Guillaume Pitron © www.guillaumepitron.com

La guerre des métaux rares : nouvelle dépendance

Transition énergétique écologique, révolution numérique… on nous promet un monde « propre » affranchi du pétrole, alors que nous nous créons en fait une nouvelle dépendance : celle des métaux rares. C’est ce que démontre Guillaume Pitron dans un ouvrage fouillé, La guerre des métaux rares (1), fruit de six années d’enquête.

Transition énergétique, transition numérique, green tech, l’avenir serait au vert et à la sortie des actuelles dépendances énergétiques. C’est un dogme répandu mais faux, auquel s’attaque l’enquête du journaliste Guillaume Pitron (Le Monde diplomatique, Géo, National Géographic). Une immersion dans un monde dont il faut bien reconnaître que nous savons peu, sinon rien – celui des « métaux rares ».

VOUS AVEZ DIT « MÉTAUX RARES » ?
Six ans d’enquête conduisent Guillaume Pitron à démontrer que l’économie dite verte, la transition écologique, les énergies renouvelables et la transition numérique ont un fort impact sur l’environnement. Pourquoi ? Ces transitions sur lesquelles se fondent la majeure partie des décisions économiques, politiques, militaires ou géopolitiques prises par les gouvernements des pays jouant un rôle moteur dans la mondialisation, ne sont en rien l’édifice solide et d’avenir que veulent montrer leurs principaux acteurs, tant politiciens qu’industriels. Tout au contraire : les transitions écologique et numérique reposent sur une base fragile. Elles n’existent que par la grâce des « métaux rares », dont les plus connus sont le graphite, le cobalt ou le tungstène, et qui, avec d’autres aux noms étranges, ainsi l’indium, les platinoïdes ou les « terres rares », entrent dans la fabrication de tous les objets technologiques dont nous avons l’usage, depuis nos ordinateurs jusqu’à nos téléphones, en passant par les avions ou les nanotechnologies des nouveaux usages médicaux. Ces métaux sont partout, à commencer par le numérique, et ils sont supposés être le socle de la transition énergétique conçue en tant qu’outil de protection de la planète.
Et pourtant… ils sont nocifs avant tout. Le consommateur occidental souhaite sans cesse de nouveaux objets miniaturisés, à commencer par son téléphone portable ? Or, si ce dernier est de moins en moins imposant, c’est qu’il contient un métal minuscule dit « rare », mais qui produit une puissance sans commune mesure par comparaison avec un métal d’usage plus ancien. Il en va de même dans nombre de domaines : technologies de l’information et de la communication, numérique, voitures électriques, outils permettant le développement des énergies renouvelables, ainsi les éoliennes, objets ou jouets connectés… jusqu’à la nouvelle génération de compteurs électriques en passe d’être installée dans chaque foyer français. Ce qui peut de prime abord sembler un progrès (des métaux comme outil d’une transition verte de l’économie mondiale) est en réalité problématique.

« LA FACE CACHÉE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ET NUMÉRIQUE »
Les « métaux rares » sont plus difficiles à extraire du sol et des roches que les métaux classiques, auxquels ils se mêlent d’ailleurs souvent. Ils existent en doses infimes et cette dose doit être séparée de la roche, ce qui nécessite des solvants chimiques polluants et rejetés en masse dans la nature. Les principaux sites d’extraction et les principales réserves de « métaux rares » se trouvent dans des pays où les règles de protection de l’environnement et des employés sont bien moins strictes que dans le monde occidental, lequel a, de fait, confié la gestion de l’extraction polluante des « métaux rares » dont il a besoin aux pays en question. À commencer par la Chine, pays qui exerce aujourd’hui une impressionnante préséance dans ce domaine des « métaux rares » sans lesquels l’économie mondiale actuelle ne peut fonctionner.
Ces « métaux rares » sont une trentaine, associés en proportion infimes aux métaux abondants, ainsi le fer, et coûtent cher pour être extraits et purifiés. Ainsi, il n’est plus temps de s’inquiéter d’un éventuel « éveil » de la Chine, ce dernier ayant eu lieu depuis belle lurette, mais plutôt de trouver comment composer avec un partenaire difficile qui contrôle les manettes de notre économie : la Chine détient le quasi-monopole de nombre de ces métaux, et maîtrise les technologies attenantes, technologies que nous avons transférées à l’époque du dogme d’économies vouées à n’être que de service. Illusion qui s’est écroulée, laissant bien des chômeurs dans le sillage de la désindustrialisation. Les « métaux rares », c’est en premier lieu la Chine.

