LA LITURGIE ROMAINE
Histoire et repères pour aujourd’hui
DENIS CROUAN
Téqui, 2024, 378 pages, 22,90 €
Voilà un livre d’une grande utilité en nos temps de grande confusion liturgique. Il retrace avec précision et beaucoup d’érudition – rendant certains passages un peu touffus – l’histoire du rite romain de la messe. C’est vraiment passionnant, car on découvre combien l’histoire de la liturgie latine est très loin d’avoir été un long fleuve tranquille, montrant au passage l’inadéquation de l’expression de Mgr Lefebvre de « la messe de toujours » pour qualifier le rite de saint Pie V. En effet, la liturgie romaine, dont certains éléments comme le canon remonte très loin (IVe s.), a connu tout au long des siècles des évolutions plus ou moins notables. Il y a même eu dans le passé des périodes d’invraisemblable pagaille liturgique. Songeons, par exemple, que le grégorien, chant liturgique par excellence, de plus en plus mal exécuté, avait quasiment disparu des églises après la Renaissance pour ne s’imposer à nouveau qu’au XIXe siècle… et redisparaître avec la réforme de 1969, alors que le concile Vatican II avait clairement demandé son maintien. Et si saint Pie V décide en 1570 d’imposer le rite romain à l’ensemble de l’Église latine (sauf pour les liturgies pouvant se prévaloir d’une existence de plus de 200 ans comme les rites ambrosien ou lyonnais), il faudra attendre Dom Guéranger au XIXe siècle pour voir ce missel enfin s’imposer sur l’ensemble du territoire français, les nombreuses liturgies gallicanes tenant jusqu’alors le haut du pavé. L’unité liturgique a donc rarement été la norme tout au long de l’histoire de l’Église latine.
Denis Crouan, conscient de la perte du sens liturgique occasionnée par une réforme mal appliquée conduisant à la terrible situation de crise qui a suivi, n’en est pas moins un défenseur du missel de saint Paul VI célébré de façon orientée, en latin et chanté en grégorien. Dans un dernier chapitre consacré aux « questions débattues », il apporte d’intéressantes réponses, comme celle concernant la réforme de l’offertoire tant décriée par les tenants de l’ancien missel.
Chacun devrait lire son livre, tout particulièrement les « anti-tradis » qui comprendront combien la liturgie ne s’improvise pas et s’enracine dans une histoire longue ; quant aux « tradis », ils y apprendront beaucoup de choses sur le rite qu’ils vénèrent, éclairant ou relativisant ici ou là certains de leurs arguments.
Christophe Geffroy
L’ALGÉRIE ISLAMIQUE
Le déni français
ÉLIANE BEDU
Cerf, 2024, 204 pages, 20 €
« Il est impératif que toute tentative de réconciliation entre la France et l’Algérie prenne courageusement en compte le rôle majeur de l’islam. » Telle est la conviction qui a conduit Éliane Bedu, diplômée en histoire des religions et présidente de l’association Mare Nostrum – Une Méditerranée Autrement, à rédiger cet ouvrage. Son propos consiste à montrer que la nation algérienne n’a pas été créée par la France en 1830, date de la conquête d’Alger, mais qu’elle s’enracine dans un héritage islamique aux formes variables selon les époques et les influences. Sur ce plan, l’auteur apporte des précisions utiles, expliquant en quoi il ne convient pas de confondre le concept de « djihad » avec celui de « guerre sainte ».
Selon Éliane Badu, la France n’a pas été étrangère à la consolidation de l’héritage islamique, notamment à travers les mesures tendant à réglementer le statut juridique des musulmans dans ce territoire découpé en trois départements français et à le doter d’une « existence officielle » (code de l’indigénat, adopté en 1836 ; loi de 1905). Quant à l’Église catholique, souligne l’auteur, elle a considéré l’Algérie comme un terrain de mission privilégié devant préparer la reconversion de son peuple à la religion d’avant la conquête arabo-musulmane. Mais on s’étonne du manque de précision sur les moyens envisagés pour réaliser ce projet ainsi que de l’absence de témoignages aussi édifiants que celui de saint Charles de Foucauld.
