Emmanuel Macron © Gouvernement français-Commons.wikimedia.org

Qu’est-ce que le «macronisme»

Emmanuel Macron ? Un révolutionnaire. David Amiel et Ismaël Emelien ? Les Friedrich Engels et Karl Marx du XXIe siècle. Ces affirmations paraissent déraisonnables. Mais avec leur ouvrage publié en mars dernier, Le progrès ne tombe pas du ciel. Manifeste (1), MM. Amiel et Emelien poussent clairement le lecteur vers une vision non conformiste de la personne et de la pensée du président de la République.
Le lien subliminal de leur ouvrage avec le « Manifeste du Parti communiste » de 1848 est évident. Exemple, une même vision de cauchemar en ouverture : le « spectre du communisme [qui] hante l’Europe », dans la première phrase de l’un ; « les fantômes de l’ancien monde », comme titre du premier chapitre de l’autre. Si l’on veut bien se rappeler qu’en novembre 2016, E. Macron a publié un livre intitulé « Révolution », il y a de quoi être troublé.

Le progressisme : un combat. Pour D. Amiel et I. Emelien, le progrès constitue un acquis du siècle des Lumières et des révolutions américaine et française : « L’idéal de l’autonomie individuelle : permettre à chacun de vivre en étant le plus maître possible de son existence individuelle, et en participant comme citoyen à la décision collective. » Mais aussi la cause d’une « société de frustration » car le royaume de l’autonomie individuelle n’a pas tenu toutes ses promesses : « Il y eut une brève période, de la fin des années 1960 à la fin des années 1980, où toutes les planètes étaient alignées pour promettre à chacun les moyens de ses ambitions… L’âge d’un nouvel humanisme semblait avoir sonné. Mais il n’a jamais sonné pour tout le monde. »
L’avènement du progrès nécessite donc un combat toujours renouvelé. Amiel et Emelien l’appellent « progressisme ».

Progressisme = Macronisme. De son côté, dans son livre, E. Macron avait évoqué deux constantes de son expérience personnelle : la volonté de « choisir sa vie », la volonté de s’engager. Le tour de force accompli par les auteurs est de rattacher le progressisme à cette expérience individuelle, afin de la présenter comme une expérience universelle. « Aller au bout de [ses] talents, de [ses] capacités », E. Macron avoue y être parvenu, grâce à sa « chance d’avoir des parents qui voyaient l’éducation comme un apprentissage de la liberté ». Mais il a toujours lutté aussi pour la réalisation de « ce projet fou d’émancipation des personnes et de la société [qui] est le dessein français… Des rêves qui imposent de saisir l’envie d’engagement qui irrigue la société française… – la révolution démocratique que nous devons réussir ».
Ainsi E. Macron résume en sa personne les deux premiers principes du progressisme tel qu’il est défini par ses deux stratèges : « Maximiser les possibles des individus présents et futurs. » Et : « Il y a davantage de possibles quand on agit ensemble. »

Le progressisme universel. On aurait tort de voir dans le deuxième principe un simple truisme, inspiré davantage par l’utilitarisme que par l’idéalisme. Fondé sur la conviction que « si l’homme est un idéal, nous ne pensons pas que chacun puisse être son propre idéal », il fait une révélation capitale : l’idéal du progressisme est en fait un idéal collectif, celui d’une société construite « selon nos aspirations et à notre image ».
Les sceptiques se demanderont où l’on trouve des « individus sans individualisme ». La réponse des auteurs peut paraître courte, mais elle est logique : on les trouve « en bas », c’est-à-dire hors des lieux de l’autorité, de l’oppression, de la transcendance, hors « de la caserne, du kolkhoze et du couvent ». Ainsi, le progressisme macronien est basé sur l’immanence : « Commencer par le bas » constitue son troisième et dernier principe.

La troublante figure de l’individualiste engagé. Sans se référer à aucune doctrine préexistante (ex. le positivisme), D. Amiel et I. Emelien créent donc une nouvelle figure socio-politique : celle de l’individualiste engagé. Engagé contre « le monopole », seul adversaire du progressisme – hétéroclite mais de taille car il coalise les fameux GAFA eux-mêmes, les partis traditionnels, les populistes de droite comme de gauche et, pour faire bonne mesure, une « troisième menace de capitulation : l’intégrisme ».
Une foule de « l’ancien et du nouveau monde » qui peut s’inquiéter car les incarnations de la figure de l’individualiste engagé ne sont pas des clandestins pourchassés, comme l’étaient en 1848 Engels et Marx. Avec E. Macron à l’Élysée, ils détiennent le pouvoir de déclencher la révolution progressiste. En déclarant, le 25 avril 2019, qu’il assignait « au nouveau temps de [sa] mandature et de notre République un objectif simple : redonner une espérance de progrès à chacun, en demandant à chacun le meilleur de lui-même », E. Macron a assuré que cette révolution ne sera pas imposée, il sera seulement demandé à chacun d’y participer. Une assurance suffisante pour dissiper le trouble dans « le monopole » ? L’avenir le dira.

Claude de Martel

(1) David Amiel et Ismaël Emelien, Le progrès ne tombe pas du ciel. Manifeste, Fayard, 2019, 176 pages, 15 €.

© LA NEF n°315 Juin 2019