DERRIÈRE LE MYTHE DE L’ÉCONOMIE VERTE ? LA CHINE
La Chine est en situation de suprématie, souvent monopolistique, à l’échelle mondiale, en ce domaine des « métaux rares », devenus cruciaux tant pour notre économie que pour nos positions géostratégiques, lesquelles sont de fait aujourd’hui indissociables. L’Empire du Milieu domine ainsi le secteur stratégique, sur le plan militaire en particulier, des super-aimants, au point d’être incontournable pour la production tant des missiles longue portée que des avions de chasse américains, qui dépendent de l’approvisionnement en « métaux rares », métaux dont la quantité exigée est infime mais sans lesquels plus aucun pays du monde ne peut concurrencer la Chine dans le domaine des technologies modernes. Au sujet de l’un de ces métaux, les « terres rares », Guillaume Pitron pose ainsi le problème : « Le marché annuel des terres rares avoisine la somme dérisoire de 6,5 milliards de dollars, soit 276 fois moins que celui du pétrole. Mais, compte tenu de la présence de ces petits métaux dans à peu près tout ce que nous consommons, les retombées de cette industrie microscopique prennent des proportions gigantesques » dans l’économie.
Mais aussi en géopolitique : il n’est concrètement pas d’économie verte ou de transition écologique et numérique sans compromis avec la Chine. Ce pays produit ainsi 61 % du silicium, 84 % du tungstène, 95 % des « terres rares », etc., si bien que la Chine est de facto « le pays le plus influent en ce qui concerne l’approvisionnement mondial en maintes matières premières critiques ». Pire : « sa prééminence est devenue telle que, dorénavant, tout ce qui se décide à Pékin a nécessairement des effets partout dans le monde. » L’Empire du Milieu n’a donc jamais mieux porté son nom : il occupe le centre du mode de vie de la mondialisation, en exerçant un pouvoir sans réelle concurrence en ce qui concerne les « métaux rares ». Or, la production de ces métaux, censés permettre le passage mondialisé de l’humanité à l’ère appelée de ses vœux par un Jeremy Rifkin (La Troisième révolution industrielle, Les Liens qui Libèrent, 2012), véritable gourou de la techno-science prétendument « verte », très influent dans l’entourage des mouvances sociales-libertaires, tant auprès des Clinton que d’Emmanuel Macron (une ère qui verrait les technologies transformer positivement nos modes de vie tout en protégeant la planète, par mise en retrait des anciennes sources d’énergie trop polluantes), cette nouvelle production est justement, et à court terme, au moins aussi polluante.

L’ÉCONOMIE VERTE EST UN MYTHE
L’économie verte est un mythe, et l’avertissement ne vient pas que de zadistes gavés de cannabis. Guillaume Pitron cite par exemple Carlos Tavares, PDG de PSA : « Si on nous donne instruction de faire des véhicules électriques, il faut aussi que les administrations et les autorités assument la responsabilité scientifique. Parce que je ne voudrais pas que dans 30 ans on ait découvert les uns ou les autres quelque chose qui n’est pas aussi beau que ça en a l’air sur le recyclage des batteries, l’utilisation des matières rares de la planète ou sur les émissions électromagnétiques de la batterie en situation de recharge. » Sans compter ce que nous savons déjà sur les conditions de travail des enfants dans les mines d’extraction de ces « métaux rares », dans les « villages du cancer » du nord de la Chine, mais aussi dans plusieurs pays africains.
Au fond, la question des « métaux rares » montre clairement que l’économie verte est une illusion aussi néfaste que l’idéologie du Progrès dont elle découle, et que ses présupposés participent de la déshumanisation de nos vies autant que de la destruction de l’environnement. Elle confirme cette intuition qui devient aujourd’hui un devoir : la nécessité urgente de penser une écologie intégrale et de retrouver le sens de la limite. Car le dogme de la transition énergétique ne sert qu’à délocaliser la pollution en changeant de dépendance, guère plus.

Matthieu Baumier

(1) Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018, 296 pages, 20 €.

© LA NEF n°304 Juin 2018