En définitive, pour E. Bedu, le regard négatif et méfiant porté par la France sur l’islam a conduit celui-ci à redevenir le socle du nationalisme algérien. Autrement dit, après le djihad « bonne guerre » tel que le concevait l’émir Abd El-Kader, premier résistant officiel à la colonisation, les Algériens se sont laissés séduire par la « guerre sacrée » jusqu’à s’intégrer au djihad internationaliste qui terrorise aujourd’hui le monde entier.
Annie Laurent
HARDI LES DOUX !
JEAN-THOMAS DE BEAUREGARD, O.P.
Cerf, 2024, 168 pages, 18 €
Le père Jean-Thomas de Beauregard, 37 ans, dominicain de la province de Toulouse, dirige le studium de philosophie au couvent de Bordeaux. Dans cet essai tonique et bien inspiré, il fait l’éloge de la douceur. Cette vertu évangélique n’est pas le camouflage des faibles dénoncé par Nietzsche, ni une sorte de mollesse compatissante et efféminée, ni la négation du combat et de la souffrance. Elle est « la vertu des forts et l’apanage des saints ». Comme l’ont montré les meilleurs maîtres chrétiens, Dieu gouverne le monde par la douceur, sa pédagogie est toute patiente. Jésus est « doux et humble de cœur » parce qu’il se conforme à la volonté de son Père. La douce onction de l’Esprit Saint se déploie dans les sacrements. En bon thomiste, le Jean-Thomas de Beauregard écarte les confusions de Luther et de Kant au profit de la morale des vertus, qu’il expose clairement. La douceur s’exerce à l’égard de soi-même, dans la progression de la sainteté, et à l’égard du prochain, dans notre monde violent (opportune mise en garde contre la colère, rarement juste). Un essai spirituel à recommander.
Denis Sureau
CEUX QUI DEVRAIENT DEMANDER PARDON
La légende noire espagnole et l’hégémonie anglo-saxonne
MARCELO GULLO OMODEO
L’Artilleur, 2024, 494 pages, 23 €
Il y a un peu moins d’un an La Nef (n°365 de janvier 2024), dans le cadre d’un dossier sur la légende noire espagnole, publiait un entretien avec l’historien Argentin Marcelo Gullo, auteur en 2022 d’un best-seller en Espagne Nada por lo que pedir perdón. La importancia del legado español frente a las atrocidades cometidas por los enemigos de España (Il n’y a rien à se faire pardonner. L’importance du legs espagnol face aux atrocités commises par les ennemis de l’Espagne). Ce livre a été récemment au cœur d’une polémique, voire d’une crise diplomatique entre le Mexique et l’Espagne. La nouvelle présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum (ancienne maire de Mexico, dont les parents sont d’origine lituanienne, de religion juive et de convictions communistes), a déclaré fin septembre dernier qu’elle n’inviterait pas le roi d’Espagne à sa cérémonie d’investiture du 1er octobre, parce qu’il n’a pas donné suite à la lettre du précédent président, Andrés Manuel Lopez Obrador (25 mars 2019), qui demandait la repentance de l’Espagne pour les exactions commises lors de la conquête de l’Empire aztèque. Une attitude jugée « inacceptable » par le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, alors que le président du Parti Populaire, principal parti d’opposition, Alberto Nuñez Feijóo, invitait ironiquement Claudia Sheinbaum à lire le livre de Marcelo Gullo, ajoutant même qu’il se ferait un plaisir de le lui envoyer.
Par une heureuse coïncidence, ce livre, préfacé par la directrice de l’Académie royale d’histoire d’Espagne, Carmen Iglesias, vient d’être publié en France. L’auteur y écrit dans ambages : « On ne pardonne pas à l’Espagne d’avoir assumé la défense de la catholicité. » Et il remet totalement en cause la Légende noire de l’Espagne, dénonçant âprement l’acculturation de l’hispanité par le monde anglo-saxon. On ne saurait trop recommander ce beau livre à rebours des sornettes déversées sur la découverte et la colonisation de l’Amérique par les Espagnols. Une œuvre civilisatrice majeure, marquée entre autres, par la christianisation du continent et l’instauration d’une langue vernaculaire aujourd’hui la deuxième du monde, qu’il convenait de remettre à l’honneur.
