La Nef avait publié en mars 2025 un grand dossier sur la Fraternité Saint-Pie X contenant un article de Pierre Louis, « Traditionis custodes justifie-t-il a posteriori les sacres de 1988 ? », dans lequel il contestait l’existence d’un « charisme d’exclusivité » en matière liturgique. Le père Louis-Marie de Blignières, fondateur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, a répondu à cet article dans le n°172 de Sedes sapientiae (juin 2025) : « Charisme d’exclusivité ou garantie d’identité ? » Nous publions la réponse de Pierre Louis à cet argumentaire.
Dans Sedes Sapentiae, n° 172, juin 2025, le père Louis-Marie de Blignières fait « part de diverses critiques » portant sur mon article paru dans La Nef n°378 de mars 2025. Dans cet article, je tenais que certains traditionalistes ont pu extrapoler les engagements du Siège apostolique, lequel leur garantissait certes le respect de leurs aspirations légitimes, notamment en matière liturgique, mais pas au point d’authentifier un quelconque charisme d’exclusivité rituelle, et donc d’exclusion totale de la forme rénovée du Missel romain.
1. Le père de Blignières se pose en témoin autorisé de ce qui a été concédé en 1988 aux instituts Ecclesia Dei, étant lui-même fondateur de l’Institut Saint-Vincent Ferrier. Nous ne lui contestons nullement cette position de surplomb, sauf de prétendre éventuellement à un monopole de posture. Nous avons nous aussi interrogé des fondateurs (de la Fraternité Saint-Pierre, en l’occurrence) de cette époque à ce sujet. Nous sommes étonnés de lire sous la plume du père de Blignières : « Et les fondateurs des instituts n’auraient pas demandé leur érection canonique s’ils n’avaient été assurés de pouvoir s’en tenir à la célébration selon la liturgie traditionnelle. » L’auteur insinue-t-il que c’est la promesse de pouvoir célébrer uniquement selon l’ancien rite qui constitue la grâce de la fondation de ces instituts et non le choix résolu de la communion ecclésiale face à la malice intrinsèque d’une succession épiscopale en l’absence d’un mandat pontifical en bonne et due forme, lequel est le signe de la reconnaissance pratique du primat de juridiction du pontife romain ?
2. Le père de Blignières se veut didactique en expliquant de façon assez condescendante qu’on ne va pas plus demander à des prêtres célébrant selon l’ancien rite de célébrer selon le nouveau qu’à des joueurs de rugby de jouer au football (pour inverser sa métaphore). Nous nous permettons de le renvoyer à l’entraînement des valeureux joueurs de rugby du Stade toulousain pour constater qu’ils jouent aussi au football, pour acquérir justement un autre point de vue et développer d’autres talents. Acquérir un autre point de vue, ou ouvrir une perspective, voilà qui permettrait de sortir d’une vision « ritualo-centrée », si l’on me passe cette expression, où « le culte du culte » du Dieu finit par devenir plus important que le culte de Dieu.
3. Le père de Blignières, toujours patient pédagogue, explique qu’il n’en va pas d’un « charisme d’exclusivité » mais d’une « garantie d’identité », tout en rappelant l’usage de membres de ces instituts d’« assister » à la messe chrismale en tenue de chœur, sans concélébrer, sans doute pour ne pas participer davantage à cette turpitude au point de s’y salir les mains. L’auteur réitère d’ailleurs ses réserves à l’encontre du missel réformé. Si la garantie d’identité ne se traduit pas ici en termes d’exclusion du Novus Ordo Missae, laquelle exclusion serait à rebours de ce que demandait Benoît XVI, il est possible que je sois « plus catholique que le pape », selon la raillerie de l’auteur, mais alors le père de Blignières, lui, est plus jésuite que dominicain !
4. L’expression, qui fait actuellement florès, des « pédagogies traditionnelles de la foi », n’est qu’un euphémisme pour dire qu’il y aurait un « pack » pastoral qui accompagnerait nécessairement la concession du missel antérieur, pour justifier un apostolat séparé constitutif d’une sorte d’écosystème. Il faudrait absolument constituer un « milieu » clos – notion pourtant au cœur de la décision séparatiste de Mgr Lefebvre. Mais n’est-ce pas à cela que reviendrait la « circonscription ecclésiastique dédiée au rite latin ancien » (1) préconisée par le père de Blignières ? Il cite à titre de référence le cas de l’administration apostolique personnelle instituée à Campos, au Brésil ; mais, à notre connaissance, Mgr Rangel, qui en fut l’évêque, s’est montré autrement ouvert sur ces questions rituelles.
5. On assiste aujourd’hui, et c’est sans doute hélas un effet pervers de Traditionis custodes, à une volonté de resituer la question liturgique dans la problématique des années 1970, notamment en exhumant cet authentique faux que représente le Bref examen critique du nouvel Ordo Missae attribué aux cardinaux Ottaviani et Bacci, lesquels s’en sont désolidarisés, mais composé par le père Guérard des Lauriers dont on connaît le parcours ecclésial exemplaire puisqu’il a fini en évêque schismatique sedevacantiste ! Soyons clairs : tant que la célébration de l’ancien Ordo sera adossée au refus, théorique ou pratique, du nouveau, elle posera à l’Église la question de la communion effective. Les dirigeants d’instituts, de pèlerinages ou de mouvements qui en reviennent à cette prémisse de la FSSPX prennent la grave responsabilité de correspondre exactement à ce que François reprochait à cette mouvance et n’aident guère Léon XIV à adoucir le dispositif de Traditionis custodes.
Pierre Louis
(1) Soit un diocèse personnel exempt de la juridiction des Ordinaires des lieux.
© LA NEF le 23 juillet 2025, exclusivité internet
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