La guerre ne tend pas à disparaître de notre monde et les moyens modernes peuvent la rendre encore plus destructrice et immorale que par le passé. Plus que jamais se pose la question de la guerre juste.
La réflexion sur la guerre juste est une tradition ancienne, confortée par le Catéchisme de l’Église catholique. Pourtant certains refusent l’idée même, la guerre étant fondamentalement mauvaise et encore plus avec les armes modernes. Le pape François dans Fratelli tutti considérait ainsi que l’intervention de l’arme nucléaire rendait difficile le maintien d’un concept de guerre juste. Et d’autres craignent que l’idée puisse être invoquée pour justifier toutes sortes de guerres.
Un fait s’impose toutefois : si quelqu’un vous agresse, la guerre s’impose à vous, car il est difficile de considérer moral le fait de laisser l’agresseur imposer sa loi. Or il y a des individus malintentionnés, et ils peuvent prendre le pouvoir sur un peuple. Réagir contre eux est ce qu’on appelle la légitime défense, cas évident de guerre juste. Mais ce n’est pas le seul. Bien sûr, une guerre nucléaire conduirait à une destruction générale, qui ne peut être justifiée. Mais l’expérience des quatre-vingts dernières années montre qu’il y a eu de très nombreuses guerres sans nucléaire.
Nous sommes dans un monde d’États souverains ; ils peuvent faire la guerre pour régler des différends qui n’ont pas pu l’être autrement, et il n’y a pas d’autorité mondiale capable d’arbitrer entre eux ou de les ramener à la raison. Mais un tel monde n’en reste pas moins justiciable d’un jugement moral. Certes, cela laissera indifférent un dirigeant cynique ; mais pas ceux qui se réclament d’un minimum de moralité ; or c’est le cas général, au moins dans le discours. Le fait que des actions sont susceptibles d’un jugement de type moral n’est donc pas sans effet, au moins sur les populations concernées. Cela envoie aussi un avertissement au cynique, car les autres pourront s’indigner de son action et réagir.
Les principes
La théorie classique de la guerre juste s’est développée en milieu chrétien ; elle a trouvé sa formulation précise entre le Moyen Âge et le XVIIe siècle avec saint Thomas d’Aquin, Vitoria et Grotius.
On distingue traditionnellement le fait d’engager la guerre (jus ad bellum) et les règles de conduite de la guerre (jus in bello). Pour le premier, on retient en général six critères. Trois de principe : qu’elle soit déclarée par une autorité légitime ; que la cause soit juste ; et que l’intention soit bonne. Puis trois critères concrets : que ce soit en dernier recours ; qu’il y ait une chance raisonnable de succès ; et que les bienfaits attendus l’emportent sur les maux inévitables. Quant aux règles de conduite de la guerre, on peut les regrouper en deux : la distinction entre les combattants et les autres, qui sont en principe épargnés ; et une proportionnalité entre les moyens et les effets attendus. Ce qui veut dire que la guerre doit être autant que possible limitée, et qu’on ne perde jamais de vue que le but final est la paix. Et donc qu’on reconnaisse qu’on devra ensuite vivre en paix avec le vaincu.
Notons que ces différents principes, une fois énoncés, paraissent logiques et pleins de sens. Pourquoi faire la guerre, si le but est mauvais, si cela fera plus de mal que de bien, si on peut trouver d’autres solutions, ou si on risque sérieusement de perdre ? Et comment ne pas exiger qu’elle soit décidée par une autorité légitime et responsable ? Et pourtant, de tels critères auraient conduit à écarter bien des guerres, sans doute la grande majorité.
La position catholique actuelle
L’Église a développé le concept de guerre juste (cf. l’article du père François Daguet, p. 24-25), en insistant tout particulièrement sur la légitimité de se défendre face à une agression : « une guerre d’agression est intrinsèquement immorale. Dans le cas tragique où elle éclate, les responsables d’un État agressé ont le droit et le devoir d’organiser leur défense en utilisant notamment la force des armes » (Compendium de la Doctrine sociale, n. 500).
L’accent ainsi mis sur la seule défensive ne va pas tout à fait de soi. On admettra sans difficulté qu’il ne serait pas licite de mener une guerre moderne, avec sa violence, simplement pour réparer une injustice ou défendre un droit même légitime, comme on le faisait traditionnellement. Mais il est possible d’envisager des cas (rares) justifiant une guerre même non-défensive : par exemple, si un génocide est en préparation (Rwanda début 1994). Le Compendium (501) estime ainsi que dans certaines conditions, on peut aller jusqu’à une guerre préventive. Mais certainement pas au seul motif qu’un régime politique vous paraît mauvais, par exemple s’il n’est pas « démocratique ».
