Léon XIV © Wikimedia Edgar Beltrán, The Pillar

Élection de Léon XIV : un temps pour aimer l’Église

Sainte Catherine de Sienne rapporte ces paroles divines : « Je t’ai donné, mon Fils, pour que tu voies combien je t’aime ; je t’ai aussi donné l’Église pour mère, pour que tu n’aies jamais à marcher seul. » Et de fait, c’est comme une mère que nous aimons l’Église. Péguy disait aimer l’Église plus que sa propre vie. Le dernier mois écoulé a encore renforcé notre amour pour cette Église qui est seule à posséder les clés du Royaume des cieux. Quelques jours durant, tous les regards étaient tournés vers une place romaine, vers une modeste cheminée, vers un balcon désert bientôt visité par une soutane blanche. Attrait d’un monde avide de divertissement et de belles images pour le spectacle grandiose qu’offre la papauté ? Oui ; mais pas seulement. Tout à coup, le monde entier regardait l’Église. Comme une curiosité, comme une fantaisie, un folklore un peu familier et un peu étranger à la fois, mais peut-être aussi comme ce qu’elle est : le centre, le trait d’union entre notre monde fini et Celui qui le dépasse infiniment, le lieu du mystère qui déborde notre hic et nunc, la source d’une Vie que le monde ignore et dont il a désespérément soif. Les hommes crient famine, l’Église a les mains pleines : comment dès lors s’étonner qu’elle attire encore sur elle un peu de notre attention collective ? Le conclave a mis en lumière cette vérité dont les catholiques eux-mêmes ne sont pas toujours assez convaincus : l’Église est riche de ce dont le monde a besoin. Tout simplement parce qu’elle est l’arche du salut. Mais aussi par certains aspects plus secondaires, néanmoins très révélateurs. 

Le transcendant, le rite, et le temps long

L’Église répond à un besoin profond de l’âme humaine : elle l’arrache à l’étroitesse de la seule vie économique, biologique et psychique, pour l’élever dans les espaces infinis de la foi, de l’au-delà, de la prière et du culte, de la rencontre avec Dieu, de l’amitié avec le Christ, espaces qui sont bien plus à sa mesure. Or l’Église ne se contente pas d’annoncer « la vérité sur l’homme, révélée par Celui qui “savait ce qu’il y a dans l’homme” (Jn 2, 25) » (1), elle rend cette vérité manifeste. Elle qui connaît l’homme sait combien il est être de chair, aussi a-t-elle tout enveloppé de rites, de symboles, de signes visibles qui conduisent efficacement nos sens, notre imagination, notre intelligence, à contempler ces réalités supérieures. Les cérémonies qui se sont déroulées depuis la mort de François sont tissées de rites. Ces derniers ne sont pas de simples ordonnancements des formes ; ils sont la langue sacrée que parle l’Église, qui nous introduit dans le mystère de Dieu, et « où le divin se communique par des gestes et des paroles qui parlent au corps et à l’âme » (2). 
Or le rite ne se fabrique pas, il ne s’invente pas, ne se décrète pas, c’est lui qui nous façonne et nous introduit à une réalité qui nous dépasse et nous précède. « L’Église ne crée pas la liturgie, elle la reçoit. Elle se considère comme héritière, non-propriétaire ; comme servante, non maître » (3). Et c’est précisément cette attitude d’humble héritier qu’a immédiatement embrassée Léon XIV et qu’il a performativement montrée en exemple à un monde souvent plus ingrat que déférent face aux legs du passé. Il a inscrit ses premiers pas dans la longue lignée des générations antérieures ; il a choisi un nom qui a traversé toute l’histoire de l’Église et qui renvoie à d’autres que lui ; il a revêtu les ornements traditionnels, s’effaçant derrière l’usage en vigueur, ayant l’originalité réelle de ne pas chercher à être original ; les premiers mots qu’il a prononcés pour ouvrir son pontificat ne sont pas les siens propres, mais ceux du Christ. 
Et c’est grâce à ce savoir-faire, à cette humilité, à l’amour de la Tradition et du rite, que l’Église demeure tandis que le monde passe, tandis que les sociétés se liquéfient, tandis que le temps s’accélère de tous côtés. Elle demeure, impérissable, éternellement jeune, de cette jeunesse que lui donnent sa tête et son fondateur, le Christ toujours vivant. Elle nous fait toucher l’éternel, et incarne cette patiente et paisible permanence face à un monde qui s’étouffe dans son mouvement perpétuel.

L’autorité du père

Une autre chose que l’Église a pu offrir au monde durant ces quelques semaines, c’est une certaine vision de la paternité, qui pourrait inspirer et irriguer nos sociétés ayant tué, congédié ou découragé les pères. Nous autres fidèles ne choisissons pas plus notre Souverain Pontife que nous ne choisissons le père qui nous a donné vie. Mais une fois un pape élu, nous héritons d’un père. Un père fort d’une véritable autorité, qualité devenue rare. L’autorité des hommes ne tient pas seule : elle est toujours seconde, adossée à une autorité première dont elle tire sa force et sa légitimité, une autorité supérieure qui représente en fait une norme suprême, un idéal, une idée du bien que se donne un groupe humain donné. Ici, le pape tire son autorité de la Révélation, de la Tradition apostolique ininterrompue et des paroles du Christ à saint Pierre. C’est à ce titre qu’il nous enseigne, nous gouverne, et nous montre le chemin ; c’est à ce titre que nous lui obéissons loyalement. L’autorité se fonde sur plus grand qu’elle, et elle fait signe vers plus grand qu’elle. Il n’est pas d’exercice juste de l’autorité sans une part de transmission (je suis le « fidèle administrateur » du trésor de la foi, ainsi s’est présenté Léon XIV aux cardinaux), et sans une part d’abaissement (« se faire petit pour qu’Il soit connu et glorifié », leur disait-il ensuite). Notre nouveau pape nous a déjà fait cadeau d’un bel exemple d’autorité paternelle.
Ce dernier mois a achevé de nous convaincre que le monde n’a pas besoin d’une Église qui le singe et lui emboîte le pas, mais d’une Église qui reste elle-même et l’ouvre à tout ce qu’il méconnaît et auquel il aspire.

Elisabeth Geffroy

(1) Discours de Jean-Paul II à Puebla de Los Angeles (Mexique), en 1979.
(2) Joseph Ratzinger, Introduction au christianisme, 1968.
(3) Joseph Ratzinger, L’Esprit de la liturgie, 2000.

© La Nef n° 381 Juin 2025