Livres Avril 2021

LE DIABLE DANS LA DÉMOCRATIE
RYSZARD LEGUTKO
L’Artilleur, 2021, 366 pages, 22 €

Déclarés absolument antagonistes, on imagine mal qu’entre communisme et démocratie libérale, des principes ou des idéaux puissent de l’un à l’autre former point de rencontre. Or celui-ci existe. Et la croyance partagée que l’histoire a un sens téléologique ou, plus simplement, que l’ancien doit être remplacé par le nouveau, semble confirmer de troublantes similitudes et vérifier cette hypothèse. Ainsi les démocrates libéraux, à l’égal des communistes d’hier, se flattent d’accompagner et de guider en même temps les dynamiques inhérentes au développement social et une tendance naturelle (incomprise d’impardonnables retardataires) des aspirations humaines – aspirations invoquées à tout bout de champ quand elles ne sont pas fabriquées ou inventées. Jusqu’à s’enfler en idéologie globalisante, élément constitutif d’un système pénétrant le moindre recoin de nos sociétés occidentales.

Car ce système, passé du concept classique de système hybride (connu sous le terme de régime mixte) où les qualités compensent les défauts, à l’idolâtrie d’un mot et à la sacralisation d’un agencement politique assez boiteux, on veut dire la démocratie libérale, jouit d’une omniprésence surplombante qui touche tous les domaines, qui même, dogmatisme suprême, affirme la saine nécessité d’une coercition de la parole. Bref, « l’émergence de la démocratie libérale, observe Ryszard Legutko, a renforcé les mauvais côtés du modèle démocratique au détriment des bons ». Elle a installé un contrôle de l’opinion, servi par des mécanismes législatifs devenus sa propriété exclusive, et promeut, très au-dessus des gens du commun, les groupes auxquels est accordé le statut d’opprimé. D’ailleurs, chasseurs de têtes dangereuses et combattants du politiquement correct veillent et surveillent, bien pourvus d’appuis, bien fournis d’armes (juridiques, médiatiques, etc.) et de munitions, bien décidés à proscrire et à faire taire. Mais pas tout le monde ! Farcie de rituels, de stéréotypes, une version aujourd’hui rodée de la novlangue s’est emparée de chacun, l’enserre et le transforme en otage… ou en mouton de Panurge. Exemple caractéristique : nombre de campagnes publicitaires, depuis quelques années, ont ressenti le besoin d’ajouter à leur but commercial un message propagandiste dans l’air du temps. L’occasion, la facile occasion de prouver sa mirobolante largeur d’esprit.

Portant comme sous-titre Tentations totalitaires au cœur des sociétés libres, ce volume parle lucidement et intelligemment de choses graves. Polonais, son auteur, homme de pensée et homme d’action, mérite notre sympathie.

Michel Toda

EVEN
Une école de la parole au service de la liberté
ALEXIS LEPROUX, LUC DE BELLESCIZE, JEAN-BAPTISTE ARNAUD
Salvator, 2021, 284 pages, 22,80 €

EVEN (École du Verbe Éternel et Nouveau), lancé en 2006 par l’abbé Alexis Leproux, prêtre du diocèse de Paris, est un parcours destiné aux jeunes de 18 à 30 ans soucieux de se former, d’approfondir leur foi et de structurer leur intelligence à l’écoute de Dieu et des autres. Il se fait en deux années (on peut continuer au-delà) à raison d’une soirée par semaine en paroisse pour une quarantaine de jeunes avec un travail en groupe de six à huit. Ce parcours a maintenant largement fait ses preuves et a contribué à affermir la foi de nombreux jeunes, non seulement à Paris mais aussi en France et à l’étranger où il s’est développé.

Avec deux autres prêtres parisiens qui ont eux-mêmes fondé des groupes EVEN, l’abbé Leproux propose ici l’intégralité des textes qui guident ce parcours et chacun d’eux est complété par une réflexion d’un des trois auteurs, donnant à l’ensemble une rare profondeur sur les sujets abordés conduisant à s’interroger sur le sens de sa liberté et le dessein de Dieu sur soi.