La manière de mener la guerre
La conduite de la guerre (jus in bello) a fait l’objet de développements plus nombreux en droit international (respect des civils, choix des armes, etc.), même s’ils sont loin d’être respectés. Ce qui fait qu’ils attirent plus l’attention que le principe de la guerre, et donnent lieu à des accusations, fondées ou non, de « crimes de guerre », voire de « génocides ». On a vu, que pour l’Église, on doit pour conclure qu’une guerre est juste, examiner entre autres si « l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer », ce qui implique un jugement sur les moyens. Celui qui martyrise la population civile ennemie produit un effet qui peut être plus grave que le tort qu’il prétendait redresser.
La pratique est bien moins évidente. Un exemple majeur : les bombardements de populations civiles allemandes et japonaises par les Alliés en 1944. Ils ont été assumés à l’époque et jamais condamnés. Or ils allaient clairement contre les lois de la guerre d’alors. Et leur efficacité a été douteuse. Plus généralement, on donne deux familles de motifs pour justifier la mort de civils. Ce peut être parce que ce serait un effet non voulu en soi, ce qu’on appelle classiquement le « double effet ». Cela suppose alors que les moyens soient réellement proportionnels, avec un vrai effort pour épargner les civils. Ou que les pertes soient faibles par rapport aux vies par ailleurs épargnées. Cela peut se produire. Mais cela ne justifie pas le bombardement de populations civiles comme telles : ni Dresde, ni Hiroshima.
Un jugement plus qu’un savoir
Comme l’on voit, la réflexion sur la guerre juste combine des jugements de moralité et des éléments de réalité. Les principes s’appliquent à un domaine où il n’y a pas de certitude concrète. Il s’agit donc d’une appréciation menée en conscience et non d’une conclusion imparable. Mais, plus que du positionnement même de la théorie, la difficulté vient de l’appréciation des faits. Par exemple, lorsqu’il est demandé par le Catéchisme « que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces », et « que soient réunies les conditions sérieuses de succès ». Ce qui suppose pour le premier point de prendre en considération non seulement l’ensemble des phases préparatoires à la guerre, mais aussi une estimation des voies alternatives. Or c’est par nature incertain. Et sur le second point, l’incertitude est encore plus grande, car on se heurte à la logique même de la guerre, choc de deux volontés. Par définition on ne connaît pas le résultat, sauf guerre très dissymétrique. Si l’enchaînement des opérations et contre-opérations était prévisible, chacun agirait autrement. Et sans doute il n’y aurait peu ou pas de guerres, le perdant probable abandonnant d’emblée.
Un questionnement essentiel va être ici celui des buts de guerre : les résultats espérés. Ils définissent ce pour quoi on se bat et permettent d’évaluer en regard les moyens engagés et les risques pris. Il y a un grand nombre de buts de guerre possibles. On peut en distinguer au moins trois grands types, qui peuvent se combiner entre eux : idéologiques (promouvoir une idéologie, des idées ou des valeurs), de conquête (accroître la puissance d’un État), et patriotiques (assurer l’épanouissement d’une communauté, défendre ses intérêts). Les deux premiers sont en général plus agressifs et portent à la guerre, et à des guerres plus radicales. Mais le troisième a pu conduire à des guerres dévastatrices comme en 14-18.
Rappelons enfin que le jugement sur la justesse d’une guerre évolue dans le temps, selon le déroulement des opérations et l’évolution des buts de guerre. La probabilité du succès, ou la conviction raisonnable que la situation sera meilleure en faisant la guerre, sont évolutives par nature.
Réflexion d’ensemble
La doctrine de la guerre juste ne peut jamais être une valorisation de la guerre comme telle. Moralement il faut chercher la paix et éviter ou atténuer les effets de la guerre. Mais dans la réalité des rapports humains, il y a des cas où on peut avoir moralement le droit de faire la guerre, sans perdre de vue l’objectif qui est toujours la paix. Nous en avons des exemples démonstratifs dans l’histoire récente, en commençant par la Seconde Guerre mondiale, du côté allié, voire soviétique. Dans son principe, ce combat était juste. Mais la réflexion sur la guerre juste conduit à mettre des limites ; on l’a vu avec les bombardements de villes. L’interrogation peut aller plus loin et s’étendre aux buts de guerre de ces mêmes Alliés, qui étaient la capitulation de l’adversaire. Or un tel choix, par sa radicalité, rendait la paix impossible hors écrasement militaire de l’autre, d’où une guerre totale. Ce qui peut être contesté, au moins pour le Japon, comme le note Michael Walzer (1).
