Un énième recylcage de poncifs éventés

On croyait ces sympathiques camarades de la vieille nouvelle droite définitivement guéris. Ils nous font, hélas, une rechute en publiant coup sur coup dans deux de leurs organes de référence, Krisis et Éléments (pour la civilisation européenne), d’affreuses apologies du paganisme et du polythéisme. Sans doute ce zèle, ce démon du crépuscule, est-il à mettre sur le compte de leur récente amitié avec l’alchimiste Michel Onfray qui, préfaçant un jour le livre de Thibaud Isabel, rédacteur en chef de Krisis, qui, s’entretenant un autre jour avec Alain de Benoist, paraît réchauffer leurs ardeurs anti-chrétiennes à l’aide de son atomisme démocritien et de son matérialisme lucrécien – positions philosophiques par ailleurs défendables en raison. Hélas, d’une part, Onfray fidèle à lui-même n’est jamais qu’un demi-philosophe qui, se piquant de théologie en sus, croit que le christianisme, s’il n’est pas matérialiste, est décidément idéaliste, et à ce sujet on ne saurait trop lui recommander avant de parler une prochaine fois d’ouvrir, si saint Thomas est trop complexe pour lui, au moins un ouvrage de Gilson ou de Maritain, il y trouvera la notion de réalisme et pourra s’y faire les dents.

« LA RÉPONSE POLYTHÉISTE »
D’autre part, et c’est là qu’est le scandale, « la réponse polythéiste aux fondamentalismes » d’Éléments n’est qu’un énième recyclage des poncifs les plus éventés sur le christianisme sombre, doloriste et tortionnaire qui aurait, par on ne sait quel formidable tour de passe-passe, substitué sa répugnante vision du monde à celle, lumineuse, aristocratique, guerrière, érotique, écologique et toutes sortes de grands qualificatifs que vous pourriez trouver, du paganisme antique. Notons que les « fondamentalismes » évoqués dans le titre ne sont jamais définis dans le magazine, et que le subterfuge qui consiste à attaquer le christianisme en prétextant que, puisque tous les monothéismes sont les mêmes, on peut lui imputer les crimes actuels de l’islam, en plus de sa nullité digne d’une vielle prof de gauche, n’est même pas assumé. Notons encore qu’il n’y a nulle part de définition du polythéisme ou du paganisme dont les auteurs se réclament, sinon que cela ressemble à un temps paysan, joyeux et grivois plus inspiré de la chrétienté médiévale que de la sévère Rome antique bâtisseuse de villes, de grandes routes et d’aqueducs ultra-technicisés. Mais diantre, quand il s’agit de fantasmes, comme c’est à l’évidence le cas, on ne va pas faire la fine bouche. Ainsi, curieusement, les références culturelles convoquées par le bimestriel sont-elles toutes formidablement chrétiennes, qu’il s’agisse de Bloy, de Rohmer ou de Cheyenne-Marie Carron. Dur, dur, d’être un païen de nos jours.

PARADOXALEMENT RELATIVISTE
Plus : la véritable aporie de ce discours, outre qu’il se signale par une aversion pour le christianisme trop virulente pour être honnête, tient dans le rapport au relativisme qu’il entretient. Les disciples de de Benoist partagent généralement avec nous une aversion pour le « progrès » contemporain en tant qu’il se fonde précisément sur un relativisme profond, notamment à propos de la nature de l’homme, qui serait modifiable à l’envi. Mais dès lors qu’il s’agit de justifier le polythéisme contre la morale chrétienne, c’est à un véritable festival relativiste qu’on assiste : chaque culture humaine aurait sa beauté propre, sa liberté, ses dieux locaux – on peut d’ailleurs pratiquer un échangisme divin de bon aloi avec ses voisins si ça nous chante – ses vertus qu’elle n’aurait pas à justifier, bref sa morale tellurique, forcément bonne et incritiquable. Ce qui conférerait son infinie tolérance au monde païen, comme chacun sait, doublée du pacifisme le plus fort. Mais quel monde païen encore une fois ? Celui des guerres médiques et des 40 000 morts de Salamine ? Celui de l’Égypte esclavagiste ? Ou celui des sacrifices humains des Ranes de l’île de Rügen qui, au Xe siècle encore, offraient chaque année au dieu Sventovit un chrétien tiré au sort ? Ou encore celui de la Rome qui fit des dizaines de milliers de martyrs chrétiens ? On ne sait plus où donner de la tête parmi cette myriade de sociétés ouvertes, tolérantes et non-violentes de l’Antiquité, qui assurément haussaient l’homme et tiraient le meilleur de lui-même. Comme on regrette qu’elles aient disparu pour se voir remplacer par le doux Jésus et sa charité infinie.
Finalement, tout ceci à quoi l’on est habitué depuis cent cinquante ans resterait anecdotique, folklorique si ne s’y révélait un étrange mouvement de haine de soi, à travers les figures du judaïsme comme du christianisme, que ses auteurs, pour certains venus de nous, reprochent habituellement à leurs ennemis droit-de-l’hommistes. Une chimère, mi-scientiste, mi-fantasmatique, dont le pouvoir n’est que de destruction.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°295 Septembre 2017