C’est vraiment un parcours à recommander aux jeunes chrétiens afin qu’ils assurent la relève pour une Église dynamique et missionnaire.

Christophe Geffroy

LE LIBAN EN GUERRE
DIMA DE CLERCK ET STÉPHANE MALSAGNE

Belin, 2020, 476 pages, 26 €

Le travail de ces deux historiens porte sur les années de guerre qui ont secoué le pays du Cèdre de 1975 à 1990, selon les dates convenues. Dima de Clerck et Stéphane Malsagne, en experts confirmés, ont voulu aider leurs lecteurs à entrer dans l’intelligence d’un conflit d’une rare complexité. C’est pourquoi, expliquent-ils, s’en tenir à « guerre civile » pour le qualifier ne suffit pas à rendre compte de la réalité, laquelle est d’ailleurs plurielle car l’élément déclencheur a été la question palestinienne.

En s’appuyant sur de nombreuses sources et avec beaucoup de précisions, D. de Clerck et S. Malsagne exposent comment la guerre a été vécue sur le terrain par les différents acteurs, leur identité, leurs motivations, les milices locales, les armées étrangères, les méthodes (armes lourdes, terrorisme, expulsions, etc.), les bilans, mais aussi les rapports interconfessionnels et l’émergence de proto-Etats (maronite, chiites, druze, palestinien) avec leur système économique, fiscal, administratif. Il apparaît clairement qu’au-delà de leur besoin de survie ou leurs propres projets, les communautés libanaises ont été instrumentalisées par des acteurs étrangers (Syrie, Israël, monde arabe, Iran) qui ont aussi exercé leur tutelle sur l’une ou l’autre, voire sur le pays tout entier. Et cette imbrication a en outre été l’otage de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Les auteurs n’ont pas oublié les efforts du Saint-Siège pour aider le Liban à réaliser sa vocation de « terre de rencontre et de dialogue » dans un Proche-Orient où la coexistence entre religions n’est jamais facile. Un seul regret cependant : l’absence de toute mention du Synode spécial convoqué par Jean-Paul II en 1995, initiative dont le programme ne négligeait pas les perspectives politiques.

Annie Laurent

SOMMES-NOUS ENCORE EN DÉMOCRATIE ?
NATACHA POLONY

L’Observatoire, 2021, 90 pages, 10 €

La question posée par le titre du livre de Natacha Polony est hélas devenue pertinente ! Et sa démonstration montre assurément que « la démocratie représentative telle que nous la pratiquons dans les pays occidentaux est pour le moins grippée » (p. 33). En effet, « depuis quarante ans, c’est le périmètre de la démocratie qui s’est réduit comme peau de chagrin. Ce sur quoi les citoyens ont leur mot à dire » (p. 55).

Ce recul de la démocratie est la conséquence d’une double action. D’une part la représentation ne joue plus son rôle en raison du décalage entre les représentants et les représentés ; les premiers ont beau connaître une baisse substantielle de leur niveau culturel, ils se recrutent néanmoins quasiment exclusivement au sein d’une élite sociologique dont sont exclus le peuple et les classes moyennes, élite sociologique tout acquise au libre-échange, à la mondialisation (dont elle profite), à la forme actuelle de l’Union européenne avec ses dimensions néolibérales et atlantistes.

D’autre part la souveraineté de la nation s’estompe par « la mise en place d’instances dont le but est, par-delà les gouvernements élus, de faire appliquer ces règles [néolibérales] en surplomb. FMI, OCDE, OMC, et bien sûr Union européenne » (p. 63). Cela conduit au pouvoir des « experts » non élus au détriment du politique, si bien que les décisions se prennent ailleurs, hors du Parlement notamment, les citoyens ayant ainsi le sentiment de ne plus maîtriser leur destin.

