Joël Hautebert, professeur agrégé des facultés de droit, enseigne l’histoire des idées politique. Il dirige la nouvelle collection « Critères » chez Hora Decima et sort lui-même un ouvrage dans cette collection.
La Nef – Pouvez-vous commencer par préciser ce que vous entendez par « déconstruction » ?
Joël Hautebert – Le terme déconstruction est souvent utilisé pour définir le wokisme, ou plus généralement la société postmoderne, qualifiée aussi de société fragmentée ou liquide. Précédemment, la modernité aurait été constructiviste, sur le fondement d’idéologies proposant un avenir radieux accessible par l’action collective et politique. Pourtant, la postmodernité se situe dans la continuité de la modernité dont elle prétend même réaliser enfin les principes émancipateurs initiaux. Les diverses idéologies que nous avons connues depuis la Révolution française ont la même matrice, la révolte contre l’ordre des choses tel que Dieu l’a créé, fondée sur le volontarisme et la prétention scientifique de parvenir à la maîtrise du monde pour le transformer. C’est pourquoi, il nous a semblé légitime de parler de cohérence de la déconstruction, car elle suit un processus continu depuis des siècles, quoique sous des formes variées et en apparence contradictoires.
L’ampleur de cette déconstruction est récente, mais les causes en sont lointaines : quelles sont-elles, et pourquoi le mouvement s’est-il accéléré depuis une vingtaine d’années ?
Depuis l’après-guerre et la chute du monde communiste, la révolution anthropologique a poursuivi sa marche en avant en vue de déconstruire les institutions politiques et sociales, la famille, mais aussi l’homme lui-même. Le rejet de Dieu de la cité conduit au bout du processus à l’effacement de l’homme, créé à l’image de Dieu. Toutes les idéologies, à leur manière, ont participé et participent encore à ce mouvement. Ainsi, la société technicienne et consumériste poursuit l’action entamée précédemment avec une efficacité redoutable.
L’accélération du processus s’explique par la perte des repères anthropologiques les plus élémentaires à tous les échelons de la société. Les freins institutionnels, culturels et religieux se sont relâchés au point de se disloquer sous nos yeux, laissant libre cours à une avancée émancipatrice qui consiste à qualifier de victoire progressiste toute légalisation de pratiques autrefois jugées néfastes pour la société, immorales ou même criminelles. Cependant, si l’accélération du processus est bien actuelle, les fondements philosophiques des idées mises en œuvre n’ont absolument rien de nouveau.
Ce mouvement de « déconstruction » semble tout emporter : est-il possible d’y résister, comment y répondre ?
La première forme de résistance consiste à ne pas participer à cette déconstruction dans ce qu’elle a de criminel. Même si nous assistons à un renversement généralisé des notions de bien et de mal, il ne faut pas perdre de vue également que tout homme a une conscience et qu’un réveil est toujours possible. Du point de vue politique, il convient aussi de ne pas recourir à des idéologies mortifères qui ont prospéré au XIXe ou au XXe siècle, sous prétexte de combattre la forme idéologique dominante (le libéralisme), alors qu’elles sont tout aussi dévastatrices que le modèle libertaire contemporain. J’ajoute encore que si le spirituel est premier et qu’il est urgent de se débarrasser de toutes les formes de naturalisme, nous ne devons en aucun cas sous-estimer l’enjeu politique car, ne l’oublions jamais, nous sommes naturellement des êtres politiques.
Votre ouvrage s’inscrit dans une nouvelle collection, « Critères », de petits livres (environ 70 pages) : quels sont ses buts et son programme ?
Lancée au mois de mars, la collection Critères propose des ouvrages synthétiques, relatifs aux questions politiques (au sens large) et anthropologiques, destinés à aider au discernement en vue de l’action. Les cinq livres déjà publiés et ceux qui suivront traitent aussi bien des principes du politique (l’homme animal politique, l’autorité, le bien commun…), des idéologies et philosophies ennemies (Nietzsche, fascisme, libéralisme, Machiavel…) que de leurs implications pratiques (la société technicienne…). À ce dernier titre, nous souhaitons publier régulièrement des livres en relation directe avec des questions d’actualité, à l’image de celui de Cyrille Dounot relatif aux atteintes à la liberté de l’Église (L’Église hors-la-loi). Les thèmes des ouvrages ne sont pas choisis au hasard, la lecture de l’un pouvant amener le lecteur à se tourner vers d’autres ouvrages de la collection dont la thématique est connexe. Nous publierons cinq nouveaux ouvrages d’ici Noël et nous poursuivrons sur le même rythme par la suite.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
- Joël Hautebert, Cohérence de la déconstruction, Hora Decima, 2025, 66 pages, 10 €.
- Jean-Marie Vernier, Nietzsche ou l’exultation de la transgression, Hora Decima, 2025, 68 pages, 10 €.
- Cyrille Dounot, L’Église hors-la-loi ?, Hora Decima, 2025, 74 pages, 10 €.
© LA NEF n°382 Juillet-Août 2025