La « gueule » du progressisme

Qu’il soit incarné par le bobo ou le gauchiste, le progressisme a un visage, un physique. Une typologie s’impose et se dessine à tous les niveaux de la société. Portraits acides et satiriques.

Dans le roman qui fit sa renommée, Les Deux étendards, Lucien Rebatet décrit, par l’intermédiaire de son personnage Régis, la « gueule du catholicisme ». Il oppose la miséricorde et la faiblesse à la puissance wagnérienne, la tradition chrétienne de la pompe et son décorum à la force créatrice d’un paganisme qui renoue avec le cœur et la nature. Mon ami et confrère, Alexis Martinot, rédacteur chez Éléments, a écrit un article sur ce sujet dans les études rebatiennes que je vous invite à lire. Lucien Rebatet parle d’une église ante conciliaire ; il aurait été étonnant de savoir ce qu’il pensait du nouvel ordre de Vatican II et comment celle-là, pourtant antimoderne, s’est faite dévorer par le monde et le progrès. Quoi qu’il en soit, de nos jours, à la « gueule » du catholicisme, ultime berceau, tout de même, de la civilisation, succède volontiers la « gueule » du progressisme.

Le progressisme, de quoi parle-t-on ? Il s’agit là d’une croyance dans un âge d’or atteignable par l’affirmation d’un bonheur à venir, l’égalité des tous et l’émancipation des individus par rapport au collectif. L’évolution est prise comme une valeur fondamentale et le progrès sociétal comme une avancée pour la civilisation. On évolue. Super ! Les mentalités changent. Admirable ! Le progressisme ne démontre rien et se justifie comme cause de lui-même. La société acquise à cette idéologie trouve ses modèles dans l’actualité et prétend que l’avenir sera plus heureux, plus beau et meilleur que le passé foncièrement imparfait et mauvais. Cette idéologie presque totémique va dans le sens d’un marché dont elle est le revers d’une même médaille, à l’instar de l’écologisme pour le mondialisme. Le marché a besoin de consommateurs et le progressisme offre des individus. Aux structures traditionnelles, les minorités de tout bord revendiquent leurs droits, leur place, leur situation de victimes et par conséquent leurs particularités de consommateurs. Ils consomment ce qu’ils sont. Le progressisme est un leurre des revendications, un programme qui a renoncé à la lutte sociale pour une lutte sociétale, une lutte des individus et des communautés au détriment d’une lutte nationale et collective. C’est tout le travail de renoncement de la gauche depuis le tournant de la rigueur sous Mitterrand en 1984, passant d’un marxisme conséquent à un marxisme 2.0, qui a calqué sur la lutte des classes, la nouvelle lutte des races et des sexes.

Le gauchisme, un des tenants de ce progressisme, est un légume rouge dans un lit d’hôpital, en état de mort cérébral mais toujours branché. Sa troupe de ménestrels, de troupiers, d’actrices dépressives, de chanteuses obèses et d’écrivains médiocres, sont dans une lutte permanente en décomposition. Si Honoré de Balzac déterminait dans le Cousin Pons la société selon les crimes du bas, ceux du peuple parisien, il y ajoutait, à la collection, ceux du haut perpétrés par la bourgeoisie la plus immorale, avide et cupide. De même, le progressisme du haut, chic, choc, et rock n’roll n’est pas à épargner non plus avec son cortège de gens branchés, « in », au top, dans le siècle. La start-up nation a la win, la bourgeoisie hors sol triomphe, « quali » et hyperconnectée. Le bottom up n’est jamais down. Gilles Legendre, récipiendaire en 2017 du prix Manuel Valls de la brosse à reluire, résumait très bien la posture d’une bourgeoisie louis-philipparde actuelle : « économiquement de droite, et culturellement et sociétalement de gauche, un peu schizophrène électoralement. »

L’analogie que l’on se propose d’établir entre le progressisme et la personnalité, la réflexion et la complexion, tient dans la pensée traditionnelle revenue aux fondamentaux, comme on dit au rugby : le physique accordé aux idées. On a beau maîtriser le logos, être un sophiste roué malin, adepte des palabres comme des tours de passe-passe rhétorique, le réel fait que l’on retourne, comme une idée première et primaire, nécessairement au physique. Une patate de carrossier aura toujours le dernier mot. Il y a un rapport entre complexion et réflexion. Parce que l’on apparaît tel que l’on est, parce que la manière dont nous sommes au monde dit quelque chose de nous, on peut le dire aisément : on a le physique de ses idées.

Le Satyricon écrit par Pétrone sous Néron, est, selon l’étymologie, une vaste satire de la société et une grosse tambouille qui mijote dans la satura, la marmite. Dans les deux cas, on n’aurait pas de mal à écrire un nouveau roman comique de cette trempe. Le monde n’est plus un théâtre mais un immense cirque, une rampe où tourne une galaxie burlesque de gens reconnaissables par leur laideur ou leur fadeur, signes de leur fructueuse pensée. Les gauchistes, quand ils manifestent, ont le talent presque inné de tout tourner en ridicule. Qu’il neige ou qu’il pleuve, que ce soit pour les droits des transsexuels noirs unijambistes ou pour dire non aux discriminations contre les baleines à bosse, ils défilent, farandole superbe de guignolos fades et de fifres ridicules, déguisés en citrouille ou en dalmatien ; certains ont des tutus roses, d’autres des collants verts ; les uns sont bariolés, les autres grimés en tête de mort.