Et ceux qui contestent ces évolutions (Gilets jaunes, brexiters…) sont discrédités comme « populistes », voire « complotistes ». Pourtant, celles-ci mènent à « la destruction du citoyen » et finalement de toute communauté politique : « Le capitalisme consumériste est donc un système aliénant, au sens où il morcelle l’individu pour en faire un instrument et réduit la liberté au simple droit de faire ce que l’on veut, quand la liberté du citoyen est au contraire un processus d’émancipation. L’individu consommateur est incité à maximiser son bien-être et à rechercher l’extension de ses droits, dans la mesure où ces droits se consomment. Extension des droits et extension du marché fonctionnent de manière parallèle. Et les deux impliquent une logique de créance dans laquelle l’individu réclame au reste de la société ce qui lui est dû. On est aux antipodes de la constitution d’une communauté politique » (p. 76-77).

Christophe Geffroy

TOUJOURS PRÊTS
Histoire du scoutisme catholique en France
YVES COMBEAU

Cerf, 2021, 358 pages, 24 €.

Dominicain et chartiste, le Père Yves Combeau est aussi un passionné de scoutisme. Il publie aujourd’hui Toujours prêts. Histoire du scoutisme catholique en France, offrant une plongée très documentée sur une histoire à la fois chaotique et passionnante.

Né en 1907-1908 en Grande-Bretagne, le scoutisme s’est d’abord développé en France à travers des associations laïques et protestantes. De leur côté, les catholiques se lancèrent en ordre dispersé avant de se fédérer en 1920 au sein de la Fédération des Scouts de France.

Jusqu’aux années 1960, l’histoire du scoutisme catholique se confond donc avec celle de cette association, et de son équivalent féminin, les Guides de France. Contrairement à une vision rapide et quelque peu mythique, l’âge d’or n’existe pas. Le scoutisme catholique est traversé de conflits, de visions différentes, de guerre des ego et de tranchées idéologiques. En 1964, l’application de la réforme Pionniers-Rangers introduit pourtant une rupture radicale. D’ordre pédagogique, mais aussi par la réaction des responsables des Scouts de France qui refusent le maintien d’un scoutisme plus classique au sein du mouvement.

Le résultat ? Cette politique entraîne des départs qui renforcent alors la petite association des Scouts d’Europe apparue en 1958 ou qui feront naître en 1971 les Scouts unitaires de France (SUF). Si bien que le scoutisme catholique se trouve désormais divisé en trois branches : les Scouts et guides de France, les Guides et scouts d’Europe et les Scouts unitaires de France, sans oublier quelques associations plus modestes comme les Europa-Scouts, les Scouts de Doran ou Riaumont.

Derrière le récit de cette histoire, l’auteur défend une thèse. Il estime ainsi que cette division (actuelle) existait en germe dès les origines. Il y aurait évidemment beaucoup à dire à ce sujet comme sur certaines autres affirmations. Historiens du scoutisme et associations concernées ont réagi, parfois vivement. Preuve s’il en est de l’intérêt de ce livre et de l’ardeur d’un mouvement plus que centenaire…

Philippe Maxence

PAROLES ET ÉCRITS
MARCELLIN FILLÈRE

2020, 348 pages, 20 € (commander à Denis Rendu : denis.rendu@numericable.fr ou 143 rue de Paris, 94220 Charenton-le-Pont)

Archiviste bénévole et fidèle disciple du Père Marcellin Fillère (1900-1949), Denis Rendu a compilé un certain nombre de textes du fondateur de la Cité des jeunes et du journal L’Homme Nouveau. Articles et sténotypies de discours sont proposés à l’état brut pour entretenir la mémoire de cette personnalité singulière qui associait curiosité intellectuelle (dont il fit bénéficier les auditeurs de ses cours de psychologie à l’Institut catholique de Paris) et audace pédagogique auprès des jeunes à une passion évangélisatrice militante. Lors de grands meetings et par des journaux vendus dans la rue, il œuvra sans relâche à libérer l’opinion publique et les intellectuels catholiques de la tentation communiste. Il pensait que seule l’Église est capable de refaire l’unité du monde.

