Olivier Maurel © Capture d'écran YouTube

GPA : un nouvel esclavagisme. Où en sommes-nous ?

Le Parlement européen a adopté fin avril un projet de révision de la Directive européenne sur la traite des êtres humains, en proposant d’y ajouter « l’exploitation de la gestation pour autrui ». Cette possible criminalisation de la GPA vise à mettre fin à cette forme d’esclavage contemporain de la femme et de réification du corps de l’enfant. Un combat éthique et moral, dont les enjeux sont également politiques et juridiques, face à la puissance financière d’un « marché » mondial en pleine croissance.

Les larmes d’Olivia Maurel en disent plus long qu’un discours sur cette vie brisée, mais heureusement réparée. Ce sont les larmes de ceux que l’on n’entend quasiment jamais, et pour cause : « Nous, les enfants nés de mères porteuses, n’avons pas le droit de souffrir, d’être malheureux. Nous devrions simplement nous taire, ne surtout pas dire cette réalité douloureuse, que la maternité de substitution inflige une véritable blessure à l’enfant. » La jeune femme est née d’une Gestation Pour Autrui (GPA) le 10 décembre 1991, une date volontairement choisie pour faire de cet enfant « un bébé de Noël ». Cette voix est également exceptionnelle parce que, au terme d’un long combat, Olivia Maurel a retrouvé sa mère biologique, dont la confidence résonne alors comme un déclic : « Ma mère porteuse m’a avoué que mon premier geste à la naissance a été de tourner la tête vers elle pour la regarder droit dans les yeux. » Comme la clé d’une souffrance qui la tiraillait depuis son plus jeune âge. « En tant que nouveau-né, on m’a demandé de sacrifier ma mère. Et ce fut le premier traumatisme qui allait conditionner le reste de ma vie » : alcool, addictions, dépression, tentatives de suicide à répétition, incapacité à conserver un emploi ou à lier de saines liaisons d’amitié… « Je poussais les gens à me rejeter car j’avais simplement peur qu’ils m’abandonnent », analyse Olivia Maurel, qui est aujourd’hui sortie de cet enfer, grâce notamment à l’appui de son mari. Et surtout grâce à cette prise de conscience d’avoir été dévastée par le désir de deux adultes d’avoir « un enfant sur commande ». Mais la colère persiste en elle, et son principal combat est aujourd’hui celui d’abolir la GPA. C’est ce message qu’elle a transmis lorsqu’elle a été reçue au Vatican par le pape François. L’avant-veille, dans son discours habituel au corps diplomatique, le Saint-Père avait rappelé que « la maternité de substitution porte gravement atteinte à la dignité de l’enfant et de la mère », en appelant la communauté internationale « à s’engager à interdire cette pratique de manière universelle ».

Un « marché » mondial qui s’accroît

Le Parlement européen vient justement de faire un pas important en ce sens, en adoptant le projet de révision de la Directive européenne de 2011 sur la traite des êtres humains (2011/36/UE), le 23 avril dernier. Le texte, porté notamment par l’euro-député François-Xavier Bellamy (LR), ajoute « l’exploitation de la gestation pour autrui » à la liste « minimum » des actes que les États doivent sanctionner comme relevant de la traite des êtres humains. L’association Juristes pour l’enfance a également été très active dans l’adoption de ce projet de révision, qui marque une avancée très nette, selon Aude Mirkovic, porte-parole de cette organisation et maître de conférences en droit : « Le lien explicite entre GPA et traite avait déjà été fait à plusieurs reprises par le Parlement européen, mais dans des résolutions sans valeur contraignante. Cette fois-ci, c’est une directive, autrement dit un texte juridique international contraignant, qui qualifie explicitement “l’exploitation de la GPA” comme une forme de traite. » D’autant que la proposition a été adoptée à une large majorité d’élus européens (563 voix pour, 7 contre et 17 abstentions). Deux pays au moins de l’Union européenne pourraient être directement concernés par cette criminalisation de la GPA (les États étant tenus de transposer ces dispositions dans leur droit interne) : la Grèce, où cette pratique est ouvertement libéralisée, et la Belgique.

Mais si la bataille au Parlement européen est cruciale, elle n’en est pas pour autant déterminante. Car cette lutte éthique et juridique se heurte, au plan international, à des intérêts financiers toujours plus grands. La GPA représente ainsi un marché mondial florissant de 11 milliards de dollars (en 2022), et ce chiffre d’affaires devrait tripler d’ici 2027 pour atteindre 33 milliards de dollars (1) ! Un « business » qui s’adapte au gré des changements de législations et des conflits : lorsque les règles sont devenues plus contraignantes en Inde, les agences spécialisées se sont immédiatement implantées en Géorgie ou en Ukraine jusqu’à l’invasion russe, puis en Bulgarie, Grèce et Chypre. Lorsque la Thaïlande a banni cette pratique, le Laos et le Tibet ont pris le relais. La restriction réglementaire au Mexique a « dopé » le marché de la GPA en Colombie, et Cuba vient à son tour de changer ses lois pour prendre sa part dans ce tourisme de reproduction.

