Jésus, le Bon Pasteur © Wikipedia

Le Bon Pasteur

La Liturgie est-elle bien opportune d’évoquer la figure du Bon Pasteur, alors que les chrétiens sont esseulés, laissés à eux-mêmes ? Dans les deux formes de l’unique rite romain, à une semaine d’intervalle, la figure du Bon Pasteur s’offre à la prière d’un peuple chrétien apparemment livré à lui-même. Est-ce vraiment une figure spirituelle pour ce temps de crise, que ce Bon Pasteur ? Et pourquoi prier pour les vocations ?

Un texte biblique pourra nous éclairer : le livre de l’Exode.

En effet, nous sommes au « désert », celui du grand confinement. Nous pensions que cela durerait peu de temps, et voilà que l’épreuve se fait longue.

Ainsi en fut-il pour le Peuple hébreu dans son Exode : un temps de désert, qui devait peu durer ; une épreuve qui s’est durablement prolongée, et c’est peu dire : quarante années !

Et pourtant déjà, dans l’Exode, le Seigneur est le Pasteur d’Israël, qui conduit fidèlement son troupeau.

Le Pasteur est Père.

Cela avait déjà été annoncé à Pharaon par Moïse : « Tu diras à Pharaon : « Ainsi parle Yahvé ; mon fils premier né, c’est Israël. Je t’avais donné cet ordre : Laisse aller mon fils, afin qu’il me rende un culte ». (Ex 4, 22-23).

Israël lui appartient : « Si vous m’obéissez et respectez mon Alliance, je vous tiendrai pour miens parmi tous les peuples » (Ex 19, 5). Et le mot hébreu employé ici – pour dire les « miens » – évoque une possession toute spéciale, très privilégiée.

Chers Amis, chacune de vos familles, ou si vous êtes seuls, chacune de vos personnes, est en quelque sorte un petit Israël. Vous êtes dans la main de Dieu, qui est Pasteur, qui est père.

Comme Moïse, nous sommes appelés chacun par notre nom : « Je te connais par ton nom », lui affirme le Seigneur (Ex 32, 12 et 17). Dieu appelle aujourd’hui encore, et de façon spéciale, des jeunes pour son service : appel à la vie consacrée et au sacerdoce.

Accepter l’inconnu, dans l’abandon

Parce qu’il est Père et Pasteur, Dieu demande la confiance ; il demande une obéissance et un abandon. « Tout ce que Yahvé dira, nous le ferons », répète le peuple devant Moïse. Par trois fois : Ex 19, 8 ; 24, 3 ; 24, 7.

Oui, Dieu nous demande, à nous aussi, confiance et abandon.

Or la route qui impose le Seigneur à Son Peuple est bien tortueuse, sinueuse, déroutante : vers les lacs salés, le Sinaï, puis dans les déserts vers l’est, alors qu’on pouvait faire au plus court. Et non seulement deux années, mais quarante (qu’il nous en préserve, si possible !).

Dieu est en un sens redoutable. Une fois qu’il nous a choisis, il demande beaucoup. C’est une purification, une épreuve, mais pour une conversion qui doit mener à la Joie et à la Paix promises, notre vrai terroir.

« Tout ce que Yahvé dira, nous le ferons », répète le peuple. Pas facile ! Apprenons de Marie cet abandon. En effet, à Cana, lors du premier miracle de Jésus, Marie dit aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». Cet ordre des propositions est éloquent : il nous place d’abord devant l’ordre divin ; nous devons répondre à une demande, Dieu commande. Marie nous apprend à obéir, dans l’abandon.

Que le Pasteur nous guide sur les voies de la prière.

Avez-vous remarqué que, dans le Livre de l’Exode, les « négociations » de Moïse et d’Aaron avec Pharaon tournent toujours autour d’une demande précise : laisser aller le Peuple hébreu au désert, en vue du culte[1].

Tout semble cultuel, sacré, dans cette libération et cette « pâque ». D’où la remarque du Cardinal J. Ratzinger : « Dans tout cela, nulle question de Terre promise ; l’objectif de l’Exode semble être l’adoration (…) si la terre est donnée, c’est pour devenir un lieu où adorer le vrai Dieu[2] ».

Ainsi Dieu veut mener son peuple hors de l’idolâtrie, pour une vraie prière, pour une religion pure. Voilà les « pâturages » que Dieu veut offrir ; où le Pasteur veut mener son peuple.

En ce temps de « désert », avons-nous su retrouver un sens de la prière plus pure, plus filiale, plus abandonnée ? Prions-nous pour des demandes touchant l’essentiel ?

Suivre le Pasteur, fidèle, dans la nuée et le feu

Le Seigneur est Pasteur, il est toujours là, avec son Peuple. « Yahvé les précédait, le jour sous la forme d’une colonne de nuée, pour leur indiquer la route, et la nuit sous la forme d’une colonne de feu » (Ex 13, 21 ; 40, 38).

Cette fidélité de Dieu est émouvante. Mais comme elle est déconcertante ! Vous faites sans doute l’expérience de la nuée ; vous faites l’expérience du feu.

L’expérience de la nuée ?

