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Quelle liberté de la presse ?

Notre époque est curieuse dans le renversement, inconscient, qui s’est opéré dans la masse des catholiques vis-à-vis des questions de liberté. C’est très certainement l’héritage de la lutte contre le totalitarisme communiste que nous contemplons – quoiqu’il ait globalement disparu en tant que « socialisme réel ». Il est vrai qu’il persévère dans sa volonté tyrannique, en témoignent la Chine et la Russie, dont les dirigeants demeurent les fiers héritiers de l’histoire macabre du XXe siècle ; mais il se déploie aujourd’hui plus volontiers sous les oripeaux mensongers du libéralisme – économique, technique et philosophique –, atteignant ainsi le comble de l’abomination. Le combat pour la « liberté » étant désormais résumé (mensongèrement, précisons-le) dans l’accès aux réseaux sociaux, on assiste à une course vers le raccourci intellectuel, si l’on peut dire, desdits réseaux : quand le chinois se pare d’un son grotesque (tic-toc), l’américain de son côté se réduit à une seule lettre, X, s’assurant ainsi par la facilité tous les deux de la présence d’un maximum d’habitants de l’Idiocratie contemporaine.

Fausses libertés

Mais l’essentiel n’est pas là : si les réseaux sociaux se livrent à une guerre sans merci pour être le plus rapide, le plus immédiat (tant de signes sur X, tant de secondes sur TikTok, etc.), ils demeurent pour le moment les vassaux, certes rétifs mais obligés, des grands organes de presse subsistant. Entendons grand ici sous le mode de l’argent : les canaux télévisuels et leurs animateurs repérables continuent de bénéficier dans ce monde de boomers d’une aura et d’une puissance inégalées. Squeeezie fait certainement plus de « vues » qu’Anne-Sophie Lapix, mais c’est encore elle (et ses comparses) qui décide de la hiérarchie de l’information, et de ce qu’il faut penser. Il faut croire que les peuples sont conservateurs, souvent pour le pire, et respectent plus fréquemment un canal de la TNT qu’une chaîne YouTube – quoique la différence pour l’intelligence se réduise.

Mais l’essentiel n’est toujours pas là : il est dans la considération qu’octroient nos contemporains, et hélas les catholiques parmi eux, à la « liberté d’expression », et partant à la « liberté de la presse ». Qui sont deux manigances dont les effets devraient pourtant nous apparaître clairement après plus de deux siècles de manifestation pratique : il n’y a aucune preuve que ces fausses libertés aient jamais fait grandir par elles-mêmes l’intelligence, ni la bonté. On le sait, c’est là une unpopular opinion, comme disent les imbéciles sur les réseaux sociaux, car tout ce qui est baptisé lestement liberté est admirable dans notre temps.

Revenons cependant un peu en arrière. Balzac l’écrivait il y a deux cents ans dans sa merveilleuse Monographie de la presse parisienne : « Axiome : on tuera la presse comme on tue un peuple, en lui donnant la liberté », parfaitement en accord avec le pape de son époque, Grégoire XVI, dont l’on se rappellera quelle fulmination il eut contre Lamennais et son journal L’Avenir qui prétendaient à cette liberté sans frein. Au moins Lamennais combattait-il le libéralisme économique et ses ravages. Nos contemporains, même quand ils sont catholiques, ne voient plus jamais l’intérêt de contester ces libertés-ci, et voilà en quoi nous revenons à l’exorde de cet article. Or, où, quand, comment a-t-on jamais vu le Christ, et ses apôtres et ses disciples et son Église, prêcher que la liberté (de quoi ? de qui ?) était un moyen sûr de parvenir à la vérité et au bonheur ? C’est tout l’inverse qui nous est enseigné : c’est la vérité qui nous rendra libres, par surcroît et comme état terminal. Libres de quoi ? Libres surtout vis-à-vis de quoi, c’est ainsi qu’il faut l’entendre : libres vis-à-vis du péché, libre vis-à-vis des dominations mondaines, pouvoirs de tous ordres au premier rang desquels pouvoir du sale argent. C’est ainsi que se déroule le plan du Salut, nous semble-t-il (et nous sommes prêts à subir la censure ecclésiale, si nous nous trompons).

Liberté et vérité

En quoi tout ceci est-il important ? En ce qu’il nous paraît que c’est de moins en moins la recherche de la vérité qui importe, mais bien plutôt l’intérêt de tel camp (ou supposé tel) sur un autre. On arguera avec raison que le communisme en tant que fondement totalitaire a écrasé dans le sang toute liberté dont celle de la presse et que c’est un sort peu enviable. En effet, et ce n’est pas cette censure-ci que nous recherchons. Mais il y a peu de preuves que l’on soit arrivé à l’inverse à des vérités par la liberté sans frein : le XIXe siècle est plein de ces découvertes pseudo-scientifiques qui ont été répandues au nom de la liberté et ont préparé l’horreur du siècle suivant ; on mesurait des crânes, on déduisait des crimes des traits d’un visage, on classifiait les races, on théorisait la dictature du prolétariat à venir, tout cela au nom d’un progrès athée. Voilà les crimes de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Elles sont les mères des totalitarismes, et on croit encore, au XXIe siècle que c’est en les prônant qu’on atteindra au bien.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n° 370 Juin 2024