Mgr Lefebvre-1981 ©Antonisse, Marcel : Anefo — [1] Dutch National Archives, The Hague, Fotocollectie Algemeen Nederlands Persbureau (ANEFO)-Wikimedia

Petite histoire de la Fraternité Saint-Pie X


Fondée en 1970 par Mgr Lefebvre, la Fraternité Saint-Pie X n’a cessé de se développer, jusqu’à compter aujourd’hui quelque 730 prêtres dans le monde. Malgré plusieurs tentatives de réconciliation, elle demeure sans statut canonique ; bien qu’elle soit fort critique envers le magistère actuel, peut-on se contenter du statu quo, une telle dissidence pouvant finalement conduire au schisme ? En amont, il convient de comprendre ce que sont la FSSPX, son histoire et son positionnement.

Mgr Marcel Lefebvre (1905-1991), ancien archevêque de Dakar, avait participé au concile Vatican II (1962-1965) en tant que Supérieur général des Pères du Saint-Esprit. Il fut l’une des figures marquantes de la minorité traditionnelle regroupée au sein du Coetus Internationalis Patrum (Groupe international de Pères) qui eut une influence réelle pour infléchir certaines orientations de la majorité conciliaire. Si Mgr Lefebvre s’est opposé avec vigueur à plusieurs schémas proposés aux Pères conciliaires – et notamment celui sur la liberté religieuse –, il les a finalement tous signés, et il s’est même réjoui de la constitution sur la liturgie et des premiers pas de la réforme aboutissant au missel de 1965 (1).

Après le concile, néanmoins, la situation dans l’Église commença à se détériorer, beaucoup prétextant de Vatican II pour faire table rase du passé. La crise qui se développa alors atteignit des proportions que les jeunes générations peinent aujourd’hui à imaginer. Dans ce contexte, des jeunes gens, ne trouvant plus de séminaire répondant à leurs vœux, se tournèrent vers Mgr Lefebvre en le pressant d’ouvrir une maison de formation. C’est ainsi qu’il fonda en Suisse, en 1969, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), laquelle fut officiellement reconnue par l’évêque de Fribourg (1970), puis par la Congrégation pour le Clergé (1971). Le but originel de la FSSPX était donc de maintenir un cursus classique de formation pour les séminaristes.

Assez vite se posèrent la question de la messe – la réforme liturgique entra en application fin 1970 – et celle plus générale des troubles qui secouèrent alors l’Église. Mgr Lefebvre décida de célébrer dans son séminaire d’Écône la messe d’avant la réforme, dite de saint Pie V. Loin de se contenter de maintenir l’ancienne messe et de former « classiquement » ses séminaristes, il engagea un combat virulent contre la réforme liturgique et le concile Vatican II, voyant dans les trois principales « nouveautés » du concile – liberté religieuse, œcuménisme et dialogue interreligieux, collégialité – une apostasie. Dès l’origine, la défense de l’ancien missel s’est accompagnée d’une virulente critique de la messe de Paul VI, voire de son rejet pur et simple.

Mgr Lefebvre ne fut pas le premier à s’opposer aux réformes conciliaires et liturgique. Ce furent deux ex-cardinaux de Curie, Ottaviani et Bacci, par exemple, qui signèrent, dès juin 1969, avant même la promulgation du nouveau missel, le Bref examen critique du nouvel « Ordo Missae », diatribe d’une rare violence, sans bienveillance ni nuance, œuvre du dominicain Guérard des Lauriers (qui finira sédévacantiste et évêque schismatique), texte qui demeure encore aujourd’hui une référence pour la FSSPX et même au-delà. Par sa personnalité et son statut d’évêque, par la Fraternité qu’il créa surtout, Mgr Lefebvre devint la figure principale de la résistance « traditionaliste ». Il fut rapidement fort mal vu par les évêques français qui qualifièrent, en novembre 1972, Écône de « séminaire sauvage », alors même qu’il était à cette époque canoniquement en règle.

