Depuis au moins François Hollande, la politique énergétique de la France est suicidaire, ballottée entre les exigences européennes et celles d’un lobby écologiste qui a perdu tout sens de l’intérêt national.
La politique énergétique conduite depuis 2012 a causé le choc énergétique actuel subi par la France. De la bouche des meilleurs énergéticiens du pays, on apprenait que le pays abandonnait son programme de 57 réacteurs nucléaires (après Fessenheim, 14 sont légalement en cours d’abandon). Cette perspective a saigné les compétences de techniciens et d’ingénieurs chez EDF, les jeunes diplômés préférant un avenir professionnel plus sûr.
La guerre en Ukraine de 2023, l’effondrement des importations de gaz russe, et la menace de pénurie électrique induite par la révision d’un tiers du parc nucléaire, ont réveillé notre Président, qui a opté pour la relance in extremis du nucléaire. Américains et Allemands avaient acheté des pépites industrielles du secteur (en 2014 la branche énergie d’Alstom, finalement rachetée par EDF en 2024). Après leur abandon du nucléaire, les Allemands ont voulu réduire l’avantage comparatif français, nous conduisant à accepter le tarif européen unique de l’électricité, qui a multiplié par deux le prix de notre électricité en douze ans.
La France a doublé en treize ans son réseau de production d’énergie électrique, soit l’équivalent de 45 réacteurs nucléaires installés en éolien et solaire. Et 40 autres sont en cours de réalisation. Ces « 85 réacteurs » sont réalisés ou programmés dans ces deux énergies. Pour l’État, il s’agissait moins de les substituer au nucléaire (qui couvre 25 % de la consommation énergétique nationale), que de doubler la consommation d’électricité, pour atteindre 50 % de consommation décarbonée (moitié en nucléaire, l’autre en solaire et éolien), suivant les recommandations du GIEC.
Le PPE-3 2019-2028 (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie), validé en juin au Parlement, vise à produire en plus l’équivalent de 140 réacteurs nucléaires en éolien et en solaire, sans rapport avec nos besoins, pour 300 milliards d’euros. Comme si on voulait sortir du nucléaire pourtant moins cher et plus fiable. Or la France doit déjà exporter son énergie à perte chez ses voisins (16 % de la production en 2024), quand le solaire et l’éolien veulent bien produire. Cette politique surcapacitaire est digne du stalinisme industriel, quand notre industrie recule. Or le KWh éolien ou solaire coûte 50 % à 300 % fois plus que le nucléaire, et son prix garanti par l’État !
Pourquoi cette course folle à la production décarbonée, dont il faut produire les matériels à grands coûts énergétiques, les renouveler tous les vingt-cinq ans, et les transporter depuis la Chine ? L’objectif était la voiture électrique pour tous, complétée par l’isolation des bâtiments et par la conversion des maisons au chauffage électrique : soit accroître la part de l’électrique de 25 à 50 %. Or elle a chuté de 10 % en dix ans. Pourquoi ? Parce que la désindustrialisation et la chute de l’agriculture se poursuivent, et que le prix de l’électricité a doublé en quinze ans : les Français consomment moins ! Les voitures électriques sont inabordables pour 80 % d’entre eux (18 % des ventes en 2024, mais une part infime du parc), et les pompes à chaleur sont plus coûteuses que les chaudières à gaz. La demande que l’on voulait susciter est asphyxiée, d’où la surenchère du marketing énergétique auprès des Français. En vain. Lobbys industriels et artisanaux poussent leurs pions, obligeant le Premier ministre à reculer quand il a voulu suspendre la ruineuse MaPrimeRénov’.
Malgré sa surproduction électrique structurelle avec ses deux réseaux parallèles (nucléaire et éolien-solaire), la France accélère, quitte à ruiner le contribuable et le consommateur : le PPE-3 doublerait encore le coût de l’électricité, au mépris de nos paysages, même maritimes.
Limite de l’explication idéologique
Les écologistes sont-ils responsables de cette gabegie ? On sait le rôle de Dominique Voynet dans l’abandon du programme nucléaire avec François Hollande. Khmers verts et Greta Thunberg sont montrés du doigt. Mais l’explication idéologique a ses limites. Pourquoi 360 parlementaires français de gauche et du centre – aidés par l’abstention de la droite – ont-ils voté mardi 24 juin pour un programme surcapacitaire de 300 milliards d’euros, dans un pays en faillite virtuelle, quand la croissance de la consommation électrique attendue est de 1 % l’an d’ici dix ans ? Les causes sont ailleurs.