Arnaud Imatz
AU-DELÀ DES FRACTURES CHRÉTIENNES
PHILIPPE D’IRIBARNE
Salvator, 2024, 240 pages, 21,50 €
Que les catholiques soient divisés est une évidence. En analyser les ressorts l’est moins. Philippe d’Iribarne, qui essaie de les comprendre pour les surmonter, se lance ici dans une tâche salutaire bien que quelque peu utopique. Son constat sur ce que sont les fractures chrétiennes nous semble globalement juste. Pour simplifier, il oppose cathos de gauche et cathos de droite, ou progressistes et traditionalistes, les premiers adhérant au grand mouvement d’émancipation tous azimuts de la modernité, dont « l’inclusivité » est le maître mot et dont ils font une valeur évangélique, les seconds voyant les incompatibilités radicales entre le christianisme et certains aspects de cette modernité, le christianisme devant rester lui-même pour mieux servir l’humanité, sans s’aplatir devant le monde et sans en épouser les valeurs. Pour ce faire, il décrit une situation qui s’appuie principalement sur quelques ouvrages historiques récents (notamment celui dirigé par Jean-Louis Schlegel et Denis Pelletier sur les catholiques de gauche, et celui de Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou sur les catholiques de droite) sans y ajouter d’éléments nouveaux.
£Il en conclut qu’il est vain d’essayer d’unir ces catholiques de bords opposés sur leur terrain, chacun d’entre eux croyant représenter le « vrai » christianisme, alors qu’ils défendent en fait une vision d’un ordre temporel plus ou moins christianisé et contingent. « Le magistère n’a pas à être plus directif en matière d’organisation de la cité que Jésus ne l’a été », écrit-il. Il plaide donc pour une Église qui renonce à « un espoir illusoire d’édifier une société pleinement bonne. Mais, poursuit-il, renoncer à régenter le monde ne veut pas dire s’y soumettre. […] Il ne s’agit pas de rejeter le tout de la modernité, ou de la postmodernité, mais de ne pas se laisser impressionner par leurs diktats ». Ainsi, progressistes et traditionalistes « pourront reconnaître que ce n’est pas sur ce terrain [leurs différentes options temporelles] qu’ils risquent de se retrouver mais dans le cœur de leur foi ».
L’intention de l’ouvrage est louable et il fait réfléchir avec beaucoup de bonnes choses. Mais son approche de la réalité catholique française nous apparaît souvent trop simpliste, en minimisant notamment le fait que les options temporelles peuvent avoir des répercussions sur la doctrine et sur la foi.
Christophe Geffroy
LE PÉCHÉ ORIGINEL AVEC THOMAS D’AQUIN
PHILIPPE-MARIE MARGELIDON O.P.
Saint-Léger Éditions, 2024, 142 pages, 14 €
Cet ouvrage présente une synthèse analytique de la doctrine de saint Thomas sur le péché originel. La lecture est dense, l’exposé précis et clair. Le propos est important car la doctrine du péché originel est actuellement, sinon réfutée, du moins largement relativisée. Or, pour saint Thomas, la raison principale (mais non exclusive) de l’Incarnation, de la mort et de la Résurrection du Sauveur est d’enlever le péché originel. Relativiser ce dernier revient donc à ne plus comprendre, ni l’histoire du salut, ni la grâce acquise pour nous sur la croix, ni le sacrement du baptême. Nous comprenons ici combien la doctrine du péché originel, bien que dure à accepter, est en fait éclairante. On sort grandis de cette lecture, avec une confiance renouvelée dans la théologie et la tradition de l’Église.
Abbé Étienne Masquelier
COMPLOTISME ET ANTICOMPLOTISME
Une double blessure de l’intelligence
PASCAL IDE
Artège, 2024, 182pages, 16,9 €
Dans son dernier ouvrage, Complotisme et anticomplotisme, le père Pascal Ide revient sur un phénomène particulièrement prégnant du monde contemporain. Malgré le caractère presque convenu – et donc piégé – du qualificatif, si facilement agité pour discréditer un adversaire dans l’opinion publique, l’ouvrage entend poser un regard dépassionné et chrétien sur le complotisme. Celui-ci n’est pas envisagé seulement comme un fait social ou une opinion extrémiste, mais comme une véritable « blessure de l’intelligence », et n’est analysé que face à son vis-à-vis anticomplotiste. La démarche se veut médicale : docteur en médecine, l’auteur recense les signes, recherche les causes, et propose des remèdes.