Mgr Lefebvre dénonçait publiquement ce qu’il estimait être la dérive « moderniste » qui s’étendait dans l’Église, ce qui poussa le pape Paul VI à envoyer deux visiteurs apostoliques à Ecône en novembre 1974. Lesquels, selon Mgr Lefebvre, choquèrent les séminaristes par leurs propos théologiques. En réaction, il publia le 21 novembre une déclaration restée célèbre :

« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néomoderniste et néoprotestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. […] Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le magistère de l’Église depuis dix-neuf siècles. […] On ne peut modifier profondément la “lex orandi” sans modifier la “lex credendi”. À messe nouvelle correspond catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires nouveaux, universités nouvelles, Église charismatique, pentecôtiste, toutes choses opposées à l’orthodoxie et au magistère de toujours. Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée ; elle sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie, même si tous ses actes ne sont pas formellement hérétiques. Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d’adopter cette Réforme et de s’y soumettre de quelque manière que ce soit. La seule attitude de fidélité à l’Église et à la doctrine catholique, pour notre salut, est le refus catégorique d’acceptation de la Réforme. »

Vers la première rupture (1976)

Cette déclaration qui rejetait explicitement l’autorité pontificale sur les réformes en cours ne pouvait être acceptée par Rome, qui exigea de Mgr Lefebvre une rétractation. C’est son refus obstiné qui entraîna les mesures romaines contre sa Fraternité, celle-ci n’ayant plus de reconnaissance canonique ni d’existence légale à partir de 1975. Cette déclaration de novembre 1974 fut importante à plusieurs titres : d’abord parce qu’elle marqua le début du processus de rébellion qui conduira aux ruptures de 1976 et 1988 ; ensuite parce qu’elle est restée comme la « charte » constamment revendiquée par les responsables de la FSSPX – encore tout récemment à l’occasion de son 50e anniversaire.

Commença alors un fastidieux jeu du chat et de la souris entre Mgr Lefebvre et ses interlocuteurs romains, le premier, au fil des échanges, assurant le Saint-Père de sa fidélité tout en refusant de lui obéir, et en continuant ses attaques radicales contre « la messe de Luther » et le concile. Mgr Lefebvre argua d’anomalies de procédure, estimant qu’elles rendaient nulles les sanctions prises contre sa Fraternité et justifiant ainsi sa persistante insoumission – oubliant que tout pape possède une juridiction directe et universelle lui conférant tout pouvoir en la matière.

Le 29 juin 1976, Mgr Lefebvre procéda à des ordinations sacerdotales malgré le refus de Rome ; ainsi fut-il suspendu a divinis, ce qui lui interdisait de célébrer publiquement la messe, d’administrer les sacrements d’ordination, de pénitence et de confirmation, ainsi que de prêcher. Réaction de Mgr Lefebvre : « Nous sommes suspens a divinis par l’Église conciliaire et pour l’Église conciliaire, dont nous ne voulons pas faire partie. Cette Église conciliaire est une Église schismatique, parce qu’elle rompt avec l’Église catholique de toujours » (2). Peu après, le 27 février 1977, l’église parisienne de Saint-Nicolas du Chardonnet fut occupée par trois prêtres, Mgr Ducaud-Bourget, les abbés Serralda et Coache, soutenus par la FSSPX qui en fit le lieu emblématique de sa présence dans la capitale.

L’élection de Jean-Paul II, en octobre 1978, ne fit pas bouger les lignes. En revanche, la nomination du cardinal Ratzinger comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, en 1982, permit une reprise du dialogue. Ce dernier, en vue d’un accord, soumit à Mgr Lefebvre une déclaration visant à adhérer au concile compris à « la lumière de la sainte Tradition » et à reconnaître la légitimité et la validité du nouveau missel. Face au net refus du prélat qui demandait une réforme de la réforme et une révision du concile, le cardinal Ratzinger lui répondit, le 20 juillet 1983, par une lettre importante en ce qu’elle marquait la limite au-delà de laquelle Rome ne pouvait aller :

« Ici comme à propos des questions liturgiques, il faut noter que – en fonction des divers degrés d’autorité des textes conciliaires – la critique de certaines de leurs expressions, faites selon les règles générales de l’adhésion au Magistère, n’est pas exclue. Vous pouvez de même exprimer le désir d’une déclaration ou d’un développement explicatif sur tel ou tel point. Mais vous ne pouvez pas affirmer l’incompatibilité des textes conciliaires – qui sont des textes magistériels – avec le Magistère et la Tradition. Il vous est possible de dire que personnellement, vous ne voyez pas cette compatibilité, et donc de demander au Siège Apostolique des explications. Mais si, au contraire, vous affirmez l’impossibilité de telles explications, vous vous opposez profondément à cette structure fondamentale de la foi catholique, à cette obéissance et humilité de la foi ecclésiastique dont vous vous réclamez. […] L’expression du désir d’une nouvelle révision [de la messe] est possible […]. Mais ceci à condition que la critique n’empêche pas et ne détruise pas l’obéissance, et qu’elle ne mette pas en discussion la légitimité de la liturgie de l’Église. »

