Après Covid : reconstruire ? (5)

« Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait » (Mc 1,35). Le lendemain est celui de l’après covid-19 ; bien avant l’aube, celle de l’obscurité de la caverne de l’humanité, il se lève et sort de cette caverne habitée de ses nombreux “covids” qui nous emprisonnent, dans un endroit désert, là où aucune idéologie historique n’a de prise et d’emprise, et il priait en contemplant son Père.

La conversion nous a élevés et fait sortir, la purification nous a conduits au désert et maintenant nous pouvons entrer en contemplation.

Entrons dans la contemplation de Jésus pour la faire notre, puisqu’être chrétien est imiter le Christ, en principe. Grâce à la contemplation le Peuple de Dieu n’est pas pris de court, par contre la perte de la contemplation ou bien sa relégation sont populicides. Or, l’institution catholique préfère la collaboration avec les États plutôt que la contemplation du Peuple de Dieu, aussi avec la crise sanitaire a-t-elle subi l’impréparation de l’Occident et l’extrême fragilité de son économie. Mis à part quelques pays, l’Europe et les États-Unis ont été complètement pris de court. Il y a moins d’une dizaine d’années, nous avions des dispositifs sanitaires efficaces et des réserves de masques en grande quantité. Cela n’est plus le cas, et nous avons assisté à la débâcle de la France.

Nos insuffisances sont liées à la perte de la contemplation de Dieu par son Peuple et aux politiques mises en place durant la dernière décennie. La puissance publique a délaissé les questions sanitaires et l’institution catholique a délaissé la contemplation. Cela nous a conduits à réagir à l’épidémie de façon médiévale : nous avons dû nous terrer, chacun chez soi. Pourtant, porté par la contemplation, Mgr de Belzunce, évêque de Marseille, lors de la peste de 1720 s’était levé et était sorti, administrant les sacrements et procurant soutien et réconfort auprès des pestiférés. Pris de court, nous nous dirigeons maintenant vers une dépression économique qui va durer une dizaine d’années aux conséquences humaines tragiques.

Proposition IX : Que l’institution catholique renonce aux nombreux conflits d’intérêts (intellectuels, universitaires, financiers, diplomatiques et politiques) comme référence d’administration du Peuple de Dieu afin de ne plus être pris de court.

1. L’urgence de la contemplation

Contempler est se laisser porter par Dieu, comme Jésus se laissait porter par son Père. L’activité humaine dans la contemplation consiste précisément à n’être plus active : plus de goût et de consolation, aucun désir volontaire ou intellectuel, mais l’attrait pour la solitude, en attention amoureuse pour Dieu, en paix intime, en quiétude, selon les mots de saint Jean de la Croix.

Le moyen propre de la contemplation est la foi, don de Dieu, vertu théologale. Dit autrement, c’est par Dieu que nous contemplons Dieu. La foi est cette force surnaturelle, cette puissance de Dieu qui ne vient pas suppléer notre faiblesse physique ou morale, mais vient au secours de notre médiocrité chrétienne ou de notre tiédeur spirituelle. La vie humaine étriquée dans la caverne des hommes ainsi que la vie chrétienne mesquine confinée dans cette même caverne nécessitent la purification apportée par le sabbat-covid, afin de jouir de la contemplation divine, à l’image de Jésus.

Proposition X : Que l’institution catholique rétablisse la priorité de la contemplation afin de s’appuyer sur la réalité donnée par Dieu, au service de son Peuple. Qu’elle abandonne l’assemblage de personnes qui font le jeu des conflits d’intérêts.

2. L’infusion sécrète de la contemplation

La contemplation est « une infusion secrète, pacifique et amoureuse de Dieu en l’âme ; et cette infusion, lorsqu’elle ne rencontre pas d’obstacle, embrase l’âme de l’esprit d’amour », comme l’écrit saint Jean de la Croix (La nuit obscure I, 11, 2).

Dans le mythe moderne du dessin animé Le Roi lion, Samba qui a vu mourir son père de la main de son oncle vit une période hédoniste s’apparentant au bonheur : pas de devoir, pas d’anticipation, pas de sens (signification et direction) de la vie, c’est le règne de l’immédiateté, de la spontanéité et la dérive émotionnelle, celle du besoin et du désir. Son bonheur est diachronique, c’est-à-dire fait d’une succession de jouissance ; il n’est pas malheureux, mais il n’a pas de sens : il vit, il jouit et après ? Pourtant la vie continue ! Que lui reste-t-il à faire lorsqu’il a fini de jouir ? Jouir plus fort ?