Le fracas des casseroles recouvre les pipeaux et les sifflets. Un énergumène avec une plume dans le derrière joue de la trompette. C’est un spectacle vivant, une œuvre mouvante : des intermittents du spectacle, des comédiennes de seconde zone, des gens du monde de la culture, en troupeau, font du bruit pour se faire entendre. Certains dansent comme des ballerines, d’autres font l’hélicoptère avec leur membre. Une professeur d’art dramatique sous prozac explique que c’est une performance éphémère, décrypte la perception heuristique de cette création perpétuelle, traduit les gestes obscènes de ses élèves en imitant les mouvements fluides du kathakali indien. À la suite de quelques vieux intermittents, la bedaine à bosse, quelques jeunes ambitieux.ses rayent le bitume de leurs dents acérées ; viennent des chauves qui tapent sur des tam-tam et des gars en dreadlocks qui grattent des guitares mal accordées.

Arrive alors la section d’assaut des luttes sexuelles. Il y a les féministes qui vrombissent et crachent leur haine, les Chloé et les Jeanne qui n’ont que le mot vagin en bouche. Une élue les a rejointes, explique qu’il faut éliminer les hommes tout en regrettant de n’avoir jamais pu incarner l’éternel féminin. Grand paradoxe que même le docteur Sigmund n’aurait pas su dénouer. La reine des folles, vomit ses tripes végétales dans son porte-voix « détruisons la phallucieuse déclaration unicervelle du droit du zob et brisons les zizis symboles de droit ! » Déjà la féministe académique se fait damer le pion par une féministe noire et lui dispute le trône de la victime la plus oppressée ; mais déjà une militante noire lesbienne atteinte de nanisme veut détrôner la reine des victimes. Abondance de souverains nuit, on attend encore que les lilliputiens marchent pour leur visibilité. Nos amies les bêtes du féminisme intersectionnel laissent place à la bannière LGBTQIA+ et leurs champions au scrabble. Alice défile le poing levé, une belette bleue sous son aisselle gauche. Fainéante, bouffie, un bourrelet dépasse de son jeans. De grosses dondons se sont glissées dans des tonneaux en ferraille couleur de l’arc-en-ciel et réclament la GPA pour toutes. Comme les vaches kiri, à défaut d’être sacrées, elles se traînent avec un anneau dans le nez. Ces camionneuses côtoient des hommes maquillés comme des voitures volées. Certains ont des salopettes, d’autres des robes, quelques-uns sont en tenue sado-maso. On ne trouvera pas la classe de Jean Marais ni le charisme de Pier Paolo Pasolini, encore moins le raffinement d’un Roland Barthes première manière, mais des espèces de cotons-tiges et de ficellos blafards, maigrelets, habillés comme au moulin rouge dans des fripes à Bangkok.

Une demoiselle, étudiante en lettres classiques, recueillit un jour tous mes suffrages. Elle avait des cheveux roux, une taille mesurée, une mise tout élégante et fleurie. On aurait cru Angélique marquise des anges. Mais je fus bien dupe de croire que ces beautés, dans un monde sous covid et gangrené par le gauchisme, pussent demeurer éclatantes. Mon amie, à la rentrée, se rasa les cheveux, prit de la taille, se fit tatouer « men are trash » sur l’aisselle gauche et « mother nature is a lesbian » sur la cuisse droite. La beauté ne dure qu’une saison, « et rose elle a vécu ce que vivent les roses » chantait Malherbes, dommage de ne l’avoir pas cueillie avant, on eût pu empêcher qu’elle se transformât en flan bavarois.

Les amateurs de Federico Fellini se souviennent sans doute de son incroyable Casanova au moment où une géante, qui fait de la lutte pour gagner sa vie dans un cirque, prend le bain, épongée et enduite par deux nains. Cette scène est burlesque par le contraste des tailles et des corps mais touchante car la géante nostalgique et morose se sent arrachée à sa terre natale, souffre de ne revoir pas ses enfants. Voir cette mère, seule, grattée par des petits êtres, pince le cœur. De nos jours, enlevez la poésie et la beauté, oubliez Fellini, vous n’avez plus qu’un tableau froid des erreurs du monde moderne : un coton-tige (le père) qui enlace une femme à barbe en polo. Dans l’avant-garde du cortège luciférien, les « pamans » tirent leur épingle du jeu à la suite des petits garçons changés en petites filles par leur maman frustrée. Dans l’enfer postmoderne, on s’approche du cercle le plus ignoble, réglé par Pierre Bergé, dont Thémis nous a soulagés de sa présence, le nouveau Radamante.