Denis Sureau

LES STATUES DE LA DISCORDE
JACQUELINE LALOUETTE

Passés composés, 2021, 240 pages, 17 €

Voici presque un an, aux États-Unis, une fièvre iconoclaste s’est répandue, et qui a fait du bruit. Suscitée par la mort, à Minneapolis, d’un Afro-Américain arrêté et tué assez affreusement par un policier. Car elle fut aussitôt suivie, cette tragédie de rue, d’attaques contre des figures de personnalités déclarées coupables du malheur des peuples noirs ou amérindiens. Première renversée, en Alabama, la statue d’un Suédois, officier dans la Marine confédérée ; puis pas mal d’autres, souillées, abattues ou descendues de leur piédestal à l’initiative des autorités. Celles notamment de Christophe Colomb (à Boston, décapitée, à Richmond, renversée et jetée dans un lac, à Miami, vandalisée, ailleurs encore arrachée de son socle ou retirée) et, à Portland, les deux statues de Theodore Roosevelt et d’Abraham Lincoln – pour avoir, le second, signé l’ordre d’exécution de 38 Indiens Dakota en décembre 1862… Même des missionnaires, auteurs supposés d’un génocide culturel, allaient être livrés à la vindicte publique. Et jetées à terre, en juin et juillet 2020, à San Francisco, Los Angeles et Sacramento, les effigies de Junipero Serra, moine espagnol canonisé par le pape actuel.

Une folle éruption de colère, donc. Avec, comme metteur en scène, le collectif Black Lives Matter, né en 2013. Éruption annoncée déjà, ou amorcée, en 2015 et en 2017 quand avaient été dégradés, mutilés ou brisés nombre de monuments à la mémoire les uns de généraux confédérés et du président Jefferson Davis, les autres de leurs soldats, quand pareillement, déjà aussi, Christophe Colomb avait reçu un paquet d’outrages. Éruption appuyée par une grande partie de la classe dirigeante et gouvernante. Retraits et destructions entérinés, confirmés par elle. Décidément indignes, ni le Vieux Sud ni son héritage n’auront de place, maintenant on le sait, dans la nouvelle, la très progressiste Amérique à l’image lisse et irréprochable.

Bien sûr, de ce côté-ci de l’Atlantique quelques-uns, brûlant d’imiter les exaltés de Black Lives Matter et compagnie, s’en sont pris au Colbert du Palais-Bourbon, au Faidherbe équestre de Lille, au monument parisien du maréchal Gallieni, ainsi qu’à trois ou quatre, civils ou militaires, que nous ne nommerons pas, tous coloniaux… avides, cela va de soi, d’exactions et de cruautés ! Cependant rien de comparable, sauf la misère intellectuelle des agresseurs, aux immenses dégâts étasuniens.

Michel Toda

UNE JUSTICE POLITIQUE
Des années Chirac au système Macron, Histoire d’un dévoiement
RÉGIS DE CASTELNAU
L’Artilleur, 2021, 596 pages, 22 €

Trois ans après avoir conclu sa longue carrière d’avocat, Régis de Castelnau publie ici un nouvel ouvrage, en forme d’enquête juridico-politique. Ce long réquisitoire dénonce tour à tour toutes les étapes d’une grande renonciation, celle qui a laissé la justice française se transformer en instrument de pouvoir politique.

Pour l’auteur, cette « histoire d’un dévoiement » remonte à la fin des années 1980, époque à laquelle les partis politiques dits « de masse » ont muté en « partis de cadres », induisant une corruption plus massive pour compenser la diminution du nombre de militants. Par la suite, différentes initiatives législatives ont poursuivi ce glissement : la loi de 1990 sur le financement des partis, puis le nouveau Code pénal en 1992, ont participé à ce que Castelnau appelle la « reddition des politiques ».

