Joseph Thouvenel

Quel code du travail ?

Dans le débat sur la énième modification du Code du Travail, la question qui se pose est celle-ci : nos difficultés économiques et sociales sont-elles dues principalement à ce Code ?
S’il est souhaitable de le simplifier, ces allégements ne résoudront pas pour autant nos difficultés. En effet, dans le cadre d’un marché unique et d’une mondialisation prégnante, nous subissons une véritable concurrence déloyale en matière fiscale, environnementale et sociale.
C’est le cœur du sujet.
Je ne prendrai qu’un exemple. Vous gagnez au loto et vous êtes passionné par les produits de nettoyage, choisissez-vous de construire une usine de fabrication de lessive en France ou en Bulgarie ? Dans le premier cas, vous aurez à respecter nombre de normes fiscales, environnementales et sociales. Dans l’autre, vos obligations seront des plus légères, alors que vous vous trouverez en compétition au sein du même marché. Vous jouez la même partie, mais avec des règles différentes. Ce sont des centaines de milliers d’emplois qui sont en jeu.

UNE RÉPONSE À LA MARGE
Les modifications proposées par le gouvernement ne répondent qu’à la marge à ce défi et encore cette marge est structurellement viciée par une vision étroitement matérialiste du monde du travail.
Le plus choquant est le plafonnement des indemnités qu’un salarié pourrait obtenir en réparation d’un préjudice.
Le grand principe du droit de la responsabilité civile qui veut qu’un juge, après avoir constaté et mesuré un préjudice, puisse fixer une réparation correspondant au dommage subi par la victime est désormais valable pour tous à l’exception des salariés. L’Union Syndicale des Magistrats, considérée comme modérée, a réagi en estimant que « ce projet porte une atteinte inédite et particulièrement grave à l’office du juge ».
Autre point inquiétant, l’élargissement du champ de la négociation de l’entreprise, qui permettra par exemple à un employeur de supprimer les primes (rentrée scolaire, maternité, ancienneté, etc.) prévues par la convention collective. C’est la porte ouverte au moins-disant social, redoutable processus qui tire l’ensemble de la collectivité vers le bas.
Quelle logique y a-t-il à déclarer vouloir combattre les distorsions de concurrence au sein de l’Europe, tout en favorisant ce dangereux processus dans notre pays ? L’argument avancé est celui de la proximité : l’entreprise qui connaît ses clients, son marché, ses obligations, ses perspectives, serait plus à même de fixer ses propres règles. En fait, ce qui pourrait sembler être du bon sens n’est que la traduction dans les textes de l’hyper-individualisme qui ronge notre société.
Pour la CFTC, la branche est un bon niveau de régulation. Elle connaît les spécificités, les contraintes, les possibilités de son secteur. L’intérêt d’une profession, c’est de pouvoir agir dans le cadre d’une concurrence loyale, où chacun a les mêmes droits et les mêmes devoirs. Quand une branche fixe des minima salariaux ou une durée de congé maternité supérieure au socle national, c’est la garantie que, dans ce secteur, la légitime compétition entre entreprises ne se fera pas sur la recherche de la rémunération la plus basse ou au détriment des mères de famille.

UNE IDÉOLOGIE MATÉRIALISTE
Si, l’argument de la proximité doit l’emporter, que le politique commence par l’appliquer dans son champ de responsabilité directe ! Qui mieux qu’un maire connaît ses administrés, son territoire et les besoins des uns et des autres ? Laissons donc chaque municipalité fixer ses propres règles en lui permettant de déroger aux lois nationales… Cela nous promet tout simplement un beau bazar.
Si, dans les petites entreprises, il est possible de déroger à l’obligation de verser des primes prévues par la convention collective, quelle garantie existe-t-il pour qu’un donneur d’ordre n’impose pas à un sous-traitant la suppression des dites primes afin de faire baisser les coûts de production ? La petite entreprise n’aura pour choix que d’obtempérer ou de perdre son client.
Autre danger, le changement du périmètre du licenciement économique. Aujourd’hui, si une multinationale veut licencier, c’est la situation de celle-ci dans les pays où elle est implantée qui est prise en compte pour apprécier ses difficultés financières. Avec les ordonnances, seuls ses résultats en France feront foi. Il faut être d’une grande naïveté pour croire que des entreprises qui s’organisent pour ne quasiment pas payer d’impôts sur le territoire national n’auront pas la capacité de manigancer des montages pour plomber les comptes de leurs filiales françaises et justifier ainsi des licenciements économiques.
Je crains que les impératifs de l’idéologie matérialiste l’emportent sur quelques principes essentiels, comme le respect de la valeur travail qui, comme l’affirme la doctrine sociale de l’Église « n’est pas une simple marchandise ou un élément impersonnel de l’organisation productive », la personne étant « la mesure de la dignité du travail ».

Joseph Thouvenel

Joseph Thouvenel est vice-président de la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC).

© LA NEF n°296 Octobre 2017