Plus récemment, la guerre du Golfe en 1990 était sans doute justifiée dans son principe, puisqu’elle réagissait à l’invasion caractérisée d’un pays, quelle que soit l’ambiguïté des événements antérieurs. Mais, inversement, l’invasion de l’Irak en 2003 doit être condamnée, même en mettant de côté la désastreuse gestion de la victoire. Tout comme l’expédition de Libye. Plus que les mensonges ou prétextes déployés à ces occasions, c’est l’oubli d’un critère essentiel, qui est le résultat à obtenir. En l’occurrence, la destruction d’un régime politique implique de poser la question de ce que deviendra le pays concerné ensuite : qui le prendra en charge ?
Qu’en est-il dans le monde actuel ? Il est plus éloigné que jamais de la perspective utopiste que certains envisageaient. La paix par une autorité internationale, type ONU, s’est révélée d’efficacité très limitée. Le terme de « légalité internationale » est trompeur, car la situation est très différente de ce qu’on appelle légalité à l’intérieur d’un État. Ce dernier dispose d’un appareil juridique et d’une force à même de faire respecter ses lois. Or l’ONU ne peut prendre position que s’il y a une majorité au Conseil de sécurité, et si aucun membre permanent ne s’y oppose. Dès lors, elle est souvent paralysée. Pourtant le risque de conflit subsiste. Et cela ne doit pas empêcher d’agir. Le droit international atteint plus vite encore ses limites, trop souvent incertain, non contraignant ou idéologique. Et il y a de réelles différences de perception sur le bien ou le droit. En définitive, la paix ne réside pas dans une formule, mais dans un travail patient et sans cesse menacé. Et il y aura plus que jamais matière à cet effort.
Ce qui conduit à cette appréciation n’est pas seulement la multiplication récente des guerres. Mais aussi la mise en évidence d’un monde de plus en plus multipolaire et hétérogène, où se développent des puissances nouvelles, de cultures très différentes, plutôt divergentes malgré la mondialisation. C’est ensuite aussi un monde marqué par des crises déstabilisatrices : finances, migrations, écologie, etc. Enfin ce monde sera à l’avenir de moins en moins « régulé » par les États-Unis et moins encore sous hégémonie de la pensée politique occidentale. Tout pousse donc à penser que les occasions de conflits devraient plutôt tendre à s’accroître.
Nécessité d’une perspective réaliste
Plus que jamais, cela exigera de se placer dans une perspective réaliste : dans la réalité des choses. Ce qui veut dire notamment qu’il ne faut pas se laisser obnubiler par les formules simplistes, qui s’avèrent dangereuses à l’épreuve. Ainsi la propension des États occidentaux à mener des guerres se prétendant moralement justifiées, en fonction de leur idéologie divisant le monde en camp du bien et camp du mal, par quoi on justifie un interventionnisme brouillon et la radicalisation des conflits. Cette politique s’est révélée remarquable par son inefficacité, Irak et Afghanistan étant les exemples les plus frappants. C’est que la mise en place de démocraties ici ou là dépend d’abord d’évolutions politiques internes.
Autre formule simpliste, les conflits de civilisations. Certes, plusieurs grandes civilisations gardent une forte spécificité. Mais ce qui structure les rapports de force est la rivalité des puissances, qui ne coïncident pas avec les civilisations. Et l’élément immatériel qui contribue à ces conflits est plus l’idéologie que la civilisation. Y compris dans le cas de l’islam, qui est loin d’être homogène et qu’il ne faut pas consolider dans un bloc. Même si c’est, parmi les idéologies disponibles aujourd’hui, une des plus potentiellement belligènes.
