Alep en ruine © SOS Chrétiens d'Orient

L’espoir n’est pas mort !

Rencontres avec des chrétiens d’Irak et de Syrie : malgré les dévastations de la guerre, malgré les persécutions et les souffrances, les chrétiens espèrent toujours un avenir plus paisible.

«Ne croyez pas que la victoire sur l’État islamique règle tous nos problèmes », lâche dans un sourire qu’on sait douloureux une mère de famille chrétienne réfugiée depuis trois ans à Erbil, au Kurdistan irakien. Comme tant d’autres, elle a fui Mossoul en quelques heures avec son mari et ses enfants, laissant derrière elle plus encore qu’une vie : une histoire familiale. Un départ « douloureux » évidemment, mais « inévitable ». Inévitable parce que ce jour de juin 2014, l’État islamique ne leur laisse pas le choix. « Ou plutôt si, celui de nous convertir à l’islam, de payer un impôt ou de mourir. Jésus est notre seule Lumière, payer nous était impossible, alors il a fallu partir. »
La récente victoire de la coalition internationale sur l’État islamique devrait lui redonner une raison d’espérer, et pourtant non ! Cette organisation terroriste les a poussés à prendre une décision qui les travaillait, en réalité, depuis de longues années. Intimidations, menaces, humiliations… Le règne des milices qui sévissaient depuis la chute de Saddam Hussein rendait déjà le quotidien de cette famille invivable. Beaucoup sont partis ces dernières années, « mais il fallait des moyens que nous n’avions pas », précise cette femme. De famille en famille, le constat s’impose : l’espoir n’est plus de mise et seule l’espérance réussit à se frayer parfois un timide chemin dans leur quotidien. « Dieu est la dernière chose qui nous reste, on le trouve parfois bien silencieux, mais nous savons qu’Il nous aime », confie un jeune homme originaire de Qaraqosh. Il a, à ses côtés, de jeunes volontaires de l’association française SOS Chrétiens d’Orient et trouve en eux une source d’espérance, justement : « Nous n’avions plus tellement de raison d’espérer dans ce pays mais ces jeunes Français sont arrivés. Ils ont une joie communicative et c’est finalement comme s’ils espéraient pour nous. C’est étrange mais nous leur devons beaucoup ces dernières années, beaucoup plus qu’ils ne l’imaginent eux-mêmes. »
Difficile d’envisager un avenir dans le pays, plus encore depuis que les forces kurdes et irakiennes s’affrontent militairement au lendemain du référendum d’indépendance du Kurdistan. Certains irréductibles évoquent la volonté d’assurer ou de maintenir une présence chrétienne dans le pays, mais l’immense majorité rêve d’un quotidien paisible dans lequel imaginer un avenir pour sa progéniture.

