Faut pas prendre les enfants du bon Dieu…

On pourrait croire que nous sommes obsédés par la question. Mais n’est-ce pas le pape lui-même qui la remet sans cesse sur le tapis, ou plutôt sur l’ouvrage ? Les « migrants », les « migrations » sont de tous les débats, cuisinés à toutes les sauces, ramenés en permanence dans l’actualité, écrasant d’ailleurs toute autre question au passage. Le 22 septembre encore, François, s’adressant aux responsables des « migrations » de chaque conférence épiscopale européenne, a réitéré son appel à l’accueil en Europe des « migrants ». Déplorant surtout le fait que les « communautés catholiques en Europe ne (soient) pas exemptes de […] réactions de défense et de rejet » face aux immigrés, il l’a dit fortement : « Je ne vous cache pas ma préoccupation face aux signes d’intolérance, de discrimination et de xénophobie qui se rencontrent dans différentes régions de l’Europe », dus à « la défiance et la peur envers l’autre le différent, l’étranger ». Et de fustiger un prétendu « devoir moral de conserver l’identité culturelle et religieuse originelle ».
Tout ceci n’est pas sans poser aux catholiques que nous sommes ou essayons d’être certaines questions, et même certains problèmes. Car s’il n’y a pas spécifiquement un « devoir moral », il y a dans la doctrine sociale de l’Église (DSE) un droit des nations, ainsi explicité en s’appuyant sur saint Jean-Paul II (1) : « La nation possède un “droit fondamental à l’existence” ; à garder sa propre langue et sa culture, par lesquelles un peuple exprime et défend ce que j’appellerai sa “souveraineté” spirituelle originelle » ; à « mener sa vie suivant ses traditions propres, en excluant naturellement toute violation des droits humains fondamentaux et, en particulier, l’oppression des minorités » ; à « construire son avenir en donnant une éducation appropriée à ses jeunes générations ». Ceci paraît éminemment contradictoire avec les propos de François. Aussi posons-nous la question : quel pape devons-nous suivre en l’occurrence – sachant qu’il ne s’agit heureusement pas de question de foi : saint Jean-Paul II ou François ?
On nous a beaucoup reproché de manquer de respect à la parole du pape actuel. Ce n’est pas du tout notre intention, et nous n’avons nulle volonté de créer du scandale. Mais il faut avouer que nous sommes nombreux à être troublés par son discours en cette matière, qui en plus de faire fi de la pensée traditionnelle de l’Église sur les nations, semble faire peu de cas des réalités actuelles. Et surtout pose, même si ce n’est certainement pas son but, à nouveau la grande question des rapports du spirituel et du temporel. Non point que nous croyions comme certains laïcards que l’Église n’ait son mot à dire dans les affaires humaines – et la DSE que nous venons de citer est là pour témoigner du contraire. Mais cette DSE pose elle-même ses propres limites : « La doctrine sociale implique également des responsabilités relatives à la construction, à l’organisation et au fonctionnement de la société : obligations politiques, économiques, administratives, c’est-à-dire de nature séculière, qui appartiennent aux fidèles laïcs, et non pas aux prêtres ni aux religieux. Ces responsabilités reviennent aux laïcs d’une façon spécifique, en raison de la condition séculière de leur état de vie et du caractère séculier de leur vocation : à travers ces responsabilités, les laïcs mettent en pratique l’enseignement social et accomplissent la mission séculière de l’Église. »

LA RESPONSABILITÉ DES LAÏCS
Alors, en effet, et nul ne le nie, la hiérarchie ecclésiastique est plus que fondée, c’est son devoir même, à inciter ses fidèles à pratiquer la charité, et à se préoccuper des faibles, des pauvres, etc. Mais quant aux moyens politiques à déployer pour en arriver là, elle n’en a pas nécessairement la compétence. Saint Louis, qui n’était pas le dernier des sots, avait bien fait comprendre au pape qu’il serait toujours là pour le défendre contre l’empereur, mais qu’il ne serait jamais l’instrument de ses prétentions temporelles. Jeanne d’Arc savait que Dieu aimait les Anglais, mais chez eux, etc. Aussi est-ce nous, les laïcs chrétiens, qui sommes fondés à décider des moyens pour répondre à ces « migrations ». Mot magique qui ne veut d’ailleurs plus rien dire, ou alors nous sommes trop bêtes pour le comprendre et on voudrait bien qu’on nous explique. Pour François, il y a ainsi eu « une migration » des missionnaires catholiques qui évangélisèrent le monde. Nous voici tous devenus des migrateurs, tels certains oiseaux. Mais il ne faudrait peut-être pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Ou alors, il faudrait rappeler aussi la magnifique migration des colonisateurs européens aux siècles précédents. Migration que nous suggérons de remettre en œuvre aujourd’hui pour aller régler directement la question dans les pays en guerre ou sans État qui provoquent le départ massif de leurs malheureuses populations.

Jacques de Guillebon

(1) Discours à l’Assemblée Générale des Nations Unies pour la célébration du 50e anniversaire de sa fondation, le 5 octobre 1995.

© LA NEF n°296 Octobre 2017