L'exécution de Robespierre (estampe anonyme, 1794) © Domaine public

La Terreur : une histoire en débat

Nous avons fêté le 28 juillet dernier le 230e anniversaire de la mort de Robespierre et de la fin de la Terreur. L’histoire de celle-ci a longtemps été malmenée. Depuis 1989 et les apports de l’historien François Furet, le regard sur cet épisode révolutionnaire a évolué. Coup de projecteur sur trois décennies d’historiographie.

Maximilien Robespierre serait le grand maître d’œuvre de la Terreur. Il serait en réalité malhonnête de le rendre seul coupable des crimes commis. La Terreur est une histoire collective qui malmène la vision idyllique d’une Révolution française dont les faits ne seraient que la traduction en actes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Le regard sur cet épisode a toujours fait l’objet de débats historiques, dès le XIXe siècle. En 1889, lors du centenaire de la Révolution française, une vision l’emporte avec le fameux slogan de Georges Clémenceau : « La Révolution est un bloc ! », jugeant par là qu’il fallait accepter toute la Révolution, y compris les massacres de 1793-1794.

Au XXe siècle, l’historiographie révolutionnaire est marquée par l’école jacobino-marxiste qui a dominé toute l’université française. Des personnalités comme Albert Mathiez ou Albert Soboul voient dans la Révolution française le premier épisode de la lutte des classes entre noblesse et bourgeoisie. À partir des années 1970, une nouvelle école, dite révisionniste ou libérale, fédérée autour de François Furet, s’y oppose. Après avoir publié une vaste histoire de la Révolution en 1965 où il remet en cause le mythe d’un prolétariat révolutionnaire, ce dernier prolonge sa réflexion dans Penser la Révolution française (1978), où, inspiré par Alexis de Tocqueville et Augustin Cochin, il décrit la mécanique révolutionnaire menant progressivement vers la Terreur. Un consensus s’établit, peu avant le bicentenaire, par la volonté de dissocier la Révolution en deux temps, celui d’abord des premiers émois, de la Bastille, de l’abolition des privilèges, des premières institutions démocratiques, puis celui des excès, de la mort du roi, de la Terreur et des guerres révolutionnaires. « L’antique orthodoxie historiographique ne pouvait plus servir de seul viatique aux cérémonies », souligne Christophe Prochasson (1). Pour favoriser cette inflexion de la pensée historique sur la Révolution lors de la célébration du bicentenaire, François Furet a contourné l’obstacle universitaire, en utilisant la voie médiatique. Il devient rapidement l’expert attitré de l’histoire de la Révolution française. Si les célébrations rompent avec l’idée d’une révolution en un seul bloc, reste qu’elles prennent une voie « droitsdelhommiste » que dénonce François Furet : « J’aurais aimé qu’on puisse se mettre d’accord sur les sujets importants à débattre, et qu’on fasse la part moins grande au symbolique, au profit de l’inventaire critique. Cela n’a pas été fait » (2).

Comment analyser la Terreur ?

Mais le révisionniste François Furet se distingue des historiens dits de droite – comme Pierre Chaunu –, partisans d’une Révolution malmenée dès 1789 et demandant la reconnaissance du génocide vendéen. Il est vrai que la thèse de Reynald Sécher (3), la publication d’ouvrages révolutionnaires comme celui de Gracchus Babœuf (4), la venue d’Alexandre Soljenitsyne aux Lucs-sur-Boulogne (Vendée) à l’occasion du bicentenaire de la Terreur, ont poussé à jeter un regard nouveau sur la nature des faits révolutionnaires en 1793-1794. Pouvions-nous parler de simples excès de révolutionnaires dépassés par les événements, ou de l’élaboration de ce qu’on pourrait appeler un totalitarisme ? Si génocide il y a eu, l’apparenté avec les régimes du XXe siècle s’éclaire de manière évidente et c’en est fini d’une justification de la Terreur. La tâche totalitaire du régime irait alors jusqu’à déteindre sur toute l’histoire de la Révolution française. En 1995, dans Le Passé d’une illusion, François Furet tisse un lien étroit entre la Terreur et le régime communiste au XXe siècle. De là, des historiens du communisme vont tirer le fil qui mène de Robespierre à Lénine. Par exemple, Stéphane Courtois considère la Terreur comme un « pré-totalitarisme », dans la droite ligne des intuitions philosophiques d’Hannah Arendt dans son Essai sur la Révolution (1963).