L’année 1984 fut marquée par la publication, le 17 octobre, d’un Indult permettant d’utiliser le missel romain dit de saint Pie V moyennant des conditions très restrictives qui, de fait, en limitèrent l’application. Pour essayer d’améliorer la situation, Jean-Paul II nomma en 1986 une commission cardinalice qui fixa des « normes » favorables à l’ancienne messe mais qui, face à l’hostilité des épiscopats semble-t-il, ne furent jamais promulguées. Les cardinaux précisèrent également que la messe tridentine n’avait jamais été supprimée ni interdite par Paul VI.

Nouvel espoir d’accord

En 1987, Mgr Lefebvre évoqua une nouvelle fois la possibilité de sacrer un évêque pour se donner un successeur. La menace fut entendue à Rome, puisqu’une rencontre eut lieu entre Mgr Lefebvre et le cardinal Ratzinger le 17 octobre 1987, rencontre qui permit la visite apostolique menée par le cardinal Gagnon au sein des principales maisons de la FSSPX en novembre-décembre. Le rapport de la visite ayant été positif, une commission fut créée en avril 1988 pour élaborer les bases d’un accord : le 5 mai fut ainsi signé un « protocole d’accord » entre Mgr Lefebvre et le cardinal Ratzinger. Au regard des violentes attaques de Mgr Lefebvre contre Jean-Paul II (notamment au sujet de la réunion d’Assise de 1986), cet accord apparut inespéré : Mgr Lefebvre s’engageait à accepter la doctrine sur le Magistère explicitée dans Lumen Gentium n. 25 et déclarait « reconnaître la validité du Sacrifice de la messe ». Et sur les points doctrinaux litigieux « qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique » (3). En échange, toutes les sanctions étaient levées et la FSSPX devait être érigée en société de vie apostolique de droit pontifical et le sacre d’un évêque issu de la Fraternité était prévu.

Malgré cet accord, malgré sa signature apposée au bas de ce document, Mgr Lefebvre se rétracta et dénonça le protocole. Pour lui, toute la question tournait autour du sacre d’un ou plusieurs évêques. Rome en avait promis un sans fixer de date. Il en voulait trois pour fin juin. Finalement, pour éviter un échec après tant d’efforts, Jean-Paul II consentit à fixer la date du 15 août pour le sacre d’un évêque. Mais pour Mgr Lefebvre, c’était trop tard, il n’avait « plus confiance ». Il argua du fait que le pape avait accepté le principe d’une consécration épiscopale pour s’engager vers l’acte fatidique du 30 juin 1988. Malgré la monition solennelle de Rome, il sacra avec Mgr de Castro Mayer, évêque émérite de Campos (Brésil), quatre prêtres de sa Fraternité : les six protagonistes subirent aussitôt l’excommunication latae sententiae prévue automatiquement par le Droit canon. Dans la foulée, vingt-quatre responsables de la FSSPX adressèrent le 6 juillet à Rome une demande d’excommunication comme « une marque d’honneur et un signe d’orthodoxie devant les fidèles ».

Le 2 juillet 1988, le pape Jean-Paul II publiait le motu proprio Ecclesia Dei adflicta qui établissait notamment un cadre d’accueil pour les catholiques qui ne voulaient pas suivre Mgr Lefebvre dans sa rupture avec Rome. Ce texte analysait aussi les raisons de la dérive de Mgr Lefebvre, dont l’origine est « une notion incomplète et contradictoire de la Tradition » : « On ne peut rester fidèle à la Tradition tout en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ lui-même, en la personne de l’Apôtre Pierre, a confié le ministère de l’unité dans son Église » (n. 4).

Arguments pour les sacres de 1988

Une consécration épiscopale contre l’avis clairement notifié du pape étant une chose jamais vue dans l’Église, et relevant d’une usurpation d’une prérogative papale de droit divin, donc de nature schismatique, la FSSPX a développé de longs argumentaires pour justifier un tel acte contraire à toute la Tradition (4).