Commençons par l’effondrement de la culture scientifique. Il explique l’incapacité de nos dirigeants à comprendre qu’un réseau de production d’une énergie intermittente (l’éolien ne fonctionne qu’à 23 % de ses capacités, et le solaire à 14 %) et non-stockable (contrairement aux cuves de pétrole) doit être doublé par un réseau de production stable : le nucléaire en France, les centrales thermiques en Allemagne. Le solaire et l’éolien fonctionnent moins du quart du temps en moyenne, et de manière aléatoire (car il faut du vent et du soleil), alors que le nucléaire fonctionne à 93 % (sauf mauvaise gestion du parc comme en 2023) (1).
Ou bien on accepte des coupures de courant fréquentes quand il n’y a pas de vent ou de soleil – coupure de l’Internet, des data-center, des congélateurs et des hôpitaux –, ou bien on les pallie par le nucléaire. Mais comme le nucléaire est une grosse machine qui ne peut pas s’arrêter rapidement – à l’inverse des centrales thermiques –, la situation est ubuesque : quand l’éolien et le solaire fonctionnent, il faut délester en exportant même à perte, ou brimer les centrales nucléaires, ce qui les dégrade pour un coût élevé (6 milliards par an). Seule l’Allemagne, qui n’a plus de nucléaire, a intérêt à l’éolien et au solaire pour couper dès que possible ses centrales thermiques. En France, c’est ceinture et bretelle, avec une production électrique en double !
La sorcière supplante l’ingénieur
Faute de scientifiques parmi nos dirigeants, qui comprend ce raisonnement élémentaire ? La sorcière semble supplanter l’ingénieur. Mais cela ne concerne pas les têtes pensantes industrielles qui pilotent ces politiques : la création d’un deuxième réseau de production électrique, et bientôt d’un troisième, ce sont des centaines de milliards d’investissements publics, qui profitent à des intérêts économiques rationnels : importateurs de matériels chinois (pales d’éoliennes, panneaux photo-voltaïque) et allemands (Siemens) ; transporteurs chargés du commerce intercontinental au fioul lourd (CMA CGM) ; bétonneurs (Lafarge) et constructeurs (Bouygues) en charge de ces programmes – 40 millions de tonnes de béton pour les éoliennes égalent deux années de production nationale, et 4 millions de tonnes d’acier (Arcelor) pour les mats déjà réalisés, en attendant de tripler la mise.
Que pèse l’environnement face à ces industries lourdes quand il s’agit d’enterrer ou d’immerger des millions de tonnes de béton en zones naturelles, notre « mur de l’Atlantique » ? Quid des entreprises chargées de la pose des panneaux, de la maintenance et de l’entretien d’équipements fragiles, ces lobbies actifs à plus de 120 milliards dans le PPE-3 ?
Dès lors qu’on a renoncé à produire des biens industriels, hormis l’armement et le luxe, la rente publique est la seule source de profitabilité. Dans une économie sans croissance, les acteurs se battent pour les ressources garanties par l’État, sur le modèle des autoroutes ou des concessions de notre économie de rentes. Des intérêts bien compris pilotent ces politiques publiques, parées des vertus de la morale écologique. Des lobbyistes affûtés défendent ardemment le béton, l’acier, le non-durable comme les terres rares importées.
Pourtant, des solutions à la double crise industrielle et écologique existent. Produire localement ce qui est importé d’Asie, y compris des éoliennes et les panneaux solaires. Imposer le ferroutage aux millions de camions européens en transit sur nos routes et autoroutes, quitte à affaiblir la rente des pétroliers, du BTP et des concessionnaires. Relancer le nucléaire pour monter la production électrique stable à bas coût, clef de la réindustrialisation. Développer la SNCF pour les liaisons province-province et le fret, quitte à nuire au lobby autoroutier. Car pour réduire la dépendance au pétrole, le plus rapide serait de mettre les camions sur des trains, de produire sur place (notamment les produits agricoles), de ne vendre que des fruits et légumes de saison, de cesser de subventionner les low-cost, quitte à déplaire aux hôteliers et aux trop nombreux aéroports…
Notre politique environnementale consensuelle nourrit le BTP, les importateurs et les financiers. Seule l’industrie manufacturière s’autofinance et enrichit ses travailleurs et leur pays. Notre industrie automobile, qui a exporté la moitié de ses emplois (250 000) et s’apprête à en sacrifier 70 000 autres pour des véhicules électriques importés, est à la croisée des chemins.
Pierre Vermeren
(1) Chiffres fournis par le Cérémé, Cercle d’Étude Réalités Écologiques et Mix Énergétique.
© LA NEF n°383 Septembre 2025