Le Parlement européen à Strasbourg © DAVID ILIFF Wikimedia

Europe, changer de cap !

Les élections européennes du 9 juin sont, tous les cinq ans, une occasion d’évoquer l’Europe et la vision que l’on en a. Hélas ! le débat électoral est rarement à la hauteur des enjeux véritables qui émergent finalement assez peu. L’Europe est une belle idée et mérite assurément un projet politique d’envergure. Chacun comprend que, face au reste du monde, les peuples européens, qui procèdent d’une culture, d’une histoire et d’une religion communes, bref qui forment une même civilisation, ont de forts intérêts convergents et souhaitent à jamais éviter les conflits fratricides du XXe siècle dont nous portons encore aujourd’hui le traumatisme. Les deux guerres mondiales, en effet, ont été le fruit d’une regrettable hybris occidentale, qui s’est progressivement développée avec la fin de la « chrétienté » et la déchristianisation qui a sévi depuis : la recherche de puissance et de domination a été permise par l’idée moderne d’un homme délié de Dieu et par des idéologies antichrétiennes, nationalistes d’abord (1914-1918), puis totalitaires (communisme et nazisme en 1939-1945), conduisant au suicide de la vieille Europe, et participant depuis à ce complexe de culpabilité et à cette haine de soi – fortement travaillés par la propagande communiste de l’après-guerre dénigrant sans discernement le passé – qui caractérisent une partie importante de nos élites européennes.

Un désir d’Europe légitime

Ainsi, notre histoire tragique explique le désir d’Europe et il est légitime. Mais quelle Europe ? Fondamentalement, le problème de la « construction » européenne est qu’elle s’est faite sans les peuples, voire contre eux, comme une réalisation menée par des « experts » qui savaient mieux que les peuples ce qui était bon pour eux. La rupture peut être datée de l’Acte unique de 1986 qui oriente l’UE vers un fédéralisme sans jamais en prononcer le nom. L’idée de nos « experts » (celle de Jean Monnet dès l’origine) était de parvenir à une union politique – but recherché inavoué, car impopulaire – en avançant vers une union économique toujours plus « intégrée » jugée plus acceptable, laquelle devait « naturellement » conduire, à terme, à l’unification politique. Ainsi est née la monnaie unique avec le traité de Maastricht, avalisé d’extrême justesse par référendum dans un tout petit nombre de pays, anomalie déjà notoire pour un processus se voulant démocratique. L’étape suivante, la Constitution européenne, a été clairement rejetée en 2005 par les seuls peuples consultés (France et Pays-Bas) ce qui aurait dû stopper le processus. Or, il n’en a rien été. Au contraire, il s’est poursuivi à marche forcée, aussi bien par l’extension géographique que par une « intégration » croissante (les domaines relevant de la majorité qualifiée s’étendant au détriment de la souveraineté des États), et ce malgré l’impopularité évidente de cette évolution.

La méfiance envers l’actuelle Union était donc inévitable : son fonctionnement bureaucratique, opaque et anti-démocratique, n’interpelle nullement les plus « européistes » qui ne parviennent pas à remettre en cause leur vision technocratique.

Les fausses « valeurs » de l’UE

Il y a néanmoins une autre raison au désintérêt de nombre de nos contemporains envers la « construction » européenne. Celle-ci, nous l’avons évoqué, ne se réalise qu’à partir de l’économie selon une idéologie très libérale, faisant de l’Union la zone la plus ouverte du monde. Cette Europe, prisonnière de cette idéologie, est incapable de protéger ses pays membres et joue trop souvent contre ses propres intérêts, par exemple en imposant les moteurs électriques aux nouveaux véhicules dès 2035, en ne misant autoritairement que sur une seule technologie et en plaçant nos industries dans une position intenable face aux Chinois.

De plus, les « valeurs » que défend l’UE n’ont aucune spécificité européenne et pourraient rassembler n’importe quel pays de la planète : droits de l’homme, démocratie, État de droit, ouverture des frontières, libre concurrence, etc. Et quand l’UE s’éloigne de l’économie, c’est pour défendre ardemment la déconstruction anthropologique la plus progressiste qui sape non seulement la famille avec des conséquences catastrophiques sur la natalité, alors même que l’Europe se meurt faute d’enfants, mais aussi les bases mêmes de la civilisation européenne. En effet, tout ce qui fait sa spécificité, et donc un socle commun solide pour une réelle union, est méprisé et rejeté : son histoire, sa culture, sa religion chrétienne dans ses diversités catholique, orthodoxe et protestante, ses familles, son art de vivre, toutes choses ignorées au profit d’un effroyable matérialisme, tout en étant – culpabilité oblige – d’une naïveté et complaisance coupables à l’égard de l’islam qui, s’étendant sans cesse par une immigration que l’UE refuse de maîtriser, gagne facilement du terrain dans un tel contexte de démission.

Autant dire que cette Europe-là n’est guère attrayante : elle est vouée à l’échec et finalement à sortir de l’histoire ! Vouloir changer de cap pour revenir à une Union limitée et respectueuse des nations n’est pas être anti-européen. C’est au contraire la seule façon de donner un avenir viable et enthousiasmant à un projet nécessaire.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°370 Juin 2024