Tout s’envenime par la suite, à travers ce qui est décrit comme une montée du corporatisme des juges, et une endogamie encouragée par la structure de leur profession. Mais d’après le livre, c’est sous le quinquennat Hollande que s’installe pleinement une justice politisée, et très largement orientée à gauche. Ce serait à ce moment-là que s’est mise en place une chasse aux sorcières à l’encontre de personnalités désignées comme « hommes à abattre ». Cela commence, d’après Régis de Castelnau, par Nicolas Sarkozy qui serait la cible privilégiée des juges, et se poursuit sous le quinquennat Macron avec une perquisition surprise chez Jean-Luc Mélenchon, puis la sévère répression des Gilets Jaunes.

À travers cet ouvrage massif, l’ancien avocat dresse une généalogie du déséquilibre dont souffre aujourd’hui la justice française, et invite fermement à une restructuration profonde de ses institutions.

Robin Nitot

PRESERVER L’INNOCENCE DES ENFANTS
DR REGIS BRUNOD
Les Éditions du Bien Commun 2020, 150 pages, 14 €

Pédiatre et pédopsychiatre, le Dr Brunod propose dans ce livre un tableau clinique très complet et détaillé du développement neuropsychique de la sexualité des enfants et met à mal certaines allégations de l’OMS ou de prédateurs, qui s’appuient sur l’ambivalence apparente de certaines situations pourtant normales de ce développement, pour justifier une éducation sexuelle plus que précoce ou des pratiques pédophiles. Les deux thèses, sexualité innée d’une part et maturation et développement progressif de celle-ci d’autre part, sont diamétralement opposées. L’auteur, lui, défend une éducation affective adaptée et respectant chaque étape ainsi que la nécessité d’une implication et d’une protection parentales.

Plusieurs chapitres s’articulent sur ces axes de développement : aspects sensoriels, aspects moteurs, anatomie et physiologie sexuelle, aspect psychique, vie affective et les émotions. Les meilleures intentions (lutte contre la pédophilie notamment) ne doivent jamais « escamoter l’enfance » mais au contraire préserver son innocence et respecter les âges de la vie.

Ce livre s’adresse à un très large public de parents, éducateurs ou professionnels de santé.

Anne-Françoise Thès

LA JOUISSANCE ET L’ESPÉRANCE
PATRICE GUILLAMAUD

Cerf, 2019, 222 pages, 22 €

C’est un livre qui s’ouvre comme un poème et se termine par une prière. S’inspirant des vers de Schiller : « Deux fleurs s’épanouissent pour le chercheur qui sait comprendre : / Elles ont nom : Espérance et Jouissance », Patrice Guillamaud entreprend une réflexion morale, métaphysique et politique. La philosophie audacieuse qui y est développée interroge, avant tout, le rapport de la jouissance et de l’espérance au bonheur.

Par une sorte de crescendo, Guillamaud s’intéresse à Sade, Freud, sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix dont il examine les traits essentiels de leur jouissance dans l’espérance et réciproquement. Ce n’est pourtant pas au cœur du langage poétique des mystiques que Guillamaud trouve la réponse à son questionnement, mais bel et bien dans l’activité qu’il nomme « ousiologie » et qui devient le concept phare de sa philosophie. Décrire le réel, décrire ce qu’est le réel comme les phénoménologues avant lui, en comprenant l’étant comme une double ouverture par la jouissance et l’espérance, c’est un travail qui mène Guillamaud à une audacieuse synthèse philosophico-théologique.

Néanmoins, nous regrettons que les dernières pages ouvrent vers une analyse politique fondée sur cette métaphysique redéfinie dans le rapport de l’homme à la Trinité, et que cette analyse politique ne puisse être approfondie. C’est pourquoi nous espérons qu’un prochain ouvrage viendra ajouter une pierre politique à cet édifice.

