En France, des prêtres heureux !

L’Observatoire français du catholicisme (OFC) a commandité en octobre dernier à l’IFOP une vaste « enquête auprès des prêtres » en France (1). Très complète et représentative par l’importance du panel retenu, cette enquête apporte des résultats surprenants, bienvenus dans le climat de morosité qui est le nôtre aujourd’hui. Curieusement, elle ne nous semble pas avoir attiré l’attention qu’elle aurait méritée.

Deux constats sautent aux yeux : d’abord, nos prêtres sont globalement « heureux » et « en paix » à 95 %, même ceux qui se déclarent « un peu dé­sabusés et fatigués » (15 %). Alors qu’on ne cesse d’évoquer la déchristianisation, le déclin des vocations, que les actes anti-chrétiens se multiplient ou que les prêtres ont été vilipendés en raison des scandales d’abus de toutes sortes, un tel résultat a de quoi surprendre. Il révèle que nos prêtres sont plus solides qu’on ne le croit et, surtout, qu’ils sont tournés vers l’essentiel, le surnaturel, car ce n’est assurément pas la situation de la société ou même de l’Église qui explique ce bonheur ; c’est bien parce qu’ils vivent pour le Dieu qui les a choisis, Jésus-Christ, qu’ils ont le sentiment d’être utiles à leur place et qu’ils sont « heureux ».

L’autre constat est le fossé générationnel qui apparaît en lisant cette enquête par tranches d’âges. Aucune surprise, à vrai dire, mais on a là une confirmation statistique de ce que nous savions déjà : globalement, les jeunes prêtres sont beaucoup plus « traditionnels » que leurs aînés, et cela s’observe sur de multiples sujets. Pas très étonnant, donc, que nombre de vocations s’orientent vers la Communauté Saint-Martin, l’Emmanuel, les séminaires réputés plus « classiques » ou chez les « tradis ».

Prenons quelques exemples.

Le fossé générationnel : les chiffres

Pour 79 % des 25-34 ans, les « actions de prière et de mobilisation au profit de l’éveil vocationnel » sont « prioritaires », alors qu’elles ne le sont que pour 25 % des plus de 75 ans. En ce qui concerne la priorité de l’évangélisation, l’écart se réduit à 53 % pour les 25-34 ans et 35 % pour les plus de 75 ans.

Si 42 % des prêtres estiment que « faire la paix liturgique et régler de façon apaisée et durable les querelles et incompréhensions avec le monde traditionnel » est « prioritaire », ce chiffre monte à 60 % chez les 25-34 ans et descend à 31 % chez les plus de 75 ans.

Le soutien à l’enseignement catholique pour qu’il soit « un lieu reconnu et respecté d’éducation autour d’une anthropologie authentiquement chrétienne » est « prioritaire » pour 78 % des 25-34 ans et seulement pour 28 % des plus de 75 ans (62 % pour l’ensemble des prêtres).

Inversement, 7 % des 25-34 ans jugent « prioritaire » de « faire évoluer l’enseignement et la doctrine catholique autour des sujets liés à la morale sexuelle et familiale », contre 45 % des plus de 75 ans. Idem en ce qui concerne le « chemin synodal », seulement 13 % des 25-34 ans l’estiment « prioritaire » contre 65 % des plus de 65 ans.

Des prêtres bien typés

Ces chiffres dessinent des profils de prêtres bien typés qui confirment les analyses que nous développons dans ces colonnes depuis bien longtemps. Ils soulignent que le « progressisme » est mort dans le jeune clergé. Les forces vives du catholicisme français se situent chez les chrétiens qui sont demeurés fidèles à une vision traditionnelle de l’Église et de son enseignement : priorité à l’évangélisation et au surnaturel, défense de toute la morale chrétienne, recherche de la paix liturgique avec les « tradis », importance de l’enseignement vraiment catholique… Tout cela est corroboré par le fait que 77 % des prêtres ont grandi dans une famille catholique pratiquante – et ce chiffre monte à 82 % pour les 25-34 ans – et 87 % dans une famille unie (même pourcentage pour les 25-34 ans).

Tout cela est fort encourageant, tout en révélant comme en négatif que ces forces vives se concentrent certainement dans des franges de population qui sont principalement celles de la bourgeoisie. Yann Raison du Cleuziou montre dans son dernier livre consacré au père Serge Bonnet (1), qu’un certain clergé fustigeait la « piété populaire » dès les années 60. À la suite de l’aggiornamento du concile Vatican II (1962-1965), cette piété populaire a été tournée en dérision par une élite catholique trop intellectuelle ayant une vision épurée et abstraite de la religion. Le résultat a été la perte dramatique de ce qui restait des classes populaires dans l’Église de France. Cela devrait raviver en nous le souci d’évangéliser ces milieux perdus.

Un dernier mot pour conclure. Ce n’est pas en rabaissant l’idéal sacerdotal que l’on fera renaître des vocations. Certains ont prétexté de la crise des abus pour dénoncer la « sacralisation » du prêtre. Certes, le mettre sur un piédestal n’a pas de sens et ne l’aide guère, mais sa mission n’est pas ordinaire non plus. La vocation sacerdotale répond à un appel du Seigneur, elle fait du prêtre l’homme du sacré, celui qui nous donne Jésus réellement présent dans l’Eucharistie. C’est assurément une vocation extraordinaire à soutenir. Redisons aux prêtres que nous les aimons.

Christophe Geffroy

(1) www.ifop.com/article/le-sacerdoce-aujourdhui-enquete-aupres-des-pretres et https://observatoire-catholicisme.fr/
(2) Vers une Église sans peuple. Serge Bonnet et le catholicisme populaire, Cerf, 2025, 426 pages, 29 €. Nous reviendrons le mois prochain sur ce livre important.

© LA NEF n°386 Décembre 2025