Le nœud de son argumentation était d’invoquer un « état de nécessité » permettant, en certains cas extrêmes, d’enfreindre la loi sans encourir de peine (5). L’état de nécessité était déterminé par la crise sévissant dans l’Église avec un pape et des évêques qui étaient eux-mêmes les principaux responsables de cette crise : par la réforme liturgique instituant une messe dangereuse pour la foi et un enseignement doctrinal « moderniste » issu du concile Vatican II. Si la situation était si dramatique et la hiérarchie à ce point dans l’erreur, pourquoi Mgr Lefebvre avait-il entamé des négociations et même signé un accord avec Rome ? Ajoutons que la « nécessité » ici invoquée ne pouvait éventuellement jouer qui si Rome avait été clairement responsable de la rupture : or, il n’en fut rien ; c’est Mgr Lefebvre lui-même qui avait dénoncé le « protocole d’accord » signé le 5 mai, c’est lui qui avait pris l’initiative de la déchirure. Le prétexte en fut d’ailleurs fort léger, puisqu’il se justifia en raison d’un manque de confiance dans ses interlocuteurs, la consécration épiscopale étant finalement promise pour le 15 août quand lui l’exigeait pour fin juin ! Cet argument très subjectif ne prouve rien : il eût fallu aller jusqu’au bout, mettre le protocole à l’épreuve des faits et montrer ainsi qu’une éventuelle rupture eût été de la seule responsabilité de Rome. Mais rompre un accord simplement en invoquant le manque de confiance sans la confirmation des faits ôtait toute crédibilité et consistance à l’argument de nécessité.

Quoi qu’il en soit, l’argument s’appuyant sur un « état de nécessité » était ici irrecevable par le seul fait que l’acte posé – une consécration épiscopale contre la volonté du pape – était intrinsèquement mauvais et qu’aucune circonstance particulière (la crise de l’Église) ni l’intention droite de Mgr Lefebvre (servir l’Église) ne pouvaient légitimer un tel acte de nature schismatique.

Après les sacres, Mgr Lefebvre et les responsables de la Fraternité ont nettement haussé le ton contre Rome, comme s’il fallait prouver a posteriori l’énormité de ses erreurs, seule façon de justifier auprès de leurs fidèles un tel acte de rébellion. Voici un échantillon éloquent : « Je vous demande : où sont les véritables marques de l’Église ? Sont-elles davantage dans l’Église officielle (il ne s’agit pas de l’Église visible, il s’agit de l’Église officielle) ou chez nous […] ? Tout cela montre que c’est nous qui avons les marques de l’Église visible. S’il y a encore une visibilité de l’Église aujourd’hui, c’est grâce à vous. Ces signes (une, sainte, catholique, apostolique) ne se trouvent plus chez les autres. Il n’y a plus chez eux d’unité de foi, or c’est la foi qui est la base de toute visibilité de l’Église […]. Il faut donc sortir de ce milieu des évêques, si l’on ne veut pas perdre son âme. Mais cela ne suffit pas, car c’est à Rome que l’hérésie est installée […] ? Si nous nous éloignons de ces gens-là, c’est absolument comme avec des personnes qui ont le sida. On n’a pas envie de l’attraper. Or, ils ont le sida spirituel, des maladies contagieuses. Si l’on veut garder la santé, il faut ne pas aller avec eux […]. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous lier avec Rome » (6).

Les propos de Mgr Lefebvre laissaient entrevoir une notion de l’Église proche de la conception protestante. Il prétendait continuer l’Église parce que seul avec ses amis il gardait la vraie foi : ce serait donc la foi qui indiquerait où est l’Église – conception protestante –, alors que la doctrine catholique enseigne que là où est le pape, là où est l’Église, là est la foi.

L’après Mgr Lefebvre

Mgr Lefebvre est mort le 25 mars 1991 à 85 ans. En juillet 1994, le chapitre général de la FSSPX élit un évêque à sa tête, Mgr Bernard Fellay, qui en est resté le supérieur jusqu’en 2018. Avec le temps, les positions de fond ne changent guère, mais les critiques contre le Magistère romain se font moins violentes. Il y a chez Mgr Fellay une volonté affichée de n’être pas schismatique. Un souci d’ouverture se dessine même à partir de 1998 avec un ou deux colloques organisés par la FSSPX avec des invités extérieurs à sa mouvance (7).