Baudouin de Guillebon

L’ÉVANGILE DE LA FORCE
ROBERT D’HARCOURT

Tempus, 2021, 420 pages, 9 €

Robert d’Harcourt (1881-1965), germaniste, traducteur de L’Esprit de la liturgie de Romano Guardini dès 1929, fut professeur de langue et de littérature allemandes à l’Institut catholique de Paris de 1920 jusqu’en 1957. Ses nombreux voyages en Allemagne et sa connaissance de la vie intellectuelle et politique du pays, lui permettent de publier en juillet 1932, dans la Revue des deux mondes et dans les Études, deux importants articles consacrés à « l’hitlérisme ». Publiés six mois avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, ces articles s’avéreront prophétiques et perspicaces. Ces analyses seront reprises et augmentées d’autres chapitres dans L’Évangile de la force publié en 1936. Cet ouvrage est réédité dans un volume qui comprend aussi Le Nazisme peint par lui-même, publié en 1946.

L’intérêt des analyses de Robert d’Harcourt est de ne pas se contenter d’expliquer l’avènement du nazisme par des raisons politiques. Hitler est arrivé au pouvoir parce qu’il est apparu comme l’homme qui pouvait sortir l’Allemagne de la catastrophique crise économique qu’elle connaissait, qui pouvait la sauver du communisme et parce qu’il promettait à l’Allemagne de retrouver les territoires et la puissance qu’elle avait perdus après la défaite de 1918. Mais il a conservé le pouvoir en séduisant une partie de l’opinion publique par une mystique que le catholique Robert d’Harcourt désigne comme un « Évangile de la force ». Au « christianisme négatif » (qu’il soit catholique ou évangélique), religion de la compassion, de l’humilité et de l’autoflagellation, « maladie des races méditerranéennes », « religion de mort », les idéologues du IIIe Reich opposeront une exaltation de la force vitale, de la conquête, de l’affirmation de soi. « L’une des habiletés principales des maîtres du IIIe Reich, relevait aussi Robert d’Harcourt, et l’une des plus sûres causes de leur popularité auprès de la jeunesse, fut d’élever celle-ci à la dignité de déléguée en titre de la nation, d’en faire le vase d’élection du régime. »

Un an après L’Évangile de la force, Alphonse de Châteaubriant, écrivain catholique, publiait comme en réponse La Gerbe des forces, compte rendu lyrique d’un voyage en Allemagne dont il était revenu fasciné par le nouveau régime. Le paradoxe était que ce livre paraissait alors que Pie XI, par l’encyclique Mit brennender Sorge, venait de condamner l’idéologie raciale et totalitaire du national-socialisme.

Yves Chiron

Romans à signaler

L’AMI ARMÉNIEN
ANDREÏ MAKINE
Grasset, 2021, 216 pages, 18 €

Le récit se déroule après-guerre en Sibérie. Le narrateur, orphelin russe de 13 ans, se lie d’amitié avec Vardan, d’un an son aîné mais de faible constitution et malade de surcroît, qu’il protège face à la dureté et la violence des autres garçons de l’orphelinat. Vardan ne loge pas à l’orphelinat et rentre tous les soirs chez lui dans un quartier misérable de la ville, le « Bout du diable », où vit une petite communauté arménienne qui s’est installée là car certains de ses membres attendent d’être jugés dans la prison limitrophe, à 5000 kilomètres de leur patrie. Vardan, garçon secret et mystérieux, exerce une ascendance certaine sur le narrateur, attiré par sa sensibilité et sa profondeur, mais aussi par cette communauté arménienne qui, malgré la pauvreté, apparaît comme une oasis de civilisation dans ce monde barbare où l’on tue pour un rien.

Cette histoire simple mais profonde et émouvante est narrée avec une exquise délicatesse, dans une langue magnifique pleine de poésie qui rend cette lecture délectable. C’est aussi un beau témoignage en faveur des Arméniens avec quelques figures bien dessinées et l’occasion aussi de rappeler l’effroyable génocide dont ils ont été victimes, leur loyauté durant la Seconde Guerre mondiale et la réalité du régime communiste soviétique.

Un chef-d’œuvre littéraire à ne pas rater.