Parmi les apports de l’ouvrage qui nous ont paru les plus originaux, on relèvera l’analyse des biais cognitifs induits par le complotisme. Refus de la complexité, attention focalisée par les seuls témoignages qui confirment la théorie, surconfiance de la personne incompétente dans un domaine, croyance dans le caractère intentionnel de tous les événements : à travers ces biais qui dessinent les contours du syndrome complotiste, le père Ide entend montrer qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un refus fondamental de rationalité, mais parfois d’un raisonnement détourné par des circonstances extérieures. Les biais cognitifs s’enracinent ainsi dans des blessures affectives (peur, méfiance, ressentiment, haine). Avant de proposer des chemins de guérison, l’auteur montre que si le conspirationnisme est un excès dangereux, les complots existent bel et bien : les nier par principe relève donc d’une blessure symétrique et tout aussi manichéenne. Les remèdes proposés prennent en compte le phénomène dans sa dimension intellectuelle (nommer et reconnaître la tendance anti-complotiste, éclairer l’intelligence), affective (prendre en charge au préalable les blessures émotionnelles) et spirituelle (relever l’intelligence par la foi, et éviter les pièges du « conspirationnisme religieux »).
L’ouvrage du père Ide est ainsi un appel à retrouver le sens d’un vrai dialogue, seul remède à une double blessure symptomatique de l’isolement croissant des individus du monde contemporain.
Abbé Paul Roy
MÉFIE-TOI
HARLAN COBEN
Belfond, 2024, 384 pages, 23 €
Chaque automne, tel le Beaujolais nouveau, Harlan Coben nous gratifie d’un nouveau roman. Pour notre plaisir, puisque ses écrits n’ont d’autres ambitions que de nous faire passer un moment de détente agréable, sans nous prendre la tête. Son succès mondial vient de son extraordinaire imagination qui élabore les scénarios les plus improbables en tenant son lecteur en haleine du début à la fin, et ce toujours dans une atmosphère ni glauque ni violente comme le sont hélas la plupart des polars à succès aujourd’hui. Dans ce nouvel opus, Coben met en scène un héros déjà rencontré dans ses précédentes histoires, Myron Bolitar, qui découvre qu’un ami mort depuis quelques années, Greg, a laissé son ADN sur une scène de crime. Ne serait-il pas mort, et aurait-il un lien avec une série de crimes dont l’originalité est de faire condamner chaque fois un innocent que tout accuse ? Bolitar, aidé de son ami milliardaire Win, se lance à la recherche de Greg et de la vérité…
Si ce n’est pas le meilleur Coben, il en a néanmoins les habituelles qualités évoquées plus haut, si bien que ses inconditionnels ne seront pas déçus. Un dernier mot juste pour regretter les petites leçons de philosophie de vie qu’il prête à certains de ses héros – heureusement fort rares –, tellement elles sont la récitation obligée du reflet de l’idéologie mainstream pour surtout ne se mettre personne à dos et être le plus consensuel possible.
Simon Walter
Ô MA France
PATRICE MARTINEAU
CD Rejoyce, 2024, 15 €
Vieux troubadour de la chanson catholique, Patrice Martineau a à son actif, depuis 1985, plus de quinze albums en duo avec son frère Roger et plus d’une dizaine en solo. Il nous offre en cet automne un beau CD, « Ô ma France », où il chante, de sa voix rocailleuse, aussi bien les paysans que les martyres d’Orange ou « l’éternelle fiancée », bel hommage aux femmes consacrées. C’est donc bien la France et sa culture qui sont au centre de cet album dont les textes sont particulièrement soignés, mais on trouve aussi une chanson dédiée à Michael Lonsdale ou sur la Syrie. Patrice Martineau est habituellement l’auteur des paroles et de la musique, mais notons ici l’apport de Philippe de Villiers (« Ô ma France ») et plusieurs musiques de Daniel Facérias.
Simon Walter
© LA NEF n° 375 Décembre 2024