Moine en oraison © Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

De l’oraison

L’âme chrétienne a soif de Dieu. Elle recherche son bien comme le papillon la fleur fraîche. Embarrassée du poids du corps, et de son attachement aux choses de la terre, elle ne parvient que rarement à s’élever en Dieu. Et pourtant : Dieu est là. Dieu l’attend.

Au matin de la Résurrection, où est Jésus ? Écoutons l’ange : « Ne craignez pas, je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. Il n’est point ici ; Il est ressuscité comme Il l’avait dit. (…) Il vous précède en Galilée… » « Il va se mettre à votre tête », selon certains auteurs. C’est Lui qui marche à la rencontre des apôtres par le miracle de la Résurrection et c’est Lui qui va à nouveau prendre leur tête, les diriger.

Son corps glorieux condescend à se manifester aux proches. Il va rencontrer les disciples d’Emmaüs. Il surprendra deux fois les disciples au cénacle, les attendra sur le rivage de Tibériade. Jésus est là, tout près. Un frémissement de tunique, le voici. Les disciples ne s’attendaient plus à croiser son regard pénétrant, et voilà que Son visage se dessinera dans un rayon de lumière pour le réconfort de leur âme. Jésus est simplement là. Il récompense ou même épargne le labeur de la recherche. On dira que l’attitude chrétienne comporte une tension paisible vers la disponibilité, vers le don de soi. C’est pour l’âme quelque chose de bien actif, mais sans contention, ni fièvre. Et Jésus fait le reste…

Madeleine cherche. Comme un papillon sur une vitre, elle se heurte à elle-même. Et finalement elle est trouvée par Jésus. Rien ne lui servait de mener une action (on dirait de « fonctionner »). Jésus la trouve. C’est lorsqu’en pleurs, devenue impuissante, elle s’adresse au premier venu, qu’elle est exaucée. Il fallait qu’elle touche le Cœur de Jésus par sa faiblesse et qu’elle laisse au bon plaisir de Jésus l’initiative de la rencontre. Madeleine si aimante, celle qui fébrilement se sera mise en quête, n’aura pas pour autant le droit de Le toucher. Aurait-elle su s’épargner de vouloir goûter Jésus par le ressenti de la frange de son vêtement quand Il la voulait aimante mais aussi vivant de foi, animée de la foi en la puissance miséricordieuse de Jésus ?

Les disciples d’Emmaüs, disions-nous, oui, Il les trouvera aussi alors qu’ils perdent courage, se « démobilisent ». Où le croient-ils ? Jésus ne libère pas Israël comme ils l’espéraient… Ils doutent de la présence de Jésus, annoncé par le témoignage des apôtres et des femmes. Ils souhaitaient une action bien visible de Jésus. Rien ne se passe ou, du moins, à leurs yeux car Jésus est près d’eux et les rejoint sur la route, sans qu’ils le reconnaissent.

Il vient à nous dans une douceur qui lui est coutumière : interrogez la femme adultère, Il ne la condamne pas. Ou encore Élie, Dieu n’était pas dans l’ouragan mais dans une brise légère.

Dans l’oraison, Il n’attend pas de notre part la rencontre décisive ; c’est Lui qui nous commandera quand bon Lui semblera : à Thomas, Il ordonnera : « Mets ta main dans mon côté. » Il le fallait pour vaincre l’incrédulité de l’apôtre et pour notre enseignement. Si notre âme se doit d’être assoiffée de Jésus, il nous faut attendre son invitation avec calme et confiance. Dieu n’est pas à notre service.

Un petit texte, mais dense, résumera le propos sur l’oraison :

« Il ne faut point chercher Dieu loin de nous…, il ne faut point le chercher avec effort…, il ne faut point le chercher par notre action…, il ne faut point chercher de le sentir…, il ne faut pas même le chercher, mais il faut nous persuader qu’il nous a trouvés. Et ainsi, au lieu de nous occuper ou à le chercher, ou à le sentir, ou à faire des efforts et des actes…, résignés entre ses mains, abandonnés à sa conduite…, afin qu’il opère en nous et par nous selon son bon plaisir, tenons notre esprit dans cette persuasion et notre cœur dans cette disposition ; et de cette manière, demeurons constamment dans une profonde paix[1]. »

Le temps pascal, le temps des apparitions de Jésus est le temps de l’oraison.

Laissons-nous bercer par la liturgie des lendemains de la Résurrection pour entrer en oraison. C’est Jésus qui nous trouvera lorsque nous serons libérés de nous-même.

Au matin de Pâques, les disciples souhaitaient tous la présence du Maître. Tous l’ont revu de façon inattendue, insolite, impensable. Dans l’oraison, l’âme attend Jésus, prête à tout.

L’expression « faire oraison » s’entendra donc plus justement si l’on considère que « la prière n’est pas quelque chose à construire. La vraie prière est toujours déjà là. (…) Un des critères les plus sûrs qui nous permet de savoir si nous ne faisons pas fausse route, c’est la simplification de notre prière. (…) Il nous faut apprendre à être moins bavards dans la prière, moins actifs. Il nous faut apprendre surtout à quitter le domaine des « sens », le niveau émotionnel, et à trouver une couche plus profonde où nous ne nous laissons plus emporter par les sentiments qui sont par nature versatiles et changeants. À ce niveau profond, c’est la lampe de la foi qui éclaire le chemin, non pas une foi théorique, mais une foi vivante. Une foi qui nous dit que Dieu est amoureux de nous, que son regard d’amour est toujours posé sur chacun de nous[2]. »

Le secret de l’oraison consistera donc pour l’âme à s’exposer paisiblement au regard d’amour de Notre-Seigneur, en suivant ce conseil de Dom Guillerand à une âme trop inquiète : « Vous vous tendez vers un Dieu que vous aimez au lieu de vous reposer en un Dieu qui vous aime. »

Un moine du Barroux


[1] Jean Rigoleuc, Journal, Œuvres Spirituelles, Paris, 1931, p. 54.
[2] Fr Wilfrid Stinissen, o.c.d. – Norraby (Suède), Pâques 2002.

© LA NEF n°226 Mai 2011, mis en ligne le 9 avril 2020