Mgr Dominique Rey célèbre la messe à l'aumônerie de l'Université de New York en novembre 2017

Etats-Unis : des idées à prendre

Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, était à New York en novembre dernier pour un voyage d’études sur les questions d’éducation, accompagné d’une délégation d’une vingtaine de personnes intéressées par ces sujets. Il tire pour nous le bilan de ce qu’il a vu.

Dans la « société liquide » que décrit Zygmunt Bauman, l’école catholique doit représenter un vrai repère. L’enjeu est de taille pour la transmission de la foi dans notre société. Parti explorer le modèle américain de l’enseignement catholique avec une délégation de chrétiens engagés dans les questions éducatives, j’en suis revenu avec la conviction que le renouveau de la mission passe par des remises en question. Comme sa mère l’Église, l’école catholique est semper reformanda : elle a toujours à s’interroger afin de progresser et de remplir au mieux sa mission.

LE MODÈLE AMÉRICAIN
Au début du XIXe siècle, les évêques américains ont lancé un vaste programme d’implantation d’une école catholique par paroisse (Conseil de Baltimore, 1830), avec l’avantage d’une scolarité gratuite grâce à l’enseignement assuré par les congrégations religieuses dont une grande partie venait d’Europe. Ce réseau s’est développé dans un contexte de domination agressive du protestantisme.
Ce système américain est devenu rapidement très puissant et d’une haute qualité, tant sur le plan académique que religieux. Mais la crise des vocations est venue ruiner ce concept : il a fallu faire appel à des professeurs laïques (pas toujours catholiques d’ailleurs) et les payer, ce qui engendre des frais de scolarité élevés. « L’enseignement devient un commerce et non plus un ministère de l’Église », reconnaissait avec peine un directeur d’établissement privé.

L’ÉCOLE : UN LIEU DE MISSION
« Aujourd’hui, le système des écoles paroissiales est en crise », se désole le responsable de l’école catholique pour l’archidiocèse de New York, Timothy McNiff, même si tous ne partagent pas son avis et si des directeurs d’établissement ont encore le courage d’opérer une refonte du système, douloureuse mais fructueuse. Se sont alors propagées des écoles congréganistes tenues par les Jésuites ou encore les Dominicains, et des communautés nouvelles offrant une formation chrétienne incluse chaque jour dans l’emploi du temps.
« La formation des professeurs est capitale, continue McNiff : ils doivent passer un examen catéchétique après la formation. Plus ils sont jeunes et moins ils sont catéchisés. Une fois avec nous et responsabilisés, ils font parfois des conversions étonnantes. » Un défi de taille, de convertir à la fois les élèves et les enseignants ! Et cette mission d’évangélisation s’élargit même aux familles des enfants scolarisés par la proposition d’activités extra-scolaires : œuvres caritatives, messes des familles, etc.
Pour faire la différence avec les écoles publiques (les district shools) qui, elles, sont gratuites, les écoles catholiques sont attendues sur leur identité franchement chrétienne. Un dominicain de New York nous confiait avec enthousiasme, en vivant de manière concrète la parabole du grain de moutarde (cf. Mt 13, 31-32) : « Nous croyons nécessaire de ne pas se cantonner à des connaissances, de se transformer en transformant son cœur et de leur donner une formation, des sacrements, une identité et ce qui les rend heureux. » Ceci rejoint les réflexions d’Arnold Tonybee ou plus récemment de Rod Dreher sur la constitution de communautés minoritaires mais créatrices et prophétiques.

QUELQUES PISTES
Que retenir de cette expérience ? Le but n’est pas pour nous de faire une photocopie de ce qui se passe ailleurs mais de nous enrichir mutuellement par une fertilisation croisée.
1. Le pragmatisme américain montre que ce n’est pas qu’une question d’argent mais aussi de saine ambition, d’agir avec professionnalisme (notre voyage outre-Atlantique nous l’aura prouvé maintes fois !). D’un point de vue missionnaire, la formation de leaders est première, de même que le Christ s’est préoccupé de former ceux qui poursuivraient sa mission : la conversion des pécheurs passe par la conversion des pasteurs.
2. La formation des professeurs : à l’université de New York tenue par les Jésuites que nous avons visitée, la formation continue (après embauche) des professeurs est capitale et très exigeante. Ce point auquel j’ai été très sensible nécessite une réelle prise de conscience pour que les enseignants soient toujours en dynamique intellectuelle dans une démarche de vérité qui associe compétence et conviction.
3. Notre séjour aux États-Unis nous a encore permis de découvrir d’autres réalités que les écoles telles qu’un centre artistique et culturel, un foyer dominicain, les Franciscains du Bronx, un réalisateur vidéo, etc. Cela nous invite à penser l’éducation de façon intégrale : à côté de la formation académique et catéchétique, que fait-on pour le reste (les humanités, l’art, l’artisanat, le sport…) ? Il faut recentrer l’action éducative, et ne pas se concentrer sur les savoirs. J’ai été renforcé dans ma conviction qu’avec nos diverses compétences, nous devons investir l’éducation de façon intégrale, pour parler à tout l’homme (corps, âme et esprit) et à tous les hommes. La famille, premier lieu éducatif, et l’école, doivent conjuguer leurs efforts avec les tiers lieux éducatifs : mouvements de jeunesse, patronages, etc.
4. Le corollaire : nous avons besoin de la richesse éducative catholique. Il faut souligner que la France offre diverses approches et méthodes pédagogiques intéressantes.
Face à cet horizon, l’école catholique est appelée à un courageux renouvellement. Elle doit mieux assumer son caractère propre et redonner consistance tant à son identité chrétienne qu’à son projet éducatif spécifique. C’est au prix de cette fidélité que l’école catholique peut prendre toute sa part à la mission évangélisatrice de l’Église.

Mgr Dominique Rey

© LA NEF n°301 Mars 2018