % des journalistes votent à gauche, souvent pour des candidats de gauche radicale lors des élections. En 2012, une enquête de l’institut Harris montrait que 74 % des journalistes ont voté Hollande lors du deuxième tour des élections présidentielles. Au premier tour, 3 % des journalistes interrogés déclarent avoir voté pour Marine Le Pen. Les médias sont bien éloignés du pays réel. C’est précisément là que le bât blesse : l’instance qui s’érige en gardienne de la moralité publique est suspecte d’être juge et partie, de pratiquer ce qu’elle traque au sein du personnel politique : l’immoralité et le déni des fondements éthiques de sa pratique quotidienne. Les « chiens de garde » autrefois analysés par Serge Halimi confondent en réalité respect de la morale publique et surveillance idéologique de qui dévie de la doxa dont ils fixent eux-mêmes les critères. Tout ce qui s’assimile au mot « droite » est d’emblée hors du monde du Bien.
Pas de « complot » pourtant, un simple conformisme de la pensée partagé par l’immense majorité des médias. Conformisme qui se transforme souvent, au nom de la morale, en une police de la pensée menant de véritables chasses à l’homme. C’est de cela dont « l’affaire Fillon » est le nom. Qu’il soit coupable ou non de ce qui lui est reproché sur le plan financier, Fillon est en premier lieu coupable d’avoir franchi la ligne rouge. C’est pourquoi il est assigné devant le tribunal médiatique et condamné avant tout jugement. Fillon est coupable d’un délit d’opinion : c’est un homme dont on dit qu’il serait de droite. Et cela suffit aux procureurs. Vu sous cet angle, le devenir politique de Fillon ne pose pas seulement la question du devenir d’un homme politique mais bien celle de la moralité de la presse.

LE DÉNI DE DÉMOCRATIE AU NOM DE LA DÉMOCRATIE
Les médias libéraux libertaires ne pratiqueraient-ils pas l’immoralité suprême en République : nier les fondements de la démocratie au nom de ces mêmes fondements ? Cette presse délimite des lignes rouges à ne pas franchir. Des frontières définies comme limites morales. Du côté du mal, la critique « d’évidences » qui ne se discuteraient plus. Les choses étant comme par nature tranchées sur des sujets tels que la société multiculturelle, les politiques migratoires, « l’obscurantisme » chrétien, l’ouverture à un islam modéré, la nation, l’avortement, les droits des minorités, l’égalitarisme éducatif, l’islamophobie, le « vivre ensemble »… Sur ces sujets, la pensée médiatique pensant à 94 % à gauche fixe la limite entre le Bien et le Mal. Un parti pris idéologique détermine ce qui est ou non moral dans la vie publique. Ainsi, la rubrique « L’œil sur le Front » issue de Libération surveille-t-elle le Front National avec l’aide d’organismes universitaires.
Les médias libéraux libertaires développent les outils de contrôle. Le Monde avec ses « Décodeurs » ou la « Désintox » de Libération et d’Arte. Vrai/Faux. Une façon binaire de concevoir la vie politique découlant du vote des journalistes. « Décodeurs » vient d’être prolongé en « Décodex », outil de recherche destiné à indiquer la fiabilité des sites et des médias internet. Sans surprise, tout site clairement de droite ou s’écartant des « évidences » citées plus haut est indiqué comme peu fiable. Ce type d’outils ne respecte pas l’éthique démocratique minimale consistant en un débat contradictoire, pas plus l’acceptation de l’expression des idées d’autrui. Pourquoi ? L’instance qui juge de la fiabilité des sites et des médias sur internet est à l’évidence juge et partie. Le Monde, L’Obs, Le Figaro, Médiapart ou Les Inrocks seraient des médias fiables. Ils ne diffuseraient pas d’informations douteuses. En cherchant, on découvrira que Jour de France est un média lui aussi fiable. Dès que l’on s’éloigne un peu de la doxa, les choses semblent se compliquer. Ainsi, L’Humanité est un média fiable tandis que Valeurs Actuelles est « orange » (imprécis, peu fiable) ou TV Libertés « biaisé ». Dans le même temps, les vingt journaux les plus subventionnés par l’État étant ces mêmes médias qui déterminent les limites morales à ne pas franchir en politique et dans le débat d’idées, il est permis de s’interroger sur leur indépendance et donc sur le respect de l’éthique commune. Parmi ces vingt journaux, on trouve Le Monde, Libération, La Croix, Le Figaro… Ces quotidiens perçoivent entre 4 et 7 millions d’euros chacun par an, au nom d’une liberté de la presse financée par le contribuable. L’Humanité arrive en bonne position avec 3,5 millions d’euros de subvention.

QUI DÉCODERA LES MORALISATEURS ?
Ainsi, aucun journal clairement de droite non libérale n’apparaît parmi les journaux les plus subventionnés par l’État. Les médias officiels n’existeraient pas sans ces subventions et ne mèneraient pas d’actions telles que Décodex sans cet argent ou celui de Google, avec qui ils s’associent pour traquer les sites supposés dangereux politiquement. Google est sans doute un parangon de morale. Dès lors, il n’est guère étonnant que le public se désintéresse de la presse officielle. Cela ressort de l’enquête annuelle de La Croix (4,5 millions d’euros de subvention de l’État). Plus encore qu’un désintérêt, l’enquête montre une défiance générale vis-à-vis de la presse officielle, radio, télévision autant que papier.
De simples questions citoyennes se posent alors : en temps de campagne présidentielle, qui décodera la fiabilité d’informations fournies par une presse et des médias à la crédibilité desquels plus personne ne semble croire, sinon eux-mêmes ? Mais aussi : contre quelles idées politiques et culturelles ce décodage à pleins tubes va-t-il encore servir ?

Matthieu Baumier

© LA NEF n°291 Avril 2017