La nouvelle version du Pater

« Seigneur apprends-nous à prier » disent les apôtres à Jésus (Lc 11). « Lorsque vous voulez prier, dites : Notre Père, etc… ». Le Pater est la prière enseignée par Dieu le Fils Lui-même à ses frères humains. C’est dire son importance et sa perfection. Mais le problème c’est que cette prière a d’abord été donnée en araméen puis transcrite en grec par les évangélistes, avant d’être traduite en latin par saint Jérôme et enfin en langues vernaculaires par les liturgistes… Or « traduttore, traditore » disent les italiens. Celui qui veut traduire court souvent (pas toujours) le risque de trahir la pensée de l’auteur.

Toujours est-il qu’en 1966 il fut décidé de trouver une traduction française au latin « et ne nos inducas in tentationem ». Quelle traduction adoptée dans la liturgie ? La réponse trouvée fut : nous prenons la traduction des protestants, ce sera un geste œcuménique. Cela donnait : « ne nous soumet pas à la tentation ». En 1969, l’abbé Jean Carmignac propose la traduction « fais que nous n’entrions pas en tentation ». En 1992, saint Jean-Paul II offre le Catéchisme de l’Eglise Catholique. En y lit au numéro 2846 « Traduire en un seul mot le terme grec est difficile : il signifie « ne permets pas d’entrer dans », « ne nous laisse pas succomber à la tentation ». Il existe en effet une certitude : « Dieu n’éprouve pas le mal, Il n’éprouve pas plus personne » (Jc 1, 13) ». D’où l’incompréhension suscitée par la traduction choisie qui laissait entendre, au sens premier, que Dieu pourrait tenter les hommes. Un Dieu qui fait le mal ? Le CEC continue : « Nous demandons [à Dieu] de ne pas nous laisser prendre le chemin qui conduit au péché. Nous sommes engagés dans le combat « entre la chair et l’esprit ». Cette demande implore l’Esprit de discernement et de force ».

Il a donc fallu attendre plus de 50 ans (deux générations) pour que la traduction française soit enfin revue… C’est objectivement un scandale. Quelle solution a été choisie ? La Conférence des Evêques de France a finalement opté pour « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Cette traduction entrera en vigueur à partir du premier dimanche de l’Avent (3 décembre 2017). Est-ce une bonne traduction ? Elle est incontestablement meilleure que la précédente. Mais est-elle satisfaisante ? Il semble que « non » pour au moins deux raisons.

1/ Pour une raison « pastorale ». Nous aurons bientôt trois manières de dire le Pater en français : l’ancienne version liturgique qui va perdurer dans un certain nombre de lieux (avec l’apparition « cocasse » de fidèles et/ou de prêtres progressistes qui vont devenir « conservateurs en liturgie » parce qu’ils voudront garder la version antérieure (« ne nous soumets pas »), la nouvelle version liturgique (« ne nous laisse pas entrer ») et l’ancienne version française de nos aïeux (« ne nous laissez pas succomber »).

2/ Pour une raison « théologique ». « Entrer en tentation » est-il meilleur que « succomber à la tentation » ? Il semble que « non » car le péché est une déchéance. « Succomber » semble donc plus évocateur de ce qu’est le péché et de ses conséquences que le verbe « entrer » qui est plus neutre. Pour d’autres, il semble que « oui » car, à Gethsémani, Jésus invite ses apôtres à prier « pour ne pas entrer en tentation » (cf. Mt 26, 41).

Quoi qu’il en soit, comment ne pas se poser la question : pourquoi les évêques français n’ont-ils pas opter pour « ne nous laissez pas succomber » ? Pour ne pas laisser penser qu’ils retournaient en arrière ? C’est plus que probable. Pourquoi faire « simple » quand on peut faire « compliqué » ? Une chose est claire : nous allons donc entendre une belle cacophonie pendant un bon nombre d’années dans nos églises. Essayez, par exemple, de réciter votre chapelet en français avec d’autres fidèles et vous pourrez l’entendre…

Mais nous pouvons aussi nous poser d’autres questions : « nous avons déjà eu deux versions, quand aura-t-on une troisième version officielle ? », ou encore « pourquoi ne pas prier le « Notre Père » en latin pour retrouver une certaine unité ? » En résumé : il faut se réjouir du changement de traduction car elle est meilleure que la précédente mais nous pouvons aussi déplorer le choix opéré. Une belle occasion liturgique manquée… Encore une. Dommage !

Abbé Laurent Spriet

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