Marc Fromager

La liberté religieuse : une question de survie

L’AED (Aide à l’Église en Détresse) vient de publier son Rapport bisannuel consacré à la liberté religieuse dans le monde (1). Dans sa préface, le cardinal Nzapalainga, archevêque de Bangui, nous confie : « Ici, en Centrafrique, la liberté religieuse n’est pas un concept, c’est une question de survie. L’idée n’est pas de savoir si on est plus ou moins confortable avec les soubassements idéologiques qui président à la liberté religieuse. L’idée, c’est d’éviter un bain de sang ! »
Il poursuit : « Ici, à Bangui, où des forces de destruction ont été semées et entretenues, nous n’avons pas le choix. Soit nous parvenons à rétablir la paix, soit nous disparaîtrons. Et cette paix aura notamment pour fondement une véritable paix religieuse, possible dans un contexte pluri-religieux uniquement si la liberté religieuse est comprise, acceptée et mise en œuvre. »

Faire reculer les persécutions
Pour l’AED, la défense de la liberté religieuse s’inscrit dans cette réalité du terrain. Plus la liberté religieuse sera respectée et moins il y aura de persécution. C’est donc bien d’abord pour servir nos frères dans la foi que nous revendiquons une amélioration de cette liberté, qualifiée par Benoît XVI de « visage authentique de la paix ».
Que ce soit en Centrafrique ou dans de nombreuses zones de crises à travers le monde, nous nous apercevons que la religion est de plus en plus instrumentalisée dans une stratégie de chaos, en vue d’intérêts politiques ou économiques et, le plus souvent, les deux à la fois.
Un double écueil doit être évité, nous semble-t-il, celui qui consiste à hypertrophier ou au contraire à minimiser le facteur religieux dans l’analyse des causes d’un conflit. En réalité, ces causes sont le plus souvent multiples et résultent en général d’un ensemble de facteurs qui interviennent de manière concomitante.
Une ébauche de liste des causes pourrait même apparaître un peu fastidieuse, où l’on retrouverait pêle-mêle le poids de l’histoire, l’impact de la géographie, voire du climat, l’héritage mais aussi le jeu actuel des acteurs politiques, la démographie, la réalité socio-économique, la culture, le niveau d’éducation et enfin la religion.
Si l’on voulait regrouper ces divers éléments dans un souci de clarté, on pourrait sans doute émettre l’hypothèse que la plupart de ces causes pourraient être rattachées à trois dimensions essentielles, prise dans leur acceptation la plus large : la politique, l’économie et la religion, ce dernier élément n’étant pas forcément présent de manière systématique, sauf dans un Rapport comme celui-ci puisqu’il s’agit précisément de l’objet d’étude principal.

les cas de la Syrie et des Rohingyas
Prenons deux crises récentes pour illustrer cet enchevêtrement de causes, la guerre en Syrie et l’exode des Rohingyas.
Généralement présentée comme une guerre civile, la crise syrienne possède en réalité une dimension géopolitique internationale (affrontement saoudo-iranien puis russo-américain), économique (gaz qatari et pétrole syrien) et religieuse (lutte entre sunnites et chiites sur fond d’expulsion des minorités religieuses).
Concernant les Rohingyas, la présentation usuelle a souvent eu tendance à simplifier à outrance le conflit, en le résumant à des victimes musulmanes persécutées par des moines bouddhistes. Sans chercher à amoindrir la souffrance de près d’un demi-million de réfugiés ni à atténuer la réelle tragédie des nombreuses victimes, il n’en demeure pas moins que le caractère purement religieux de cette crise ne résiste pas aux faits. On retrouve là encore des facteurs politiques (projet manifeste de sécession d’une partie du territoire birman sur fond de mutations démographiques – les Rohingyas sont pour la plupart d’origine bengalie) et économiques (découverte d’un important gisement d’hydrocarbures au large de cette région, volonté de contrer de considérables investissements chinois).
Dans ces deux illustrations, le facteur religieux est donc réel mais insuffisant pour expliquer la crise. La prise en compte de cette complexité met en exergue tout l’intérêt qu’il y a à promouvoir la liberté religieuse. En effet, en réduisant ainsi la possibilité d’instrumentaliser la religion, la liberté religieuse supprime par là même un des facteurs crisogènes.
En ce sens, ce Rapport se veut une contribution pour la Paix, une contribution sans doute modeste mais qui nous paraît néanmoins pertinente. « Ce Rapport est un encouragement puissant au milieu de tant de contrariétés », conclut le cardinal, ce qui nous encourage nous-mêmes à poursuivre ce travail.

Marc Fromager
Directeur de l’AED

(1) La liberté religieuse dans le monde : Rapport 2018, Éditions AED, 2018, 160 pages, 10 € (+ 3 € de frais de port). À commander : AED, 29 rue du Louvre, 78750 Mareil-Marly / www.aed-france.org / 0139173010 / aed@aed-france.org
En ligne : https://don.aed-france.org/

© LA NEF n°309 Décembre 2018