C’est néanmoins le grand Jubilé de l’an 2000 qui va permettre une réelle reprise du dialogue entre Rome et la FSSPX. Jean-Paul II reçoit même Mgr Fellay le 30 décembre. Ce dernier, pour aller plus loin, pose deux conditions : « 1/Que la messe tridentine soit accordée à tous les prêtres du monde entier. 2/Que les censures qui frappent les évêques soient annulées. »

Les choses, cependant, n’avancent guère, Mgr Fellay, fidèle à l’exemple de Mgr Lefebvre, alternant critiques virulentes contre le Magistère et propos conciliants comme ceux-ci : « Nous sommes prêts à discuter, nous demandons même la discussion. […] Accepter le Concile ne nous fait pas problème. Il y a un critère de discernement quand même. Et ce critère, c’est ce qui a toujours été enseigné et cru : la Tradition. D’où un besoin de clarifications. […] Vatican II… nous en gardons 95  %. C’est plus à un esprit que nous nous opposons » (8).

L’élection de Benoît XVI, en 2005, laisse espérer un rapprochement entre Rome et Écône. Mgr Fellay est reçu par le nouveau pape le 29 août ; il reconnaît : « Nous sommes arrivés à un consensus sur le fait de procéder par étapes dans la résolution des problèmes » ; mais il regrette la fermeté du pape qui maintient que l’on ne peut rejeter Vatican II, surtout « interprété à la lumière de la Tradition ».

L’année suivante, cinq prêtres de la FSSPX, récemment exclus – dont trois figures marquantes, les abbés Aulagnier, Laguérie et de Tanoüarn – fondent l’Institut du Bon Pasteur, immédiatement reconnu par Rome.

Le 7 juillet 2007, Benoît XVI publie le motu proprio Summorum Pontificum qui, en libéralisant la « forme extraordinaire » du rite romain, répond à la première condition posée en 2000 par Mgr Fellay. Si ce dernier accueille favorablement cet événement, il manifeste peu d’enthousiasme et rejette la lettre aux évêques qui accompagne le motu proprio, au motif qu’elle demande « l’acceptation du concile Vatican II ou de la nouvelle messe ».

Pourtant, ce qui frappe dans ce motu proprio – et dans la Lettre qui en donne l’esprit – est le souci du Saint-Père de rechercher la paix et la réconciliation en matière liturgique, bien au-delà du cas particulier de la FSSPX. Dans sa Lettre aux évêques, en effet, Benoît XVI évoque les divisions du passé et il déplore que « les responsables de l’Église [n’aient] pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité ».

Le 15 décembre 2008, Mgr Fellay écrit à Benoît XVI pour solliciter la levée des excommunications touchant les quatre évêques de la FSSPX, en précisant : « Nous acceptons et faisons nôtres tous les conciles jusqu’à Vatican II au sujet duquel nous émettons des réserves. » Sans que cela modifie l’absence de statut canonique de la FSSPX, le pape répond favorablement à cette demande par un décret du 21 janvier 2009. Les propos négationnistes de Mgr Williamson – l’un des quatre évêques de la FSSPX –, révélés au même moment, placent Benoît XVI dans une situation difficile : cet acte de miséricorde était déjà mal perçu par les médias qui en profitent alors pour accabler le Souverain Pontife de façon très injuste. Comment la Curie a-t-elle pu ne pas l’informer des scandaleuses positions négationnistes de Mgr Williamson, et pourquoi la FSSPX n’a-t-elle pas exclu ce dernier plus tôt (il ne le sera qu’en 2012) ?

Le processus de rapprochement, néanmoins, se poursuit, puisque les deux conditions posées par Mgr Fellay sont maintenant remplies. L’étape suivante voulue par le pape est l’organisation d’échanges théologiques privés entre des représentants de Rome et de la FSSPX. Ceux-ci se déroulent à huis clos d’octobre 2009 à avril 2011. Rien n’a filtré de ces échanges, sinon qu’ils ont été courtois et que, s’ils n’ont pas abouti à un « compromis », ils ont néanmoins permis de mesurer les divergences entre les deux parties. Le 14 septembre 2011, le cardinal Levada, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, reçoit Mgr Fellay et ses deux assistants pour leur proposer un statut canonique, moyennant l’acceptation d’un « préambule doctrinal », très proche du « protocole d’accord » du 5 mai 1988. Ce préambule fait l’objet de plusieurs échanges et la rumeur fait état, en avril 2012, d’un accord imminent. Il semblerait que Mgr Fellay voulait cet accord, tandis que les trois autres évêques de la FSSPX (dont Mgr Williamson !) et ses principaux responsables y étaient hostiles, révélant de profondes divisions sur cette question. Malheureusement, Mgr Fellay a finalement préféré l’unité de sa Fraternité à l’accord avec Rome.

Après les espoirs du printemps 2012, un trop bref moment encouragés par un ton nouveau de Mgr Fellay, revient l’habituelle dialectique de ceux qui, mieux que le pape et toute l’Église, s’estiment juges de la « vraie » foi et de la Tradition.