En conclusion
La conception classique de la guerre juste est un message de modestie et de prudence. Il n’est ni facile ni immédiat de porter un jugement équilibré face à une guerre. Tant l’analyse des faits, les hypothèses sur l’évolution future des combats, ou la prévision de l’effet final ne sont pas des sciences exactes. Mais justement, la réflexion sur la guerre juste conduit à modérer les ardeurs agressives ou émotionnelles que la guerre suscite, dont l’Ukraine et Gaza montrent la permanence. Cela suppose notamment d’éviter le double écueil de la passion idéologique, alors même qu’on croit profondément à certaines causes ou valeurs ; et celui de l’illusion pacifiste, croyant la paix à portée de la main. On peut avoir à faire des guerres, mais avec prudence et réflexion.
Pierre de Lauzun
(1) Michel Walzer, Guerres justes et injustes, Belin, 1999 (rééd. Folio-Essais, 2006).
- Pierre de Lauzun, La guerre juste, Boleine, 2024, 88 pages, 9 €. Une remarquable synthèse très accessible.
Le cas de la guerre d’Ukraine
L’histoire des relations entre Russes et Ukrainiens est longue ; le dernier épisode est la guerre menée depuis février 2022. Est-elle juste ? La partie russe qui est à l’origine met en avant divers arguments (outre certains peu crédibles) : la menace de l’Otan ; le sort des russophones depuis 2014 ; l’histoire. Ils ne sont pas sans valeur : il y a eu une réelle poussée de l’Otan en Europe orientale, et le basculement de l’Ukraine peut être vu côté russe comme une menace grave. Mais ces arguments ne suffisent pas à justifier l’invasion. La recherche de solutions alternatives est restée très insuffisante ; et le moyen utilisé est disproportionné.
En revanche, la défense ukrainienne paraît relever au départ de la guerre juste, même si de graves erreurs ont été commises (déclassement de la langue russe, bombardements de sa propre population dans le Donetsk, etc.). De même, les Occidentaux ont pris parti pour l’Ukraine et décidé de l’aider et de sanctionner l’agression, tout en évitant une guerre directe. Cela paraît justifié dans son principe.
Mais cette guerre s’est prolongée, avec beaucoup de morts et de destructions. Or une fois enclenchée, la guerre a sa logique. C’est le choc de deux volontés contraires, dont la solution est recherchée dans la violence. La sortie est dans le résultat sur le terrain : en général, la victoire d’une partie. Sinon la guerre se poursuit jusqu’à épuisement. C’est la logique à l’œuvre en Ukraine. La Russie contrôle 20 % de l’Ukraine ; elle a une supériorité matérielle ; les sanctions ne l’ont pas mise à genoux : elle n’a pas de raison de s’arrêter. L’Ukraine vise à récupérer son territoire antérieur ; elle a bien résisté ; elle reçoit une aide conséquente : elle continue. Leurs buts de guerre sont incompatibles. Tant que ces facteurs seront à l’œuvre, la guerre continuera. Mais plus elle dure, plus les adversaires en subissent les effets, notamment l’Ukraine dont les infrastructures et l’économie sortiront dévastées (sans parler des victimes).
Les Américains ont eu bien des raisons d’aider les Ukrainiens, notamment donner un coup d’arrêt à la Russie. Cela renforçait leur hégémonie, avec un impact économique positif. Mais ces buts sont atteints, et ils peuvent dès lors vouloir une sortie. C’est a fortiori le cas avec Trump, désireux de se montrer homme de paix et de desserrer la proximité entre Russes et Chinois. Mais pour le moment il piétine.
La situation des Européens est différente : le coût de la guerre et des sanctions est élevé pour eux ; leur capacité à aider les Ukrainiens est limitée. Les sanctions les ont conduits à démanteler leurs entreprises en Russie, avec une perte de plus de 100 milliards. Or l’effet principal de ces mesures a été de conduire la Russie à réorienter son activité vers plus d’autonomie, à ressusciter un complexe militaro-industriel à la soviétique, et à se lier encore plus à la Chine. Le bilan n’est donc pas convaincant. En outre, une victoire ukrainienne, avec la reconquête de tout son territoire, est désormais très improbable. Dans cette perspective, il faudrait négocier pour limiter les dégâts.
Mais les Européens se placent dans une éthique de conviction. Il s’agit de punir la partie mauvaise : les Russes ont tort ; ils ne doivent pas gagner. Et on inscrit cette guerre dans un grand récit de lutte des démocraties contre les régimes autoritaires. L’idée est alors que la Russie est dangereuse et qu’il faut l’arrêter dès que possible. Pourtant, piétinant devant la seule Ukraine, elle ne donne pas l’impression d’une puissance comparable à l’URSS. Mais les Européens sont désormais pris dans la logique de leur position. Ce faisant, ils risquent de reporter l’arrêt des hostilités à un niveau encore plus défavorable pour l’Ukraine.