La nuée, c’est la présence certaine, mais confuse. Assurée mais bien mystérieuse, trop opaque pour nos intelligences. Nous savons qu’il est là, mais ce Pasteur nous déconcerte. C’est le moins que l’on puisse dire

Pourtant c’est au sein de la nuée que Yahvé va venir parler avec Moïse, au-dessus de la Tente de la rencontre. Les Hébreux qui avaient peur de la transcendance de Dieu (« que Dieu ne nous parle pas, car alors c’est la mort », disent-ils, en Ex 20, 19) font l’expérience de sa proximité. C’est un Dieu qui veut leur parler, qui souhaite communiquer. Dieu est avec Moïse « comme un homme conversant avec un ami », dit le livre de l’Exode (Ex 33,11). Un « ami » ? C’est tout simplement fantastique ! Voilà le Pasteur qui parle avec sa brebis. Et elle entend sa voix, car le Seigneur dit à Moïse : « Je te connais par ton nom ». Les brebis reconnaissent la voix du Pasteur. Elles se savent aimées.

Mes amis, avez-vous fait, en ces semaines, l’expérience de la présence du Seigneur Pasteur ? Avez-vous une « tente de la Rencontre », un lieu de prière privilégié ? Celui qui nous conduit, c’est le Bon Pasteur. Il a un visage, des traits humains, c’est le Christ Jésus. Il nous montre le chemin, qui est celui de sa Passion, de sa Croix, mais aussi de sa Résurrection, de sa gloire. Nous ne sommes pas seuls ! Savons-nous écouter, dans la nuée de nos doutes, la voix du Pasteur ?

Nuée et appel. Prière pour les vocations

Ne doutons pas de l’amour de Dieu. Nous sommes aimés ; il ne nous abandonne pas, malgré la nuée confuse.

En ce dimanche des vocations, nous savons que Dieu appelle toujours pour la vie sacerdotale ou religieuse. Prions pour que l’appel traverse la « nuée » et rejoigne les cœurs de nombreux jeunes. Le Christ ressuscité n’est-il pas entré au Cénacle « toutes portes closes » ? Il a dit à ses apôtres, confinés dans l’inquiétude : « Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Oui, Dieu appelle, et veut des ouvriers pour la moisson.

L’expérience du feu ?

Le feu est à la fois lumière et brûlure. Nous faisons l’expérience de la lumière lorsque le Seigneur nous illumine, lorsque nous sommes saisies de la beauté et de la vérité de réalités de Dieu. N’avons-nous pas, en ces jours, parfois redécouvert avec émerveillement les richesses cachées de notre foi ? Ou du silence ? Ou de la valeur des biens qui nous manquent ?

Mais cela demande la brûlure de la purification, de la conversion. Le désert, c’est cela aussi, le lieu de l’épreuve qui purifie. Pour aller de l’avant, plus libres, plus détachés. Une sobriété retrouvée n’est-elle pas un bien ?

Le feu fait peur. Avec raison souvent car il peut être destructeur. Prions pour ceux qui risquent de perdre un emploi, ceux que menace un licenciement.

Le Christ est passé par le feu. Le feu de sa Passion, de sa mort. Un feu qui l’a brûlé. Mais lui a transformé la brûlure en Lumière de vie. Il est le cierge avec sa flamme. Il avance devant nous. Et si la flamme vacille, elle ne s’éteindra plus. C’est cela, la Pâque.

Le Bon Pasteur qui sauve

Le Pasteur a fait sortir les Hébreux de l’esclavage. N’étions-nous pas aussi enchaînés à de mauvaises habitudes ? N’avions-nous pas besoin de retrouver l’essentiel ? Une sobriété en famille par exemple ? Un détachement de l’accessoire ? Un rythme plus simple et régulier ?

Ce qui est terrible, c’est la capacité du Peuple à se créer de nouvelles idoles : « Faisons-nous un nouveau dieu qui marchera devant nous » (Ex 32, 1). Et voilà les Hébreux qui se façonnent un veau d’or. Avons-nous dans ce confinement créé d’autres idoles, d’autres esclavages ? À cause d’internet, du virtuel ? Ou autrement ?

La nourriture pour la route

Le pasteur donne à ses brebis la nourriture pour la route. Il ne nous abandonne pas.

Vous êtes privés, Ô combien ! de l’eucharistie, de sacrements. Quel désert !

Le Seigneur vous apporte la manne. Quelle est votre manne spirituelle, en ce désert ? Pour beaucoup, ce sont les petites vidéos, des contacts par mail ou des cérémonies sur le net. Au Vatican, à Paris, Toulon ou ailleurs ; par KTO ou par tant d’autres voies et voix.

Une manne dont on se lasse peut être. Mais c’est mieux que rien. Merci, mon Dieu.

Cela doit creuser en nos âmes pour jamais le besoin de la Vraie manne : l’eucharistie.

Retrouvons, malgré les difficultés de cet « Exode », de ce désert du confinement, le sens des paroles que le Seigneur avait inspirées à son prophète Osée 2,16-17. Il parlait de son Peuple, d’Israël comme d’une fiancée : «C’est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur… et elle répondra là comme aux jours de sa jeunesse, et comme au jour où elle monta hors du pays d’Égypte » (Osée 2,16-17).

Nos âmes mêmes, nos familles, nos communautés sont d’autres Israël, épouses du Seigneur.

Que le Bon Pasteur vous guide et vous protège.

+Emmanuel-Marie,
Abbé de Lagrasse


[1]    Le dialogue tourne autour de ce sujet (3, 18 ; 5, 1-3 ; 5, 17 ; 7, 16 ; 8, 1 (Vulg.) ; 8,4 ; 8,16 ; 8,21 ; 8, 23.24.25 ; 9,1 ; 9,13 ; 10,3 ;10,7-11 ; 10,24-26 ; 12, 31-32….
[2]    J. RATZINGER, L’esprit de la Liturgie p. 15-16.

© LA NEF le 29 avril 2020, exclusivité internet