Quelques mois plus tard, le 11 février 2013, le monde apprend, stupéfait, la renonciation de Benoît XVI. Le cardinal Bergoglio est élu le 13 mars. Désormais, la réconciliation avec la FSSPX ne semble plus à l’ordre du jour ; d’ailleurs le pape François dissout en 2019 la Commission Ecclesia Dei qui avait été rattachée à la Congrégation pour la Doctrine de la foi en 2009 et il n’y a plus de dialogue officiel entre Rome et Écône. François conserve cependant des liens personnels avec des prêtres de la FSSPX, notamment avec ceux qu’il a connus en Argentine, et tout en considérant cette Fraternité hors de la communion ecclésiale, il ne la désigne pas comme schismatique. Il est même plus « généreux » que ses prédécesseurs en octroyant à ses prêtres, dès 2015, année de la Miséricorde, le pouvoir de confesser validement. Puis en 2017, il est permis aux évêques diocésains de leur donner la faculté de marier validement. En juillet 2018, un nouveau Supérieur général est élu : l’abbé Pagliarani. Désormais, les lignes ne semblent plus bouger : la prochaine question sera sans doute celle de la consécration épiscopale de nouveaux évêques, puisque deux des quatre évêques de 1988 sont aujourd’hui décédés : la FSSPX demandera-t-elle un mandat pontifical à François, et celui-ci le donnera-t-il ?

Christophe Geffroy

(1) Cf. Itinéraires n°95 de juillet-août 1965, pp. 78-79, repris dans Un évêque parle, DMM, 1974, tome 1, pp. 57-58.
(2) Itinéraires, numéro spécial hors-série d’avril 1977, ibid., p. 171.
(3) Fideliter, numéro hors-série des 29-30 juin 1988.
(4) Nous n’allons pas les reprendre ici en détail, ce serait fastidieux, nous renvoyons à notre étude, « La primauté du pape et les sacres d’Écône de juin 1988 », publiée dans La Pensée Catholique n°250 de janvier-février 1991, étude que nous publions intégralement telle quelle en libre accès sur le site de La Nef.
(5) Cf. can.1323 et 1324.
(6) Fideliter n° 66 de novembre-décembre 1988.
(7) Ce type de réunion (avec la présence d’un prêtre de la Fraternité Saint-Pie X), s’est pérennisé avec le GREC (Groupe de réflexion entre catholiques), né d’une intuition de Gilbert Perol et mis en pratique par son épouse Huguette Perol et le Père Lelong en 1997, et ce jusqu’en 2012.
(8) Interview au quotidien suisse La Liberté du 11 mai 2001.
Pour aller plus loin : Rome-Écône. L’accord impossible ?, de Christophe Geffroy, Artège, 2013, 184 pages, 14 €. Ouvrage que l’on peut commander à La Nef, port offert.

© LA NEF n°378 Mars 2025

La Fraternité Saint-Pie X en chiffres :

  • Supérieur Général : abbé Davide Pagliarani (élu en 2018 pour 12 ans). Premier et second assistants : Mgr Alfonso de Galarreta et abbé Christian Bouchacourt. Conseillers généraux : Mgr Bernard Fellay et abbé Franz Schmidberger. Supérieur du district de France : abbé Gonzague Peignot.
  • Une maison générale (Menzingen en Suisse), 5 séminaires, 15 districts pour 34 pays, 200 prieurés et 850 lieux de culte, 2 instituts universitaires, plus d’une centaine d’écoles, 7 maisons de retraite.
  • 730 prêtres, 210 séminaristes, 130 frères, 80 sœurs oblates, 220 sœurs de la Fraternité Saint-Pie X.
  • Le district de France : 190 prêtres, 44 prieurés, 180 chapelles, 4 maisons de retraite spirituelle, 32 établissements privés d’enseignement, avec 7 lycées, 9 collèges, 30 écoles primaires, un Institut Universitaire et une école professionnelle (soit 2500 élèves scolarisés). Une maison d’édition : Clovis ; une revue : Fideliter.
  • Sites internet : https://fsspx.org – https://fsspx.news – https://laportelatine.org
  • Les « satellites » gravitant autour de la FSSPX : dominicaines de Brignoles et de Fanjeaux, dominicains d’Avrillé (passés au sédévacantisme de Mgr Williamson), capucins de Morgan, bénédictins de Bellaigues…