Le cardinal Müller a célébré la messe de clôture du dernier pèlerinage de Chartres. À cette occasion, il nous a offert un entretien exclusif pour nous livrer son regard sur l’événement, sa vision du rite extraordinaire et l’avenir de cette question liturgique, sa réponse face à ceux qui le présentent comme un « adversaire » du pape François, l’état de l’Église d’Allemagne…
La Nef – Que retenez-vous de ce pèlerinage de Chartres ? Et comment assurer le maintien de l’ancien rite avec la prise en compte des demandes pertinentes de Sacrosanctum Concilium ?
Cardinal Müller – J’en retiens l’image de tous ces nombreux enfants et jeunes qui ont fait l’effort de marcher si longuement et de participer intérieurement à la sainte messe, au sacrifice du Christ pour le salut du monde.
L’ancien rite constitue un tout cohérent. Cela ne veut pas dire que la lecture des Écritures ne pourrait pas un jour être enrichie. D’ailleurs, le pape Benoît XVI avait espéré que les formes extraordinaires et ordinaires du rite latin se rapprochent à nouveau.
Quoi qu’il en soit, une opposition idéologique acharnée envers un rite particulier n’est pas souhaitable pour l’unité de l’Église. Sans s’être rendus sur place, les médias proches du Chemin synodal allemand ont dénigré ces jeunes pèlerins comme étant « traditionalistes », en ignorant complètement leurs efforts. Ils n’ont pas prêté attention à mon homélie et ont seulement voulu profiter de cette opportunité pour me présenter comme un critique conservateur du synode et du pape. Tel est le niveau intellectuel et moral de nos « progressistes autoproclamés » qui, faute de pouvoir argumenter ad rem, n’ont d’autres ressources que de polémiquer ad hominem.
Comment voyez-vous l’avenir de la question liturgique, et notamment la place de l’ancien rite ?
Une réconciliation en Esprit et dans la vie s’impose. Il faut distinguer, d’une part, la substance de la sainte messe et des autres sacrements et, d’autre part, les différentes formes liturgiques qu’ils ont prises dans les divers rites légitimes, notamment dans le rite latin. Certes, la hiérarchie suprême de l’Église peut déterminer la forme spécifique du rite, mais cela doit se faire avec une sensibilité pastorale et surtout sur une base dogmatique claire.
On vous présente parfois comme un « adversaire » du pape François : que répondez-vous à cette accusation ?
En fait, il ne faut pas répondre aux provocations émanant des ignorants en matière de théologie, car ceux-là se sentent justement confirmés par toute réaction. À l’occasion de la proclamation de saint Irénée de Lyon comme docteur de l’Église (sous le titre Doctor unitatis), le pape François m’a personnellement chargé d’écrire un livre contre les gnostiques de notre temps, c’est-à-dire contre l’idéologie selon laquelle la raison finie de l’homme est la mesure de toute chose, au-dessus même de la raison divine (le Logos dans la personne du Fils de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ). L’opposition idéologique et politique entre soi-disant conservateurs et progressistes, qui n’a rien à voir avec l’Église et qui, pourtant, met en danger son unité, pourrait facilement être surmontée avec Irénée de Lyon, qui écrivait contre les hérétiques et les schismatiques de son époque : « Les apôtres, qui étaient envoyés pour retrouver ceux qui étaient perdus… ne parlaient pas selon l’opinion du jour, mais selon la révélation de la vérité » (Adversus haereses III, 5,2).
Comment voyez-vous la situation et l’avenir de l’Église en Allemagne ?
Cela dépend des critères avec lesquels on considère la situation de l’Église d’un pays ou d’un continent. L’approbation des idéologues athées et des agitateurs anti-vie n’aide personne. Ce qui est fondamental, c’est la foi, l’espérance et la charité, qui relient directement les hommes à Dieu, qui est l’origine et le but de l’homme et du monde. L’Église a été envoyée par Dieu dans ce but, afin qu’elle « soit un sacrement dans le Christ, c’est-à-dire un signe et un instrument du lien le plus intime avec Dieu et de l’unité des hommes » (Lumen gentium 1) dans la vérité, la justice et l’amour. Lorsque les prêtres et les laïcs deviennent des témoins d’espérance en faveur du Christ, alors les contemporains auxquels s’adresse la Parole de Dieu reconnaissent aussi le sens des sacrements, vivent alors selon ses commandements et façonnent ainsi leur vie, selon la vocation qui est la leur, que celle-ci soit sacerdotale, religieuse ou le mariage. « L’Église n’a pas été fondée pour rechercher la gloire terrestre, mais pour répandre, par son exemple aussi, l’humilité et l’abnégation. Comme le Christ, l’Église enveloppe de son amour tous ceux que l’infirmité humaine afflige. […] Elle cherche à servir le Christ en eux. L’Église avance dans son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu, annonçant la croix et la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (Lumen gentium 8).
C’est mon souhait et ma prière constante pour l’Église d’Allemagne et d’Europe, qu’elle s’aligne avec le Christ, son chef, et qu’elle se renouvelle dans l’Esprit Saint. « C’est pourquoi ce peuple messianique, bien qu’il ne comprenne pas encore effectivement l’universalité des hommes et qu’il garde souvent les apparences d’un petit troupeau, constitue cependant pour tout l’ensemble du genre humain le germe le plus sûr d’unité, d’espérance et de salut. Établi par le Christ pour communier à la vie, à la charité et à la vérité, il est entre ses mains l’instrument de la Rédemption de tous les hommes ; au monde entier il est envoyé comme lumière du monde et sel de la terre. » (Lumen Gentium 9)
Propos recueillis et traduits de l’allemand par Jean Bernard
© LA NEF n° 370 Mai 2024