Christophe Geffroy

LE CHEMIN DES ESTIVES
CHARLES WRIGHT

Flammarion, 2021, 360 pages, 21 €

À près de 40 ans l’auteur, las d’une vie qui ne le satisfait pas, frappe à la porte du noviciat des jésuites à Lyon. Première épreuve, les novices doivent partir par deux sur les routes pendant un mois, baluchon sur l’épaule et sans un sou en poche, en quémandant le toit et le couvert. « C’est une chose de gloser sur la confiance ou remuer des idées sur la providence, c’en est une autre d’affronter concrètement la faim, la soif, la peur, la pauvreté, l’inquiétude, l’absence d’abri quand la nuit tombe », souligne l’auteur. Pour ce périple, qu’il décide de faire d’Angoulême à Notre-Dame des Neiges, en Ardèche, le voilà affligé de Benoît Parsac, ancien barman devenu prêtre à Lille. Ils s’élancent ensemble pour ce voyage de 700 kilomètres à travers la France profonde, avec l’Imitation de Jésus-Christ comme livre de chevet et accompagnés des figures de Charles de Foucauld et de Rimbaud qui reviennent tout au long du récit.

Ce Chemin des estives est un régal, tant l’auteur sait captiver son lecteur par un style envolé plein d’humour, de perspicaces réflexions sur le monde comme il va, mais aussi par ses descriptions d’une campagne française riche de mille trésors, sans parler des perles que sont ces rencontres les plus improbables avec les habitants qui reçoivent nos deux pèlerins avec plus ou moins de chaleur, telle cette vieille dame tout heureuse de les accueillir : « Mes petits, j’ai quatre-vingt-douze ans. La mort est devant moi. Quand je repense à ma vie, ce qui m’a rendue heureuse, c’est les gens à qui j’ai rendu service… »

Si l’auteur n’a pas persévéré chez les jésuites, se voyant « en franc-tireur… au lieu de subir le corset d’une règle » (!!), il nous donne là toutefois une leçon de vie qui montre combien le bonheur réside souvent dans les choses les plus simples à portée de tous.

Christophe Geffroy

HUIT CRIMES PARFAITS
PETER SWANSON
Gallmeister, 2021, 350 pages, 23,40 €

Malcom Kershaw, libraire spécialisé en romans policiers, avait écrit sur son blog un article intitulé « Huit crimes parfaits » présentant huit romans célèbres décrivant les meurtres les plus ingénieux. Quinze ans plus tard, il reçoit la visite d’un agent du FBI, Gwen Mulvey, qui enquête sur deux meurtres inspirés par ceux des deux premiers romans de la liste : elle sollicite son aide pour démasquer le meurtrier, aide qui s’avère d’autant plus indispensable que d’autres meurtres sont commis qui suivent ceux des autres romans de la liste.

Ce polar très prenant, qui fait écho à quelques grands classiques du roman noir, présente une intrigue particulièrement originale, très habilement menée, qui pourrait nous faire croire que le crime parfait existe bel et bien. Mais c’est d’un rare machiavélisme, il faut le savoir.

Patrick Kervinec

A signaler

Les publications Life Éditions (1), dirigées par Guillaume d’Alançon, proposent des courts opuscules destinés à accompagner la croissance spirituelle, des couples notamment. Nous recommandons ses dernières publications :

Cardinal Raymond Burke, Couples, entrez dans la paix profonde (90 pages, 12,90 €) : une très belle méditation pour offrir à son couple une stabilité paisible, par la voie du silence et de l’humilité.

Dom Jean, Lettre d’un moine bénédictin à un orthodoxe (56 pages, 9,90 €) : une fine approche d’un moine bénédictin, professeur de théologie, pour faire découvrir la religion orthodoxe et qui peut être résumée par ce paragraphe intitulé « neuf siècles de séparation visible mais de communion invisible ».

Anne-Françoise Thès

(1) https://www.life-editions.com/

© LA NEF n°335 Avril 2021, mis en ligne le 30 avril 2021