Samba rencontre Nala, sa copine qui le responsabilise et le motive à reprendre le royaume arraché par son oncle à son père. Trois éléments vont jouer : Nala le motive ; ensuite avec Timba et Loula ils regardent les étoiles qui les observent : elles sont les ancêtres dont ils sont les héritiers ; et enfin dans le reflet de l’eau, il voit le visage de son père, c’est la connexion aux ancêtres, à son père. Avec ces trois éléments, Samba comprend le sens du présent, grâce au passé, et le sens de ce qu’il a à faire, grâce à la motivation. Sa vie prend un sens, celui de son devoir, de sa responsabilité, même si c’est plus désagréable que de jouir avec ses amis.

La force et la puissance de la foi nous motivent, la communion des saints nous édifie en nous livrant un héritage actif et vivant, enfin la contemplation nous connecte directement au Père et nous infuse la synchronie. Dans la contemplation du Père, tout est relié à tout, car rien n’existe qui ne trouve son origine et sa réalité en dehors de Lui. L’univers est un, la terre est une, l’humanité est une, ma personne (corps et âme) est une. La contemplation infuse l’unité synchronique, à partir de Dieu qui est Un. L’unité originelle est la plus importante réalité au principe de tout ce qui existe. Là se trouve le sens principiel du réel qui m’est communiqué dans la contemplation. Ainsi, l’âme contemplative n’est prise de court par rien.

Proposition XI : Que l’institution catholique ne transforme plus le Peuple de Dieu en objet d’essai pastoral ou en variable d’ajustement des conflits d’intérêts. Qu’elle se laisse modeler par la contemplation synchronique.

3. Le Peuple de Dieu : peuple contemplatif

L’Amour, l’Un, la Vie, la Relation sont convertibles. Saint Théophile d’Antioche (IIe siècle), en reprenant les termes de la philosophie stoïcienne, distinguait le logos endiathétos (verbe mental) et le logos prophorikos (verbe proféré) pour distinguer le Verbe éternel et le Verbe incarné, mais c’est l’unique Verbe. La diachronie va faire son marché idéologique et les hiérarchiser ou les opposer en établissant l’hygiénisme religieux, tandis que la synchronie ne verra que le même et unique Verbe du point de vue son éternité et du point de vue de sa révélation dans le temps.

La contemplation synchronique nous établit dans l’unité de l’Amour, de la Vie et de la Relation, par rapport à Dieu lui-même, à soi, au monde, aux chrétiens et aux humains. Par elle, notre conscience d’être le Peuple de Dieu est entretenue. La contemplation est l’antidote au populicide, de ce qui tue le Peuple de Dieu : la collaboration avec le monde. C’est pourquoi au cœur du Peuple de Dieu les communautés religieuses contemplatives sont le poumon spirituel et leur éradication est un signe d’asphyxie spirituelle. Sans contemplation et sans contemplatif s’opère le populicide.

Proposition XII : Que la Peuple de Dieu devienne la seule raison d’être de l’institution catholique, grâce à la contemplation synchronique et non selon les conflits d’intérêts populicides.

4. Le Peuple de Dieu contemplatif de la Vérité

La Vérité source et accomplissement de la synchronie permet grâce à la contemplation d’atteindre et d’intégrer la définition de la vérité du point de vue de la connaissance humaine, avec Saint Thomas d’Aquin : « veritas est adæquatio intellectus et rei ». La vérité est l’adéquation de la pensée et de la réalité. La réalité est une dans sa diversité et sa composition car elle est créée à partir de rien par Dieu. La réalité est donnée et la connaissance humaine est une représentation ou une copie de la réalité donnée. Cette représentation cognitive est vraie si elle est fidèle à son modèle. La synchronie établit l’esprit humain dans l’adéquation, tandis que la diachronie l’établit dans l’équation ou l’inadéquation. Avec la diachronie, l’esprit humain est la vérité (équation) ou fait la vérité (inadéquation) ; avec la synchronie, l’esprit humain reçoit la vérité et sert la vérité, sans jamais se l’approprier (ad-équation).

Proposition XIII : Que l’institution catholique cesse d’être un écosystème équationnel, lieu d’intérêts de personnes qui pensent la même chose, qui favorisent une certaine vision des choses et un certain jugement des choses, irrespectueux de la Vérité.

Père Bernard Lucchesi
Docteur en théologie

© LA NEF, le 14 juillet 2020, exclusivité internet