Concile de Nicée (domaine public)

Petite histoire du concile de Nicée

Outre le concile de Jérusalem du temps des apôtres, le concile de Nicée (325) est le premier grand concile œcuménique de l’histoire de l’Église : il conforta la foi christologique et eut de ce fait un rôle crucial. Présentation de ce concile, de son enseignement et des précisions qui furent nécessaires par la suite lors des conciles de Constantinople (381), Éphèse (431) et Chalcédoine (451).

Durant les trois premiers siècles de notre ère, les progrès du christianisme sont lents, particulièrement dans l’Empire romain. Dès le début, la nouvelle religion subit de violentes persécutions, d’abord des autorités juives en Terre d’Israël, ensuite des autorités romaines. Ces dernières classent rapidement le christianisme comme une superstitio, c’est-à-dire une religion illicite. Cette hostilité des autorités romaines envers la religion naissante est due au refus des chrétiens d’adhérer au culte impérial, où l’empereur est considéré comme une divinité. Ce refus est assimilé à un acte de déloyauté envers l’État. Il s’ensuit une période de persécution tantôt brutale, tantôt plus mesurée, qui nourrit un violent antichristianisme populaire parmi les populations païennes, ce qui freine l’évangélisation.
Au IIIe siècle, l’Empire romain subit d’une part une très violente crise institutionnelle, caractérisée par une multiplication des putschs militaires, et d’autre part une première vague d’invasions germaniques qui amènent l’Empire à deux doigts de l’effondrement. C’est dans ce contexte que l’empereur Gallien (260-268), qui souhaite la paix civile, promulgue un premier édit de tolérance en 260. Pour la première fois, le christianisme est reconnu comme une religio, une religion autorisée. Une période de coexistence pacifique avec l’État romain débute et dure une quarantaine d’années au cours desquelles le christianisme connaît une augmentation significative de ses fidèles. Après une dernière et terrible persécution (303-313), l’édit de Milan en 313, promulgué par l’empereur Constantin (310-337), rétablit la situation de l’édit de 260, mais dans un contexte nouveau : pour la première fois, l’empereur lui-même ne cache pas sa sympathie pour le christianisme, même s’il reste officiellement grand pontifie de la religion païenne. De fait, Constantin restera catéchumène toute sa vie et ne se fera baptiser que sur son lit de mort. Un des grands soucis de cet empereur est d’assurer la paix civile à l’intérieur de l’Empire, soumis de plus en plus à des agressions et tentatives d’invasion des peuples germaniques. Or la paix de l’Église est troublée par des controverses théologiques qui menacent son unité.

L’erreur des doctrines dualistes

À l’âge apostolique, l’Église se concentre surtout sur le cœur de son message qui est une doctrine du salut (1) : le Christ, en mourant sur la Croix, nous a réconciliés avec Dieu. Il a vaincu la mort et il est désormais vivant auprès de Dieu. Cette Résurrection du Christ s’accompagne d’une promesse de résurrection pour l’humanité entière. Cette doctrine ne sera jamais remise en cause au sein de l’Église.
Les difficultés commencent quand les théologiens entreprennent d’expliciter le lien très particulier que le Christ entretient avec Dieu, qu’il appelle « le Père ». Il se désigne lui-même comme le « Fils de Dieu » ou le « Fils de l’homme ». Cette dernière expression renvoie au « Fils d’homme » du livre de Daniel, figure à la fois divine et humaine. À certains moments, Jésus-Christ semble ne faire qu’un avec le Père, et à d’autres moments il se distingue de Lui. Ainsi dans le prologue de Jean, le Christ est identifié au Logos de Dieu, terme renvoyant à la philosophie platonicienne et repris par le philosophe juif Philon d’Alexandrie (20 av. J.-C.-45 ap. J.-C.). Comment comprendre tout cela ?
Dès le début du IIe siècle, on tente d’exprimer de façon synthétique le contenu de la foi chrétienne. Le symbole des Apôtres, rédigé à cette époque, est la première tentative de résumer l’essentiel de la foi chrétienne dans un texte court et synthétique. On y affirme déjà la foi en la Trinité : 1) Dieu le Père, tout-puissant et créateur du monde ; 2) son Fils unique Jésus Christ qui souffre sa passion, meurt sur la croix pour nous et ressuscite ; et 3) l’Esprit Saint. Le but de ce symbole est de s’opposer aux doctrines dualistes (gnosticisme, marcionisme, manichéisme) qui opposent le Dieu bon et transcendant au démiurge, une créature devenue maléfique, créatrice du monde matériel mauvais. Ces doctrines considéraient que le Christ, envoyé du Dieu bon transcendant, n’avait pris qu’une apparence humaine qui n’avait nullement souffert lors de la crucifixion, laquelle n’avait nulle valeur rédemptrice et avait juste permis au Christ de regagner le monde spirituel du Dieu transcendant. Pour ces doctrines, il n’y a ni Trinité, ni incarnation, ni rédemption ! Toutefois, ces religions dualistes avaient prospéré en marge de l’Église issue de la prédication apostolique et n’avaient pas remis en cause l’unité de cette dernière. Dans le symbole des apôtres, on ne précise pas la nature du Christ et de l’Esprit par rapport à celle du Père, et pas davantage si le Christ est à la fois de nature humaine et divine ou non. À partir de là, les controverses théologiques sur la nature de la Trinité ainsi nommée vont naître et se développer.

