L’écologie est-elle un conservatisme ?

L’écologie est-elle un conservatisme ? La réponse à cette question paraît évidente : il existe des conservateurs du littoral, de la faune et de la flore, comme il existe des conservateurs de monuments historiques et des beaux-arts. Mais la fonction citée là n’emporte évidemment pas le sens général, et ici politique, du mot. Il existe aussi des conservateurs dans les plats préparés qui n’ont bien entendu rien d’écologique, qui au contraire rendent putride notre alimentation. Soyons clairs : la « nature », en tant que l’on désigne par là l’ordre matériel dans lequel nous vivons, cet ordre du vivant enté sur du gazeux, du liquide et du minéral, cet animé croissant sur et de l’inanimé, n’est aucunement conservatrice car elle n’a aucune conscience d’elle-même. Elle n’est pas progressiste non plus, son seul souci étant sa perpétuation, sous des formes changeantes certes mais dans une temporalité qui n’est pas la nôtre, qui n’est pas celle de l’humain. Les étoiles meurent et nous l’apprenons deux milliards d’années plus tard.
Donc la nature n’est pas conservatrice, c’est le rapport que l’homme entretient avec elle qui doit l’être. Pour cette raison que savent tous les enfants de six ans, qu’à détruire ce dont matériellement nous vivons nous ne nous perpétuerons guère nous-mêmes. Et pourtant, le travail humain, semblable en ceci à l’œuvre de la nature, suppose apparemment de la destruction. Non de la destruction par principe, mais pour créer du neuf, pour adapter à nos besoins ce qui, à l’état brut, ne l’est pas. C’est ainsi sans doute que l’on entend couramment le progrès de la science et des savoirs humains. Si donc l’écologie est la préservation du biotope terrestre général, elle ne peut, à moins de supposer ou de souhaiter la disparition de l’espèce humaine, qu’admettre en même temps le besoin général d’adaptation de ce biotope sous la main de l’homme.
On connaît les séduisantes théories « paléolithiques » selon lesquelles l’homme vivait mieux avant la révolution néolithique qui, entraînant agriculture, construction de villes, élaboration des premiers États, dont le caractère était fondamentalement prédateur, nous aurait pourris durablement, et physiquement, et spirituellement. On aimerait tant qu’elles soient justes ces théories, et elles sont éminemment pratiques pour porter le fer, avec raison, contre notre fonctionnement politique et social actuel, en ce qu’il a de faux, de destructeur d’une partie de notre âme et de notre humanité. Cependant, rares sont ceux qui admettraient pouvoir vivre à l’image des dernières tribus amazoniennes dont l’on suppose qu’elles sont l’image approchante de notre humanité pré-néolithique. Ne serait-ce que pour une raison, très simple mais déterminante : qui parmi nous serait capable de supporter que les femmes meurent en couche une fois sur deux, ou que sa progéniture soit régulièrement décimée ? Quand bien même, nous nous priverions de notre confort matériel, il y a des progrès dans la conservation de la vie qui ne sont plus négociables. Certes, un Ivan Illich tient que notre rapport à la médecine et à l’hôpital nous tue plus qu’il ne nous soigne. C’est véridique sous un certain rapport. Ce ne l’est pas entièrement.
Ainsi donc, si le conservatisme est l’art de préserver ce qui doit l’être parce que la raison et l’expérience en ont démontré les bienfaits, tout en admettant un principe d’expérimentation dans un but d’amélioration réelle de notre condition, il est proprement une écologie. Ce que Gaultier Bès montre avec bonheur dans son dernier ouvrage, Radicalisons-nous ! Suivant la piste de Simone Weil, il prétend que « l’enracinement est de l’ordre du vivant parce qu’il correspond à ce besoin primaire qu’est l’alimentation ». Qu’ainsi l’humain a besoin d’un socle pour se développer, qui est généralement celui dont il naît, et qui lui assure une protection minimale. On a d’ailleurs peu avancé à ce sujet depuis la critique du « progrès » des Lumières que menait un de Maistre il y a deux cents ans.
La véritable question, qui demeure en suspens, est celle du sens supérieur de cet enracinement, que Bès définit ainsi, filant la métaphore légumière et florale : « Brandir “nos racines” en dédaignant les fleurs est aussi absurde, car celles-ci sont justement la raison d’être de celles-là. Si donc il y a demain un conservatisme intégral comme il y a une écologie, il devra être autant une radicalisation qu’une floraison. »

Jacques de Guillebon

Gaultier Bès, Radicalisons-nous ! La politique par la racine, Éditions Première partie, 2017, 138 pages, 7 €.

© LA NEF n°293 Juin 2017