Église en Égypte © Pixabay

Être chrétien en Égypte et en Turquie

«L’insurrection djihadiste essaime de plus en plus vers la vallée du Nil où se multiplient les attaques contre la communauté copte, dont une centaine de membres ont été tués depuis un an », écrivait le quotidien Le Monde dans son édition du 24 octobre, faisant allusion aux agressions commises contre les chrétiens d’Égypte par des islamistes de Daech. Lorsqu’éclata la révolution, en janvier 2011, les chrétiens (environ 10 millions pour 93 millions d’habitants) étaient pourtant pleins d’espoir, au point de participer activement aux manifestations, aux côtés de musulmans dont ils partageaient les revendications en faveur d’une démocratisation de la vie publique et d’un vrai développement social. Car, jusque-là, les coptes étaient soumis à une dhimmitude de facto qui les privait de l’égalité citoyenne avec leurs compatriotes.
Mais, après la chute du président Moubarak (février 2011), la situation s’est rapidement détériorée pour eux. En effet, les Frères musulmans, qui n’avaient rien à voir avec le déclenchement de la révolte, surent habilement s’en emparer, profitant de l’inorganisation des insurgés et de l’influence qu’eux-mêmes ont acquise au sein de la société grâce à leurs œuvres sociales et aux nombreuses mosquées qu’ils contrôlent depuis longtemps. Ainsi, les élections législatives de l’hiver 2011-2012 donnèrent une victoire écrasante aux candidats islamistes ; puis, le scrutin présidentiel de juin 2012 engendra le gouvernement calamiteux de Mohamed Morsi, relais servile des Frères musulmans, qui pratiqua une politique résolument sectaire envers les chrétiens. À partir de l’été 2013, le renversement de Morsi par le maréchal Abdelfattah El-Sissi, chef des Forces armées, soulagea les coptes. Ceux-ci sont rassurés par un discours présidentiel où la notion de citoyenneté prime celle de l’appartenance confessionnelle et par les gestes de considération du nouveau chef de l’État (assistance à la messe de minuit dans la cathédrale Saint-Marc au Caire, deuil national après l’assassinat des 21 coptes décapités par Daech sur une plage de Libye, etc.). Pour autant, le pouvoir ne parvient pas à juguler l’appétit de vengeance des islamistes, malgré la répression qu’il inflige à leurs cadres, si bien que les chrétiens vivent dans un état d’insécurité permanente. Parmi les fidèles des différentes Églises présentes dans le pays (latins, melkites, chaldéens, maronites, protestants, etc.), les coptes sont particulièrement visés car ils s’identifient le plus à la nation égyptienne.

LE CAS DE LA TURQUIE
En Turquie, la situation des chrétiens n’atteint pas le niveau dramatique de l’Égypte, car les violences n’y sont pas spectaculaires. Pourtant, leur sort n’est guère enviable. Dans ce pays musulman réputé laïque, le christianisme est passé en un siècle de 20 % à 0,1 % de la population. On compte aujourd’hui 80 000 baptisés pour 79 millions d’habitants. Ce déclin numérique résulte du traitement injuste réservé aux deux seules minorités chrétiennes reconnues par l’État en application du traité de Lausanne (1923), acte fondateur de la Turquie moderne : les Arméniens, qui sont très majoritaires, et les Grecs, ces derniers relevant du Patriarcat œcuménique de Constantinople, titre qui est d’ailleurs refusé à son titulaire, Bartholomée Ier, lequel n’est considéré que comme le chef de la minuscule communauté orthodoxe (environ 3000 âmes) encore présente dans l’ancienne capitale byzantine. Arméniens et Grecs sont soumis à d’incessantes humiliations et spoliations, telles que la fermeture arbitraire de leurs instituts de formation des séminaristes, ce qui menace leur pérennité en tant qu’Églises, ou le refus de restituer les biens immobiliers qui leur ont été volés. Quant aux autres chrétiens, membres d’Églises qui se rattachent à Antioche (maronites, assyro-chaldéens) ou latins et protestants, ils ne jouissent pas de la personnalité juridique, ce qui a des conséquences très dommageables pour la défense de leurs intérêts. La réislamisation accélérée du pays sous la direction du président Recep-Tayyip Erdogan n’a rien de rassurant. C’est pourquoi, note Sébastien de Courtois, excellent connaisseur du pays, en Turquie, la survie des chrétiens est un mythe (1).

Annie Laurent

(1) Lettres du Bosphore, Le Passeur, 2017.

© LA NEF n°298 Décembre 2017