La nécessité d’un concile

Certains affirment que Jésus est simplement un homme qui fut adopté par Dieu lors de son baptême. C’est l’adoptianisme. Pour d’autres, le Dieu unique se manifeste tantôt comme Père, tantôt comme Fils (ou Logos), tantôt comme Esprit. C’est le modalisme. D’autres encore essayent d’identifier le Logos, cité dans le prologue de l’Évangile de Jean, au Logos des platoniciens. Il serait d’abord « pensée de Dieu » avant d’être émis par Lui pour devenir une personne participant à la création. Dans ce système, le Logos (ou Fils) n’est pas de même nature que le Père. Il est subordonné à Lui. C’est le subordinationisme. Le plus célèbre des subordinationistes est Origène (c. 185-253), directement influencé par la philosophie platonicienne.

Un premier concile local, convoqué par le pape Denys (259-268) à Rome en 262, condamne le modalisme. Puis le pape, dans une lettre à l’évêque Denys d’Alexandrie – qui était un disciple d’Origène – affirme le dogme trinitaire, et utilise pour la première fois le terme « consubstantiel » pour définir l’unité de substance (2) entre le Père et le Fils, Jésus-Christ.
Un peu plus tard, le prêtre et théologien Arius (256-336) d’Alexandrie défend le modèle subordinationiste suivant :
– le Dieu unique, transcendant et inengendré, a produit le Logos, pour qu’il soit créateur du cosmos ;
– le Logos, fils adoptif de Dieu, est une créature parfaite, agent de la rédemption, qui s’incarne dans le Christ, dans lequel il joue le rôle de l’âme ;
– l’Esprit est la première des créatures du Logos, et n’est donc pas davantage consubstantiel au Père.

Le succès de cette doctrine jette le trouble dans l’Église, ce qui conduit Constantin, qui tient à la paix religieuse de l’Empire, à intervenir. C’est lui qui prend la décision, alors qu’il n’est même pas officiellement chrétien, de convoquer le premier concile général (dit « œcuménique ») à Nicée, en 325, c’est-à-dire une assemblée représentant l’ensemble des évêques de l’Église et chargée de discuter de la définition de la doctrine chrétienne telle qu’elle doit être comprise et enseignée. À l’époque, l’empereur est le seul disposant d’une autorité suffisante pour pouvoir réunir un tel concile, le pouvoir de juridiction du pape sur l’Église universelle n’étant pas reconnu en Orient. Mais l’empereur s’arroge ainsi une responsabilité dans le domaine spirituel qui normalement ne devrait pas être de son ressort. C’est le début du césaro-papisme (3) des empereurs romains, ce qui aura les plus fâcheuses conséquences par la suite.

Déroulement du concile

220 évêques se réunissent donc à Nicée en 325. Parmi eux, cinq seulement pour l’Église d’Occident, dont l’évêque Ossius de Cordoue (256-357), un des rares théologiens occidentaux à cette époque. Le pape Sylvestre n’est pas présent, mais il a envoyé deux représentants. Deux évêques arméniens et un évêque venant de Perse sont également là. Parmi les membres illustres du concile, on compte le diacre de l’évêque d’Alexandrie, saint Athanase (298-373), qui sera toute sa vie un champion du credo de Nicée. On compte aussi Eusèbe, évêque de Nicomédie (+ 341), partisan d’Arius, et un autre Eusèbe, évêque de Césarée (c. 260-339), célèbre pour sa prodigieuse érudition et qui nous a laissé un témoignage sur le déroulement du concile. Saint Nicolas (c. 270-343), évêque de Myre, est également présent (4). L’empereur Constantin ouvre la première session du concile le 20 juin, rappelant que l’objectif de ce concile est de rétablir la paix dans l’Église.
Les discussions théologiques débutent aussitôt. Arius est invité à exposer sa doctrine, laquelle est condamnée à une très forte majorité. Le concile propose ensuite une formule de foi appelée à durer : le symbole de Nicée, qui affirme le dogme trinitaire et la consubstantialité entre le Père et le Fils (ou Logos), lequel s’est incarné et s’est fait homme.
Le concile règle aussi certains points de discipline et précise les juridictions des trois patriarcats : celui de Rome – dont la primauté est reconnue –, celui d’Antioche et celui d’Alexandrie. Le concile détermine également la méthode de calcul de la date de Pâques – toujours en vigueur aujourd’hui.

L’après-concile

Ainsi, pour la première fois, une assemblée représentative de l’ensemble de l’épiscopat aboutit à un consensus en matière d’expression du dogme.
L’empereur Constantin est satisfait du résultat et s’engage à faire appliquer les décisions du concile.
Malgré tout, le symbole de Nicée présente encore de nombreuses imperfections : si l’unité de substance entre le Père et le Fils est affirmée, elle n’est pas explicitement étendue au Saint-Esprit. De plus, on ne précise pas en quoi le Père, le Fils et l’Esprit se distinguent. Enfin, rien n’est dit sur la manière dont le Fils est à la fois l’homme Jésus et le Logos divin. Les ariens ne s’avouent nullement vaincus et les controverses vont continuer.

Bruno Massy de La Chesneraye

(1) Autrement dit, une sotériologie.
(2) La substance exprime la réalité concrète d’une chose, associée à l’ensemble des caractéristiques de cette chose.
(3) Doctrine politique qui affirme la supériorité du pouvoir civil sur la ou les religions d’une société humaine.
(4) Il s’agit du saint Nicolas qui est à l’origine de la tradition de la distribution des oranges aux enfants le jour de sa fête.

© LA NEF 381 Juin 2025, mis en ligne le 26 septembre 2025