LE CAS DE LA SYRIE
De l’autre côté de la frontière, l’État islamique a également pris une raclée. Raqqa, son fief syrien, est tombé sous les coups incroyablement destructeurs de la coalition internationale. Une victoire de plus contre les islamistes qui ne cessent de reculer sous la pression des armées russe et syrienne depuis plusieurs semaines. « La victoire semble être une possibilité pour la première fois depuis sept ans », confie un père de famille aleppin. Il faut dire que la ville s’offre une renaissance méritée après des années de combats acharnés et terriblement meurtriers. Avant décembre dernier, les parents craignaient chaque matin pour la vie de leurs enfants tant les chutes d’obus étaient imprévisibles autant que nombreuses ; les pénuries d’eau et d’électricité rendaient le quotidien particulièrement éprouvant et la perspective d’une reddition de la ville aux groupes d’opposition qui l’encerclaient faisait trembler les plus déterminés.
Joseph Nounou est chargé du suivi des projets de l’association SOS Chrétiens d’Orient à Alep, association dont il a rencontré certains membres au cœur de la guerre. Il est chrétien, syrien, père de trois enfants, et il s’est naturellement posé la question de l’exil pendant la guerre. Il avait même entamé une demande de visa, à contrecœur mais par réalisme, avant de renoncer au projet. « J’ai beaucoup réfléchi et j’ai réalisé que je ne pouvais pas partir pendant la guerre. Les risques étaient énormes, notre vie difficile, les déplacements de nos enfants terriblement angoissants… Nous avons découvert pendant six ans combien la vie est fragile finalement. Mais j’ai renoncé à partir pour une raison simple : ma mission était d’être auprès des plus vulnérables, comme j’ai toujours essayé de l’être. Ils avaient besoin de nous avant la guerre, mais qui allait veiller sur eux pendant la guerre si nous partions tous ? J’ai compris que c’était auprès de mon peuple et dans ma ville que m’attendait le Seigneur. » Quelques mois après la reprise de la totalité de la ville par l’armée arabe syrienne, Joseph Nounou est fier de retrouver peu à peu une vie normale après l’enfer. La ville est tristement défigurée, mais libre. « Nous reconstruirons les pierres, mais il va aussi falloir penser à soigner les cœurs », confie celui qui redoute parfois un chemin interminable avant de réussir à pardonner à tous les acteurs de cette guerre. « Nous l’avons subi du début à la fin, parce que des étrangers, qu’ils soient combattants ou politiques, réglaient leurs comptes dans notre pays, sans que nous n’ayons rien demandé », résume-t-il, à l’instar de tant de ses compatriotes.
Contrairement à l’Irak, la Syrie possède encore un gouvernement et des institutions qui n’ont cessé de fonctionner pendant la guerre. Contesté, voire combattu, ce gouvernement est malgré tout resté le nécessaire garant de l’ordre établi dans le pays. Beaucoup de Syriens ont tenté d’expliquer ainsi leur soutien à leurs institutions, sans être forcément écoutés. « Nous n’en sommes plus à discuter des dossiers politiques qui peuvent nous opposer, il s’agit depuis des années de notre survie. Que vous le vouliez ou non, c’est bien l’armée syrienne qui nous a défendus et qui a permis à notre pays de ne pas finir comme l’Irak. Nous voyons depuis des années des Irakiens affluer chez nous parce qu’on a injustement détruit leur pays. Beaucoup de choses n’allaient pas, c’est certain, mais ils vivaient chez eux, au moins. C’est pareil pour nous », répète inlassablement une jeune étudiante damascène exaspérée que les Occidentaux refusent de comprendre ce qui relève pour elle de l’évidence.
A Alep, les chrétiens ne se sont pas plus défendus que les autres civils : ce sont les armées russe et syrienne qui combattaient les différents groupes d’opposition qui encerclaient la ville et en occupaient la partie est. Mais, à des centaines de kilomètres, certains villages – ou petites villes – chrétiens se sont organisés pour résister. C’est le cas de la ville de Mhardeh dans laquelle les jeunes ont suivi les plus expérimentés, résolus à rester dans leur pays et à y demeurer chrétiens. Rien d’anarchique là-dedans, la résistance armée s’est établie en accord avec l’armée arabe syrienne : les habitants assuraient eux-mêmes leur défense, de façon très professionnelle, avec du matériel parfois fourni par l’armée elle-même. « Concrètement, c’est Al Nosra qui a attaqué notre ville plusieurs fois et ce sont ses combattants qui menaçaient donc ouvertement notre présence en Syrie. Il nous a semblé parfaitement normal de travailler en bonne intelligence avec l’armée syrienne qui a le même ennemi que nous », assume Simon, le chef des résistants de la ville. Certains ont perdu la vie dans ces combats, mais Al Nosra n’est jamais rentré. C’est la légitime fierté des habitants de Mhardeh. D’autres jeunes ont décidé de s’engager dans une unité de protection du lieu. Concrètement, ils interviennent à chaque attaque ou chute d’obus qui aurait touché des civils : ils soignent, reconstruisent, accompagnent… Aucun d’eux n’a compté son temps pendant cette guerre pour une raison simple : « Je me reposerai plus tard, pour l’instant c’est mon pays qui est en danger de mort et notre présence chrétienne qui est remise en cause. Quand bien même pourrais-je dormir que je n’y arriverais pas », résume Salem, un jeune engagé dans le groupe de défense de Mhardeh.
Des rives de l’Euphrate aux confins de l’arrière-pays syrien, ces chrétiens marquent par leur espérance plus encore que par leur courage. « Nous savons qu’après la croix vient la résurrection », lâche presqu’innocemment la mère endeuillée d’une jeune Irakienne morte à Mossoul, « et c’est là notre raison de vivre ». Un témoignage qui rappelle celui d’une toute jeune fille copte qui avait fui l’Égypte après avoir eu les bras lacérés par deux Frères musulmans en raison de sa foi chrétienne. À la question de savoir pourquoi elle n’avait pas menti pour s’en sortir, du haut de ses 7 ans, cette réponse définitive : « Mais si je ne leur avais pas parlé de Jésus, qui l’aurait fait ? »
Il y avait finalement, dans cet incroyable héroïsme enfantin, la raison d’être et de perdurer de ces chrétiens orientaux, si bien résumée par l’ancien patriarche de l’Église grecque-melkite catholique, Grégoire III Laham : « Il faut que les chrétiens demeurent en Orient non par principe mais parce qu’ils ont un message à transmettre. Et c’est dans les ténèbres qu’il y a le plus besoin de la Lumière. »

Charlotte d’Ornellas

Charlotte d’Ornellas, journaliste à Valeurs actuelles, a participé à la fondation de SOS Chrétiens d’Orient et s’est plusieurs fois rendue au Proche-Orient. Elle a publié un livre d’entretien avec Grégoire III Laham, patriarche de l’Église catholique melkite, Ne nous laissez pas disparaître. Un cri au service de la paix ! (Artège, 2016).

© LA NEF n°298 Décembre 2017