Mgr Dominique Rey © DR

La «fabrique de christianisme» en panne

La concentration des forces vives de l’Église en France autour des milieux « bobos » et des classes aisées constituent une réalité sociologique avérée. Le catholicisme populaire avec ses dévotions, ses rites, est en perte de vitesse.
En position minoritaire, les chrétiens qui échappent à la sécularisation ambiante sont ceux qui ont bénéficié de racines et traditions familiales solides, d’une éducation privilégiée, dans des écoles catholiques ou des mouvements de jeunesse où la transmission de la foi, de ses rites, de la morale et de la doctrine catholique… leur ont permis d’assumer l’héritage chrétien et de développer une culture d’engagement et de résistance.
La transformation de la ruralité qui, jusqu’au début du XXe siècle, constituait le socle traditionnel assumé de vie et de pratique chrétiennes ; la dislocation de la famille, premier vecteur de vie religieuse, au profit d’un individualisme souvent narcissique ; l’emprise du numérique qui affecte tous les milieux sociaux, mais plus particulièrement les milieux populaires qui sont rapidement annexés par le prêt-à-penser médiatique ; l’appauvrissement de la présence de l’Église dans les périphéries, du contenu de son message doctrinal et de sa pratique cultuelle dans les années 60… sont autant de facteurs sociétaux et intra-ecclésiaux qui soulignent ce décalage, voire cette fracture, d’une grande partie de la population dans son lien avec l’Église. La « fabrique de christianisme » est en panne. Cela se traduit par l’« exculturation » du christianisme et la séniorisation des « messalisants » (pratiquants du dimanche).

Un vrai défi pastoral
Cette réduction démographique et sociologique de l’Église à certains milieux bourgeois constitue un vrai défi pastoral. Le rétrécissement de la foi à un milieu privilégié peut conduire à une culture de l’entre-soi où « l’embourgeoisement » peut gagner et corrompre de l’intérieur les communautés chrétiennes.
Dans un monde qui semble éloigné de la vie chrétienne et déshérité par rapport à ses racines, les catholiques peuvent ainsi avoir tendance à se regrouper de façon affinitaire et à continuer de creuser le fossé avec l’ensemble de la société. Le danger est de réduire la foi à des convenances formelles et à des conventions sociales, et ainsi de s’éloigner des réalités du monde, marquées par la perte du lien social et les précarités de toutes sortes.
Le remède à cette « gentrification » de l’Église ne se trouve que dans la prise de conscience, de la part des communautés chrétiennes, de l’essence missionnaire du message évangélique. L’Église existe aussi pour ce qui n’est pas encore l’Église. Son identité est universelle. Le souci prioritaire des chrétiens doit être de porter l’Évangile à ceux qui sont encore indifférents ou totalement étrangers à la foi chrétienne, mais dont on sait qu’ils sont en attente de sens, de sacré, de transcendance et de finalité. En effet, l’homme ne peut pas ne pas se poser la question de Dieu, tant cette question est intrinsèque à son humanité (1). Cette posture missionnaire du chrétien aujourd’hui appelle une approche kérygmatique, qui part du témoignage de vie et de l’expérience personnelle du Christ ; apologétique, où la foi se lie à la raison pour la rendre intelligente et dialogale ; thérapeutique, car Dieu nous rejoint à partir de nos failles et de nos fragilités, comme en témoigne l’Évangile du salut ; esthétique, en sollicitant la sensibilité et l’imagination comme cela s’éprouve dans la liturgie.

Une nécessaire transformation pastorale
Pour que le christianisme sorte d’un esprit de forteresse, de tiédeur, ou de compromission qui est étranger à son ADN, et qu’il endosse une dimension attestative et prophétique, il est impérieux qu’une transformation pastorale des communautés chrétiennes intervienne à partir des ministres ordonnés eux-mêmes. La conversion du corps ecclésial passe par sa tête. Récemment, le pape François, parce que « nous ne sommes plus en chrétienté », soulignait que « nous avons besoin d’un changement de mentalité pastorale » (2). Il rappelait l’appel adressé par son prédécesseur, le pape Benoît XVI, à nous engager à « une évangélisation renouvelée dans les pays qui vivent une sécularisation progressive de la société et une sorte d’éclipse du sens de Dieu ».
Dans un contexte relativiste, il s’agit à la fois d’assumer et d’approfondir une identité chrétienne, mais qui reste fondamentalement ouverte et disponible pour rejoindre ceux qui oublient Dieu ou le refusent.

Mgr Dominique Rey
Évêque de Fréjus-Toulon

© LA NEF n°322 Février 2020, mis en ligne le 31/07/2020