Si Patrice Gueniffey, disciple de Furet et ancien membre de l’EHESS, n’est pas un adepte du mot « génocide » pour qualifier le massacre vendéen (comme son maître d’ailleurs), il adopte à partir de ses travaux une position plus avancée des causes et de la nature de la Terreur. Il ose sous-titrer son livre La Politique de la Terreur : Essai sur la violence révolutionnaire (5). Il pose la question d’une terreur qui commencerait dès les événements de 1789, particulièrement à partir du 14 juillet. C’est pourquoi il convient de dater selon lui deux périodes : la première est qualifiée de terreur sans majuscule, non institutionnelle, guidée par le club des Jacobins, qui harcèle régulièrement la Constituante. La seconde, l’officielle, avec un grand T, que l’historiographie fait démarrer le 5 septembre 1793, débuterait en réalité du 9 juillet 1791, par la promulgation d’une loi qui ordonne le retour des émigrés en France dans le mois. On assiste lors de l’été 1791 « à l’effondrement quasi simultané des barrières qui faisaient obstacle à une extension de la violence et de la terreur à l’ensemble de l’espace public », précise Patrice Gueniffey. En jugeant la Terreur « consubstantielle à la Révolution française, logée au cœur même des événements de 1789 » (6), il s’attire l’hostilité d’un grand nombre d’historiens.

La relativisation de la Terreur

Le public français a été acquis à la cause des révisionnistes, grâce à leur forte visibilité durant les années 1990-2000. Mais les universitaires français ont voulu sauvegarder, pour la plupart, l’histoire de la Révolution en un seul bloc. Avec la tentation propre à l’histoire des Annales de moins se soucier des faits historiques que des tendances plus sociologiques ou anthropologiques, ils s’appliquent à relativiser la Terreur, parfois même à la nier. Directrice de recherche au CNRS, Sophie Wahnich accorde une légitimité au peuple préparant la Terreur (7). Spécialiste de l’histoire des émotions, elle s’applique, en se concentrant sur l’année 1792, à déployer l’hypothèse que le peuple français a bien été assez patient et que les événements de 1793-1794 ne sont que le résultat d’une frustration collective au non-exercice du pouvoir.

Utilisant l’histoire du XIXe siècle et des représentations, Jean-Clément Martin, professeur émérite à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, relativise la Terreur et sa portée et condamne toute considération historique sur le lien entre Terreur et révolution. Tout cela ne serait qu’une reconstruction historiographique, notamment en ce qui concerne la figure de Robespierre, selon lui largement fantasmée autant par ses admirateurs que par ses détracteurs, bouc-émissaire idéal. « Pendant l’automne et l’hiver 1793-1794, les violences indéniables qui sont commises sur des milliers de personnes n’ont pas été commises pour terroriser, au sens strict, une population, mais bien pour réprimer des adversaires, réels ou dénoncés, créant des occasions favorables pour des actes délictueux » (8). En 2006, il en vient à dire que « la Terreur a été et n’a pas été mise à l’ordre du jour », jouant ainsi sur son improbable existence, sur une invention a posteriori par Jean-Lambert Tallien, chef de la réaction thermidorienne, soucieux de faire porter le chapeau du désastre révolutionnaire à la Con­vention.

Il faut préciser, comme l’explique Jacques Villemain (9), que les archives sur la Terreur ont en grande partie été détruites pendant la Révolution et au cours du XIXe siècle, et que les ordres du Comité de Salut public pouvaient être parfois très ambivalents, ce qui ouvre le champ à de nombreuses interprétations. L’université française semble avoir choisi un camp, celui de revenir aux hypothèses historiques qui précèdent les investigations de François Furet, sans le dire totalement, sans faire de ce dernier un adversaire authentifié. En revanche, outre-Manche, l’école révisionniste a eu plus d’influence. Timothy Tackett ou encore Marisa Linton, historiens britanniques, voient bien dans la Révolution française cette mécanique de la violence qui conduit aux événements de 1793-1794. Ils sont repris par Michel Biard (Université de Rouen) et Hervé Leuwers (Université de Lille) et contestés par Jean-Clément Martin. Le débat sur la Terreur révolutionnaire est loin d’être clos.

Pierre Mayrant

(1) Les Chemins de la mélancolie, François Furet, Stock, 2013.
(2) Cité dans Prochasson, 2013, ibid.
(3) Vendée-Vengé. Le génocide franco-français, Puf, 1986, rééd. Perrin, 2006.
(4) La guerre de la Vendée et le système de dépopulation, rééd. Cerf, 2008.
(5) La Politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire 1789-1794, Fayard, 2000, rééd. Tel/Gallimard, 2003.
(6) Le nombre et la raison, Cerf, 2020.
(7) La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la République, Payot, 2008.
(8) Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2020/2 (n°67/2), Jean-Clément Martin, « La Terreur, ou comment écrire l’histoire ».
(9) Histoire politique des colonnes infernales, Cerf, 2024.

© LA NEF n° 371 Juillet-Août 2024