«Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe, un bouquet de houx vert et de bruyères en fleur. » Victor Hugo conclut ainsi le poème « Demain, dès l’aube… » pour sa fille Léopoldine, disparue à 19 ans.
En Inde, on brûle les corps des défunts, en parfaite cohérence avec la vision indienne du monde, puisque, selon eux, avec la mort, l’individu se dissout dans le grand tout, dans un bonheur impersonnel. La foi chrétienne, quant à elle, s’appuie sur la personne de Jésus ressuscité qui promet à chacun la résurrection personnelle et intégrale. Reconnaissons aux bûchers du Gange un enracinement religieux et traditionnel. Mais l’incinération, quant à elle, est un processus industriel, sinistre, rapide et violent. Si les chairs sont brûlées, les os (qui ne brûlent pas) sont, en fait, broyés, réduits en une poudre mélangée aux cendres. Le processus de crémation demande beaucoup d’énergie et n’a rien d’écologique. La vraie écologie consiste à respecter les processus naturels comme la lente décomposition.
La pratique de l’incinération est tolérée par l’Église si elle n’est pas un manifeste contre la foi chrétienne. Mais nous devons faire droit à la loi inscrite en notre chair. Le Créateur nous a donné des corps qui occupent de l’espace (et ne font pas la taille d’une petite urne transportable aisément). Des corps qui se désagrègent lentement et pas entièrement, sur plusieurs générations, car le deuil, lui aussi, a sa temporalité. Nul ne peut prétendre disparaître en un tour de magie et la mode de l’incinération me semble une nouvelle harmonique de la déprime occidentale qui rejette le génie de son passé.
Une église, une liturgie et des chants adaptés, des fleurs, des bougies allumées, un cimetière, le bois d’un cercueil, un nom et des dates gravés dans la pierre, la croix qui le surplombe, sont des usages forgés par les siècles chrétiens, pour affronter la mort, sans la nier, et vivre humainement le deuil. Devant une tombe on raconte l’histoire d’un aïeul, sur sa pierre on peut poser un bouquet de houx verts et de bruyère en fleur.
Abbé Étienne Masquelier
© La Nef n° 385 Novembre 2025
La Nef Journal catholique indépendant