Laetitia Strauch-Bonart © Hannah-Assouline-Fayard

Les hommes sont-ils obsolètes ?

Essayiste et journaliste, Laetitia Strauch-Bonart s’est fait remarquer par l’essai Vous avez dit conservateur ? (Cerf, 2016). Elle nous parle de son nouveau livre.

La Nef – Vous vous inquiétez du sort des hommes en Occident : en quoi seraient-ils discriminés ?
Lætitia Strauch-Bonart – S’inquiéter du sort des hommes ne revient pas à prétendre qu’ils soient discriminés. La discrimination consiste à désavantager systématiquement une personne ou un groupe de personnes en raison de certaines caractéristiques. Dans les domaines que j’étudie – l’école, le travail, la famille – aucun indice n’existe que les hommes soient systématiquement écartés parce qu’ils sont des hommes. Ce que je décris est différent : je parle d’inégalités au sens où des facteurs structurels concourent qui placent les hommes dans une situation bien moins envieuse qu’on ne le pense habituellement.

Cette évolution est-elle le signe que le féminisme a été trop loin au point d’aboutir à une féminisation de la société ?
Je n’aime pas trop le terme, très ambigu, de « féminisation », mais si je devais l’utiliser, ce serait dans le sens qu’emploie le chercheur Steven Pinker, qui parle de « féminisation » du monde moderne, au sens où celui-ci valorise de plus en plus les caractères et valeurs « féminins », comme la communication et la coopération, et de moins en moins les caractères et valeurs « masculins », comme l’usage de la force. Cette transformation est le double fruit de changements technologiques et économiques, et d’une révolution des mœurs dont le féminisme fait partie. Et c’est une bonne chose ! En revanche, cette transformation place les hommes dans une situation difficile – ils doivent s’adapter à de nouvelles règles du jeu. Or s’adapter ne doit pas signifier se renier ! Ici, si un certain féminisme peut aller trop loin, c’est en sous-entendant que le masculin est par nature vicié.

On évoque souvent aujourd’hui l’absence du père, la dégradation de cette image du père dans la société : quel lien faites-vous avec les difficultés des hommes que vous évoquez dans votre livre ?
La présence des pères, dans le monde occidental, est paradoxale : alors qu’ils passent plus de temps qu’avant, en moyenne, avec leurs enfants, on observe une polarisation croissante en fonction du statut socio-économique. La proportion d’enfants qui ne vivent pas avec leur père a en effet augmenté dans les milieux populaires. Pourquoi ? Grâce à leur relative émancipation sociale et financière, les femmes de ces milieux peuvent désormais plus facilement élever des enfants seules. Par ailleurs, les femmes tendent à se marier, en général, avec des hommes au statut socio-économique supérieur au leur. Dans une société où les hommes des classes populaires peinent à l’école et sur le marché du travail, ils deviennent des partenaires moins enviables !
Plus généralement, l’émancipation des femmes peut aussi donner l’impression aux hommes – à tous les hommes – qu’ils ne sont plus aussi « utiles » qu’avant. Il est dans l’air du temps de penser qu’un couple de parents est une paire dont les deux membres sont interchangeables. Pour bien des aspects de l’éducation, c’est le cas, mais pas forcément pour tous ! Je pense qu’il nous manque aujourd’hui une représentation positive du père, qui soit à la fois moderne, adaptée au monde d’aujourd’hui, et qui ait aussi sa spécificité.

N’y a-t-il pas quelque chose de vicié dans le fait même d’opposer hommes et femmes ? N’est-ce pas un héritage du marxisme qui cherche à opposer, diviser pour provoquer la révolution (lutte des classes, des races, des sexes…) ?
Je suis entièrement d’accord ! Je n’ai jamais compris le terme de « guerre des sexes ». Au contraire, les hommes se portent bien lorsque les femmes se portent bien, et vice versa. Prospérer grâce au malheur d’autrui est pervers ! Cela ne veut pas dire que dans certains pays du monde, aujourd’hui, ce cercle vertueux soit inexistant – mais justement, c’est le signe de sociétés qui sont dysfonctionnelles à tous points de vue.

Vous avez écrit auparavant un ouvrage en faveur du conservatisme : y a-t-il une position « conservatrice » sur cette question des hommes et des femmes ?
Tout dépend comment on définit le conservatisme. Si vous le définissez de façon philosophique, comme une vision du monde qui préfère laisser les individus interagir entre eux au lieu de leur dire comment vivre, et qui estime que ce qui traverse le temps a de la valeur, alors oui, ma vision des rapports entre les sexes n’y est pas étrangère !

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Laetitia Strauch-Bonart, Les hommes sont-ils obsolètes ? Enquête sur la nouvelle inégalité des sexes, Fayard, 2018, 214 pages, 18 €.

© LA NEF n°305 Juillet-Août 2018