La personne humaine indivisible

Mais ce « business » progresse surtout en Afrique, où les volumes d’affaires générés devraient atteindre 1 milliard de dollars d’ici trois ans (2). Pourtant la « demande » d’enfants issus de la GPA se concentre essentiellement en Europe et aux États-Unis. C’est pourquoi Maria Sara Rodriguez y voit « un néocolonialisme reproductif, et même un trafic de femmes à des fins d’exploitation reproductive » ; ce professeur en Droit à l’université des Andes (Santiago du Chili), précise que « la mère porteuse travaille à temps plein pendant au moins neuf mois ; et si vous n’avez pas de temps libre, cela peut parfaitement être considéré comme de l’esclavage ».

Un esclavagisme contemporain qui se cache sous l’apparence d’un accord faustien, puisque le contrat signé par cette mère porteuse n’a pas pour objet d’établir ses droits sur son propre corps, mais au contraire d’y renoncer au profit de l’enfant qu’elle porte et des parents adoptifs. Ce qui est une totale aberration juridique, selon Sandra Travers de Faultrier, membre du Collectif pour le Respect de la Personne (Corp) : « En droit français, la personne humaine est une et indivisible, et ne peut pas être dégradée de sa qualité de personne humaine. C’est-à-dire que pour nous-mêmes nous n’avons pas la liberté de nous constituer en chose. Nous n’avons pas la liberté de porter atteinte à nous-mêmes. » La juriste rappelle ainsi que, de fait, la GPA est interdite en France.

Jennifer Lahl, fondatrice du Center for Bioethics & Culture Network, ajoute le risque avéré de pédo-criminalité directement lié à la GPA : « Tout récemment, aux États-Unis, nous avons eu le cas horrible d’un homme accusé d’avoir distribué et détaillé sur Internet ses plans pour agresser sexuellement l’enfant à naître d’une mère porteuse en Californie. » Sans oublier les cas d’abandon d’enfants « non conformes » aux attentes des parents commanditaires (parfois prévus contractuellement par les agences).

Il n’y a pas de GPA « éthique »

Une réalité bien éloignée du mythe d’une GPA « éthique » ou « altruiste », surtout lorsque les « compensations » en faveur des mères porteuses (16 000 à 25 000 €) équivalent à une dizaine d’années de salaire minimum, comme au Pakistan ou à Cuba ! « En aucun cas la gestation pour autrui ne peut être considérée comme éthique », tranche Maria Sara Rodriguez, « premièrement parce qu’elle instrumentalise le corps de la femme, deuxièmement parce qu’elle est un objet de transaction, troisièmement parce qu’il n’y a pas de droit qui la justifie, et quatrièmement parce que c’est une forme de violence. » Mais comment l’interdire lorsque cette pratique est « externalisée » dans d’autres pays ? « La France est dotée d’une législation à compétence extraterritoriale qui permet de poursuivre des ressortissants qui commettent, par exemple, un crime pédophile à l’étranger », répond Sandra Travers de Faultrier. « De la même manière, il suffirait de faire en sorte que les personnes qui vont acheter à l’étranger un enfant par le biais de la GPA ne puissent pas régulariser leur situation administrative quand ils rentrent en France, comme c’est actuellement le cas, mais soient au contraire poursuivies. »

C’est d’ailleurs ce que demandent les signataires de la Déclaration de Casablanca pour l’abolition internationale de la GPA, pétition lancée il y a un an par Bernard Garcia Larrain (3).

« Il convient de rappeler aussi qu’il n’y a pas de droit à être parent, où que ce soit dans le monde », ajoute Sandra Travers de Faultrier ; « mais la difficulté n’est pas juridique, elle est essentiellement dans l’éthique, dans cette espèce de vague extrêmement puissante, je dirais néolibérale, qui s’est emparée de tous les esprits, et qui a tendance à donner force de loi au désir humain. Or, le désir humain n’a jamais été le fondement du droit. Dans le cas de la GPA, c’est une dérive extrêmement grave, car réduire la vie à la biologie, c’est la barbarie ».

Francis Mateo

(1) les chiffres de l’Observatoire de la procréation assistée (https://procreation-assistee.fr/).
(2) https://straitsresearch.com/report/surrogacy-market
(3) https://declaration-surrogacy-casablanca.org/fr/

© LA NEF n° 370 Juin 2024