Les ordinations tant attendues des séminaristes des Missionnaires de la Miséricorde divine vont enfin avoir lieu. Qu’est-ce qui a débloqué cette situation ? Comment analyser l’attitude de Rome, et quelles incompréhensions demeurent encore aujourd’hui face à ce qui ressemble à un acharnement contre un institut pourtant exemplaire ? Quelle analyse, quelle leçon peut-on en tirer ?
Six séminaristes de la Société des Missionnaires de la Miséricorde divine (SMMD), institut de jeunes prêtres du diocèse de Fréjus-Toulon, devraient enfin être ordonnés diacres le 1er décembre prochain. Certains d’entre eux attendent depuis plus de deux ans. Leur faute ? Demander à être ordonnés dans l’ancienne liturgie pour, ensuite, la célébrer habituellement conformément aux constitutions de la SMMD, reconnues et approuvées par le diocèse dont elle dépend, donc par l’Église. Précisons que ces prêtres, parfaitement intégrés dans les diocèses où ils exercent leur ministère, ne contestent nullement ni la réforme liturgique ni le concile Vatican II qu’ils acceptent sans état d’âme, et même défendent intelligemment sur des points importants ; et, chose qui devrait réjouir Rome et qui achève de faire d’eux des cibles incompréhensibles : il n’y a chez eux aucun « exclusivisme » liturgique, puisqu’ils célèbrent la messe de Paul VI à l’occasion.
Pourquoi, dès lors, s’acharner sur un institut aussi exemplaire au regard de l’esprit attendu par Rome de la part du monde « traditionaliste » ? Pour parvenir à ces futures ordinations, le chemin a été long et compliqué. Rome avait commencé par exiger que la messe d’ordination suive le nouvel Ordo et que les ordinands reconnaissent par écrit qu’ils étaient conscients de n’avoir aucune certitude d’avoir le droit de célébrer la messe dans l’ancien rite une fois ordonnés. Mgr François Touvet, évêque co-adjuteur de Fréjus-Toulon, a cependant défendu à Rome la cause des Missionnaires de la Miséricorde, et le cardinal Roche, préfet du Dicastère pour le Culte divin, s’est finalement montré bienveillant en lui laissant la liberté de discerner ce qu’il convenait de faire pour l’ordination. Mais l’incertitude demeure concernant le droit qu’auront les futurs prêtres de célébrer habituellement l’ancien Ordo – autorisation que, selon Traditionis custodes, seule Rome peut accorder aux nouveaux ordonnés. On imagine que Mgr Touvet, qui a plaidé jusque-là la cause de la SMMD, fera tout pour débloquer cette situation, une interdiction de célébrer l’ancien missel risquant de conduire à l’explosion de la communauté.
Pourquoi un tel acharnement ?
On comprend mal, depuis deux ans, les mesures injustes à l’encontre d’un institut qui n’a commis aucune faute et a toujours manifesté une totale communion avec l’Église : n’est-il pas quelque peu cynique de sévir contre ceux qui se montrent les plus loyaux, comme s’il fallait instaurer un rapport de force pour être pris en considération, la loyauté ne « payant » pas dans l’Église ? Dans un contexte de raréfaction des vocations et de crise dans l’Église, aggravée par les affaires d’abus spirituels ou sexuels si mal gérées, la priorité est-elle vraiment d’empêcher ou retarder les ordinations d’une communauté dynamique qui attire autant de jeunes ?
Le caractère injuste de la situation est d’autant plus choquant que la rigueur de Rome s’exerce prioritairement sur les instituts « traditionalistes » qui lui sont le plus fidèles, ceux qui acceptent la messe de Paul VI et qui recherchent le plus activement l’intégration dans les diocèses. Tant mieux si le pape François a été d’une surprenante générosité avec la Fraternité Saint-Pie X (FSPX), qui rejette pourtant fermement la réforme liturgique, Vatican II et le magistère pontifical, en lui accordant à peu près tout ce qu’il pouvait (validité des confessions, des mariages…) ; mais la sévérité concomitante à l’égard des « traditionalistes » demeurés dans la pleine communion ecclésiale pourrait être interprétée comme une stratégie visant à les pousser vers la FSPX, pour les parquer dans une réserve en marge de l’Église où ils auraient la paix sans gêner personne. Évidemment, je ne crois pas que ce soit réellement le dessein de Rome, mais avouons qu’il y aurait de quoi le penser.
Des incompréhensions de longue date
Depuis la dissidence de Mgr Lefebvre, Rome n’a jamais vraiment su s’y prendre avec le monde traditionaliste qu’elle comprend mal. Si la résistance aux abus de toutes sortes qui ont marqué les années postconciliaires – liturgiques, doctrinaux, catéchétiques… – était plus que légitime, il faut reconnaître que les méthodes l’ont été parfois beaucoup moins. « Mais sans la fermeté de Mgr Lefebvre, la messe traditionnelle n’existerait plus », ai-je souvent entendu. Vision néanmoins très humaine : si Mgr Lefebvre, en maintenant l’ancien rite, n’en avait pas fait un combat ô combien violent et polémique contre la « nouvelle messe » et le concile Vatican II, peut-être Paul VI lui aurait-il permis de poursuivre « l’expérience de la Tradition » qu’il revendiquait. L’obéissance, dans l’Église, est toujours porteuse de fruits, même face à des ordres injustes, les jésuites en savent quelque chose.
Ne serait-il pas temps, enfin, d’abandonner toute idéologie et les combats mal orientés qui exacerbent les divisions, bref de changer radicalement d’optique ? Le monde « tradi » s’appuie sur des familles nombreuses qui suscitent bien des vocations, il manifeste aussi un dynamisme rare : n’est-ce pas là une chance pour l’Église, une occasion d’accueillir généreusement ce beau monde dans les diocèses, tout en l’encadrant paternellement pour qu’il serve l’Église selon ses orientations, et qu’il sache ainsi accueillir le magistère avec bienveillance ?
Christophe Geffroy
© LA NEF n°374 Novembre 2024