Prise de la Bastille, par Jean-Pierre Houël © Domaine public - Wikimedia

Les Révolutionnaires et LFI : la fureur et le bruit

Ne peut-on pas tracer un parallèle entre les révolutionnaires déchaînés responsables de la Terreur et La France insoumise ? Les mots diffèrent, mais les méthodes et la dynamique employées sont-ils si éloignés ? Jusqu’où peut-on tenir le parallèle ? Quelle est la stratégie politique derrière ? Quelles en sont les conséquences ? Et les dangers ?

La fureur et le bruit, les insultes et les vociférations, les hurlements et les menaces que fait aujourd’hui résonner la France insoumise dans l’hémicycle et dans le débat public, d’autres les ont entendus avant nous : ceux de nos ancêtres qui vécurent au temps des Jacobins. Le parti de Mélenchon et ses amis usent des mêmes méthodes que ces révolutionnaires déchaînés dont nous parlent nos livres d’histoire. 
Dans la rue, au cours des attroupements, dans les journaux, à la tribune de l’Assemblée, ils fulminaient, apostrophaient, désignaient des cibles à abattre, et livraient à la vindicte collective les noms des traîtres et ennemis du peuple. Alors que le prix du pain augmentait, Marat écrivait ainsi dans L’Ami du peuple : « Il est incontestable que les capitalistes, les monopoleurs, les marchands de luxe, les ex-nobles sont, à quelques exceptions près, les suppôts de l’ancien régime, qui regrettent les abus dont ils profitaient pour s’engraisser des dépouilles publiques. Dans l’impossibilité de changer leurs cœurs, je ne vois que la destruction totale de cette engeance maudite qui puisse rendre la tranquillité à l’État. Le pillage des magasins, à la porte desquels on pendrait quelques accapareurs, mettrait bientôt fin à ces malversations. Ces scélérats, qu’ils tremblent d’être mis eux-mêmes au nombre des membres pourris qu’il est utile de retrancher du corps politique. » Les mots de nos députés insoumis sont plus policés, les intentions moins féroces, mais la méthode et la dynamique ne diffèrent pas tant que cela. 

Les effets de cette stratégie

Or ces outrances et ces clameurs ne sont pas juste du bruit qui s’élève pour ensuite s’évanouir dans le silence et l’oubli, non, elles ont un effet sur leurs opposants et sur l’opinion publique. Elles font peur, et intimident ceux qui, s’étant contentés de ne pas partager tel avis ou tel combat, se trouvent brutalement mis au rang des « ennemis de la nation » sous la Révolution, des « ennemis du genre humain » ou « ennemis des minorités opprimées » aujourd’hui. Pensez-vous qu’il n’est pas opportun d’inscrire l’avortement dans la Constitution et de faire de celle-ci un catalogue de droits sociétaux ? Vous êtes un infâme détracteur de la cause des femmes. L’insulte récoltée à la clé est bien lourde à porter, et le moment arrive bien vite où le courage peut manquer à celui qui se soucie de sa réputation, de sa fréquentabilité et des étiquettes qui lui colleront à la peau. L’un a hurlé, et un autre en face a courbé l’échine. De plus, ces vociférations répétées parviennent parfois à semer le doute. Répétez à l’envi que les massacres de Septembre 1792 étaient nécessaires pour que les forces vives de la nation aillent au front sans laisser derrière elles des renégats susceptibles de les trahir, et vous convaincrez certains qu’il ne convient pas de les dénoncer trop durement. Assénez sans vous lasser que les massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas étaient un acte de résistance, et, à ce titre, compréhensibles, vous finirez par atténuer le crime. De la sorte, vous donnerez en sus l’apparence du nombre et de la force, car vous aurez couvert la voix de vos adversaires, qui en seront encore à vous affronter en essayant de construire pas à pas un argumentaire raisonnable, tandis que vous hurlez de toutes vos forces. Le récent spectacle de l’examen de la loi immigration à l’Assemblée en a offert un redoutable exemple. 

Un mouvement foncièrement dangereux

Face à ces cris et à ces anathèmes, forte est la tentation de penser que ce n’est que du bruit, une musique de fond, des outrances sans grandes conséquences, et que la politique sérieuse se joue à côté. C’est l’illusion dont se berce Renaissance aujourd’hui, et c’est ce que les Girondins ont compris trop tard – eux dont Lamartine décrit ainsi la perte d’influence politique face aux hurlements des Jacobins après les massacres de Septembre : « La commune avait envahi. Marat avait effrayé. Danton avait gouverné. Robespierre avait grandi. Les Girondins avaient perdu tout ce que ces autorités et ces hommes avaient conquis. Ils avaient suivi, souvent en murmurant, le mouvement qui les entraînait. Ils n’avaient rien prévu, rien gouverné pendant cette tempête ; ils avaient dominé en apparence les mouvements, mais comme les débris dominent la vague, en suivant ses ondulations. Tous les efforts qu’ils avaient tentés pour modérer l’entraînement anarchique de la capitale n’avaient servi qu’à marquer leur faiblesse. » Le bruit sourd était devenu la lame de fond. 
Or ce mouvement est foncièrement dangereux, car après les outrances verbales vient déferler la vague de la violence. Qu’est-ce qui pourrait bien tempérer ou contenir la fureur et le vacarme ? Quand on a renoncé à se placer sous le régime et le règne de la raison, quand on a exploité et laissé déborder les passions, le tout au nom de principes aussi vagues qu’inattaquables, et donc irréfutables (le salut du peuple, la cause du genre humain, la défense de l’opprimé), quand on a admis la logique et la morale révolutionnaires qui justifient l’emploi de tous les moyens, par quoi se laissera-t-on arrêter ? Il convient pour nous autres, partisans de la conversation civique et du débat démocratique qui ne tourne pas aux huées, d’être courageux face aux intimidations, de ne pas douter des évidences et de nos convictions face aux insultes, de parler haut et fort pour que nos voix traversent leur bruit et ne leur laissent pas le dernier mot.

Elisabeth Geffroy

© LA NEF n° 369 Mai 2024