Si donc la réaction européenne initiale était justifiée, le jugement à porter n’est plus le même. Le souci de la paix devrait revenir au premier plan, une paix qui supposera des compromis – avant que l’Ukraine ne lâche complètement.
Pierre de Lauzun
Le cas de la guerre de Gaza
Le conflit israélo-palestinien dure depuis 1948 et se présente d’emblée comme sans solution : il y a deux peuples, et une seule terre. Après une phase où les guerres ont opposé Israël et divers États arabes, jusqu’en 1978, désormais Israël et les Palestiniens sont face à face. Le rapport de force est très désavantageux pour ces derniers. Mais ils ont opté de fait pour une politique de résistance armée. Et les Israéliens ont poursuivi une politique de colonisation et d’annexion. D’où le maintien des antagonismes.
Il est difficile d’imaginer des solutions autres que dramatiques pour l’une au moins des parties. La coexistence dans un seul État est hors de question. S’il y a deux États, il faut que l’État palestinien soit à la fois viable et non menaçant pour Israël. Cela suppose qu’Israël renonce à coloniser la Cisjordanie et que les Palestiniens acceptent Israël. Au stade actuel, on en est très loin. Dès lors, on voit mal les bases d’une paix possible, hors hypothèses radicales : intervention en force de puissances tierces, élimination d’une des parties.
La situation a changé le 7 octobre 2023. En termes de guerre juste, la question est vite tranchée du côté du Hamas (la cause palestinienne est une autre question) : l’attaque du 7 octobre est injustifiable selon tous les critères disponibles, comme le maintien des otages jusqu’à ce jour, dont la libération aurait permis d’éviter des milliers de morts.
Reste Israël. L’extrême violence de l’agression subie, ses modalités révoltantes, la menace pour la population israélienne, justifient au départ la légitime défense. De plus, le Hamas affiche vouloir la destruction d’Israël, et on peut douter du réalisme d’une paix avec eux. On pouvait donc soutenir qu’il n’y avait pas d’autre solution que militaire. Restent les autres conditions de la guerre juste : intention droite, chances raisonnables de succès, et conviction raisonnable qu’on débouchera sur une situation meilleure.
Le dilemme était simple : soit Israël cherchait à détruire le Hamas ; soit il se bornait à des représailles et renforçait ses frontières. La deuxième hypothèse limitait la casse mais laissait intacte la menace. C’est la première qu’Israël a choisie. Or le Hamas contrôlait un territoire urbain densément peuplé, équipé pour résister, et utilise la population comme bouclier. Dès lors, l’action militaire avait toutes chances d’être très coûteuse en vies humaines et destructions. Choisir cette option impliquait qu’on pensait réussir militairement, que les effets de destruction soient réduits au minimum et puissent être assumés au vu du résultat attendu. La réponse morale n’était donc pas évidente.
On se concentre au niveau international sur les destructions opérées à Gaza, non sans motif. Dans une telle situation, il y a une part inévitable d’effets collatéraux. Mais encore faut-il qu’ils soient réduits le plus possible. Or il semble qu’Israël, malgré certains efforts, ait privilégié la protection de ses troupes par rapport aux dommages, qui sont considérables. De ce point de vue, un critère de la guerre juste paraît ne pas être respecté – même si, pour se prononcer définitivement sur ce point, il faudra disposer de données plus précises. Et le soupçon demeure qu’un des objectifs est le départ des Palestiniens.
L’autre condition d’une guerre juste est la conviction que cela débouchera sur une situation meilleure. Or Israël ne propose rien de précis. On l’a vu, une paix supposerait une forme d’État palestinien (hors Hamas), mais on tombe sur les blocages évoqués. Et si Israël poursuit son grignotage du territoire des Palestiniens, le problème subsistera, sauf dans l’hypothèse ni morale ni crédible d’un exode massif de ceux-ci. De ce point de vue, il est difficile de parler de guerre juste.
Au minimum, cela conduit à présenter certaines exigences à Israël, impliquant une inflexion notable de leur position et de leurs méthodes.
Pierre de Lauzun
© LA NEF n°382 Juillet-Août 2025, mis en ligne le 27 décembre 2025
La Nef Journal catholique indépendant