Qu’est-ce que la beauté ? Ne sommes-nous pas, collectivement et depuis longtemps, installés dans l’indifférence à la beauté et, pour certains, dans son déni ? Or, le beau demeure bien vivant et Christine Sourgins, dans deux ouvrages récemment parus nous en proposent une lecture stimulante.
La parution de ces deux livres de Christine Sourginsest un événement en ce que ces ouvrages proposent une analyse, de fond, cultivée, non dogmatique du mot Beauté. Il intervient à la fin de plus d’un demi-siècle d’une domination d’un Art conceptuel mondial, institutionnel, hautement coté. Un record récent illustre le pouvoir qui a réussi à changer le contenu du mot « art » et invite à un questionnement sur le sens des mots. En novembre 2024, la banane scotchée de Maurizio Cattelan, existant en 4 exemplaires, matérialisé par 4 certificats, a atteint pour l’un d’entre eux la somme de 6,2 M$.
Christine Sourgins a écrit en 2005 un livre qui fait référence : Les mirages de l’Art contemporain.[1] Il décrit le contenu de l’association des mots art et contemporain, ruse sémantique qui occulte sa nature non esthétique, strictement conceptuelle et sa prétention à être le seul art d’aujourd’hui.
Le philosophe Jean Baudrillard écrivait dans sa tribune du journal Libération en mai 1996 : « L’art contemporain spécule sur la culpabilité de ceux qui n’y comprennent rien ou qui n’ont pas compris qu’il n’y avait rien à comprendre » ce qui, alors, a provoqué un scandale dans le monde intellectuel bien-pensant de l’époque. Christine Sourgins, pour rendre cette compréhension possible s’est attachée à analyser avec précision ce concept et rendre visible son contenu qui s’avère être exactement inverse de celui que le commun des mortels donne au mot « art ».
La manipulation sémantique a consisté à classer toute œuvre esthètique dans la rubrique artisanat, décoration ou pastiche anachronique. Seul l’Art contemporain est qualifié d’art. Pour le « bien de l’humanité ». Son devoir est la critique de la société, sa dénonciation, déconstruction, détournement. Après 1991, son adaptation au « soft power » d’une Amérique désormais hégémonique, ajoute à la mission la défense des « valeurs sociétales » (écologie, genre, diversité) et va plus loin en faisant dire à Jeff Koons[2] : Mon travail combat la nécessité d’une fonction critique de l’art et cherche à abolir le jugement afin que l’on puisse regarder le monde et l’accepter dans sa globalité. L’affirmation de la vacuité, toujours pour le bien de l’humanité, rend ainsi la confusion sémantique totale. L’histoire de l’art, est ainsi devenue « story telling » à l’usage d’une stratégie de marketing.
Christine Sourgins a estimé alors important de cerner le contenu du mot Beauté, mot symétriquement le plus opposé à la définition conceptuelle de l’Art contemporain. Ce mot couvre tant de diversité, de complexité, d’histoire, d’images, qu’il a fallu beaucoup d’années et 5 livres pour y parvenir. Deux viennent de paraître : Anatomie de la Beauté et Géographie de la Beauté et sont aujourd’hui disponibles. Ils seront suivis de trois autres : Bienfaits de la Beauté, Beauté Singulière, Guerre à la beauté.
L’éclaircissement sémantique de Christine Sourgins, a pris 300 pages pour les Mirages de l’Art contemporain, mais infiniment plus quand il s’est agi d’entrer dans la compréhension du mot Beauté où il ne peut pas être question d’énoncer une théorie mais de décrire une réalité. Tout était à reconsidérer après que la beauté ait été réduiteau subjectif, au joli, à la « déco » mais encore, jugée dogmatique, académique, formaliste, accusée d’élitiste, réservée aux riches, discriminante, opium du peuple. Pour être enfin être diabolisée, qualifiée de « fasciste ». Le mot Beauté, est alors devenu un tabou, interdisant tout débat sur l’art pendant un demi-siècle.
Ces livres permettent à ceux qui s’interrogent d’avoir les données, œuvres, faits historiques, interrogations que la beauté a suscitées tout au long des siècles. Ils donnent un « trousseau de clés » qui permet d’avancer dans notre propre questionnement. Christine Sourgins ne construit pas un concept de la beauté, un nouveau dogme qui s’ajoute aux précédents mais donne des instruments, des mots, des éléments de l’histoire. Elle fournit des outils, pour ouvrir un débat, construire une pensée que l’on ne peut plus écarter. La beauté a été vécue longtemps comme une évidence, elle est devenue objet de controverse au tournant du 19ème siècle avant de devenir un interdit après les années 60. Ce travail prend compte de ce demi-siècle marqué par la diabolisation de la Beauté. Ce contraste nous permet de mieux comprendre la profondeur de ce qu’elle évoque.
Cette somme sur la beauté artistique n’emprunte pas le langage et les méthodes d’analyse du philosophe, sociologue, économiste, juriste. Christine Sourgins se comporte en historienne d’art pragmatique et apporte des éléments de compréhension en passant aussi par l’expérience sensible de l’art permettant d’approcher une question devenue forte aujourd’hui : qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce que la beauté ? Question qui peut remettre en cause la doxa en vigueur
Aude de Kerros
[1] Christine Sourgins, Les Mirages de l’Art contemporain, La Table Ronde, 2005, en poche, actualisé chez Eyrolles en 2023. [2] L’artiste le plus hautement financiarisé : Rabbit, (qui existe en plusieurs exemplaires) a atteint le record de 9,1 millions de dollars en 2019.Christine Sourgins, Anatomie de la Beauté et Géographie de la Beauté, tout deux aux Éditions Boleine, 2025, 200 pages et 15 € chacun.
© LA NEF le 26 décembre 2025, exclusivité internet
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