Mgr Ladaria Ferrer © José Santamaria Cruz-Commons.wikimedia.org

Rome recadre la finance

Mgr Ladaria, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et Mgr Turkson, préfet du Dicastère pour le Service du développement intégral, ont publié conjointement le 17 mai Oeconomicae et pecuniariae quaestiones, « Considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel ». On n’a guère l’habitude de voir Rome se plonger ainsi dans un sujet très spécialisé dont on peut se demander a priori quelle compétence a l’Église pour y intervenir. La lecture de ce texte remarquable de clarté fournit la réponse : l’Église se place là sur un plan moral sur lequel elle est non seulement qualifiée pour intervenir, mais elle est de plus quasiment la seule à le faire, aussi sa parole est-elle en l’occurrence irremplaçable.

Après avoir rappelé que l’économie est soumise à la morale et au service du bien commun, le texte explique que cela n’est réalisable que moyennant une juste anthropologie, à savoir une vision de l’homme autre que celle de l’individualisme qui le réduit à n’être qu’un consommateur obsédé par le profit, alors qu’il est avant tout un être relationnel non limité à la seule dimension économique (cf. n. 9), vision qu’il conviendrait d’enseigner dans les écoles de commerce (n. 10 et 23). Si nos auteurs admettent qu’« aucune activité économique ne peut prospérer de manière durable, si elle ne s’insère dans un climat de saine liberté d’initiative » (n. 12), ils insistent aussitôt pour observer que « les marchés » ne peuvent « se réguler » par eux-mêmes (n. 13), « l’industrie financière », en particulier, étant « un lieu où les égoïsmes et les abus ont une puissance de nuisance pour la communauté sans égal » (n. 14), notamment en raison de la « spéculation » et des risques qu’elle génère (n. 16-17). « Dans cette inversion d’ordre entre les moyens et les fins, qui fait passer le travail de l’état de bien à celui d’“outil”, et l’argent, de celui de moyen à celui de “fin”, se trouve précisément le terrain fertile d’une culture “de déchets” » (n. 15).

Ensuite, les auteurs abordent plus précisément le « contexte actuel » sans hésiter à développer des aspects liés aux techniques financières (subprime, titrisation, Credit default swap ou CDS, Shadow banking system, marché offshore…) en expliquant combien ces nouveautés financières sont soit immorales soit exigeraient un encadrement bien plus strict. En effet, leur logique n’est pas de « stimuler la santé économique des entreprises, mais uniquement les profits des actionnaires (shareholders) » à court terme (n. 23), tout en permettant « des rémunérations énormes » aux dirigeants jamais « contrebalancées par des pénalités équivalentes en cas d’échec des objectifs » (n. 23). Si bien que même « si le bien-être économique mondial » s’est accru, « les inégalités se sont amplifiées au sein des différents pays, comme aussi entre les nations. Un grand nombre de personnes continue de vivre dans l’extrême pauvreté » (n. 5).

Si ce texte, que toute personne ayant des responsabilités économiques devrait lire et méditer, ne donne pas de solutions toutes faites (l’Église sortirait de ses compétences), il fournit un état des lieux irremplaçable pour une nécessaire réforme du système financier.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°304 Juin 2018