Déferlent maintenant des cloportes et des ectoplasmes en tout genre, reconnaissables rien qu’à l’allure dégonflée, au manque de vitamine et à l’éclat terni de leur peau. C’est une plantation de granivores pâles comme des endives avec leur casquette, leur sarouel, leur bonnet, leur petite laine issue du commerce équitable, leurs bracelets népalais autour des poignets. Une des mesdemoiselles, si c’en est, se promène pieds nus ; un gars, sous vapeur, passe en sandalette et chaussettes oranges. Ils tapent dans les mains, font la danse du feu et répètent allégrement ce slogan crétin « nous sommes tous.t.es des djihadistes verts ». Poignent ici et là d’autres messages ahurissants « phoque la pollution », « arrête de niquer ta mer ». La réunion du féminisme et de l’écologie donne une synthèse incroyable « stop au massacre, mizoogynie planétaire ». Quelques actrices oubliées sur les trottoirs lèvent le poing en l’air et dénoncent la zoophagie. Les antispécistes braient comme des ânesses et hurlent « je suis truie, nous sommes truies ! »

En fin de cortège, c’est l’arrière-garde feignante des antifascistes qui cherchent des fantômes. Ces fils de la bourgeoisie, anticapitalistes, sont dangereux parce qu’ils ne se lavent pas. Ils sont terrifiants parce qu’ils puent le renfermé de leur chambre close. Entre l’haleine pas fraîche de bière et de tabac espagnol, leurs chaussettes macérées comme du nuoc-mâm, la sueur écologique, « les parfums tournent dans l’air du soir, valse mélancolique et langoureux vertige. » Pauvre Baudelaire, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! Un rock antifa qui tache plus que le keravi sort des basses « tous contre les capitalistes, fachos ! Fachos ! Faut qu’on résiste, fascistes ! » Le carnaval des zombis interlopes fait un setting sur la place de la République et devient un piquenique mortuaire. Personne ne leur parle, ils sont en noir, sous une capuche, ils ont des rangers, un pantalon taillis pas lavé depuis dix jours. Les Filles aux crânes rasées, un chech autour du cou, et les garçons en salopette et cheveux roses se roulent des joints, mangent des sandwichs sans gluten au tofu, boivent de la 86. Jonathan est très attiré par Norma mais elle est sapiosexuelle. Comme il n’a même pas l’intelligence de son combat, elle s’intéressera à un sociologue nourri au subside de l’état depuis dix ans pour pondre une thèse du genre « la transphobie d’état : un crime moderne ». La lutte n’est pas finale.

En haut, au sommet du progressisme, les grands pontes du mondialisme apparaissent sous l’allure des vieillards cacochymes partisans du jeunisme le plus démagogique, inclusifs, acquis aux minorités, bienveillants et ouverts. Ces bourgeois de haute volée, qui vivent sur leur île et dans leur tour d’ivoire, qui veulent de l’immigration mais jamais de son côtoiement, adulant Black lives matter et l’écologie global, sont tous de vieux débris dans la dernière ligne droite. Klaus Schwab, notre chouchou, le Kaiser de la nouvelle Cacanie, est atteint de gâtisme sévère ; Henry Kissinger s’entasse comme un pâté de sable ; Joe Biden est démonté chaque soir et remonté le lendemain. Avec Hilary, liftés tous les deux à l’extrême, il partage un sourire dont la nature carnassière le dispute à ses yeux éteints de créatures démoniaques. Georges Soros ressemble de plus en plus à Jabba le Hutt. Quand on voit le fils, Alexander, on se dit qu’il y a une justice : les enfants des ténèbres ne produisent que des fruits pourris. Ces vieillards décadents, ringards ont misé sur un poney pour gagner la course : Greta Thunberg, la nouvelle égérie du mondialisme heureux est un cyborg du froid, l’incarnation d’un luthérianisme austère qui annonce, au nom du bien, la fin des plaisirs, la peur, l’anti jouissance. Le Petite Greta promet pour la génération à venir quelque chose de bien folichon : un enfer humain pour un monde plus vert ; ce qui ravit nos papys dégradants que sont Cohn Bendit, le responsable du jardin d’enfants, Lang sorti comme Frankenstein du laboratoire, Goupille, le sous-cinéaste sans œuvre gavé à l’état culturel, Kouchner et les chambres jaunes ; tous bedonnants, glauques, vulgaires, en fin de course, passés du col Mao aux lunchs des courses hippiques organisées par Festina, des barricades à la préfecture de police. Mai 68, cinquante ans après.

À la suite de ces vieilles hyènes, viennent la gouvernance et la technocratie européennes. Le régime des financiers et des bureaucrates, la gouvernance des fonctionnaires, a le don de créer des physiques formatés sous cellophane. De la présidence de la Commission à la présidence française, du palazzo Chigi jusqu’au Reichtag, on trouve cette même uniformité dans les costumes, le même visage poli, la même rectitude austère et coincée. Ces libéraux, partisans de la flexibilité, sont rigides et sérieux comme des lampadaires, froids comme des glaçons, mous comme des limaces. Aucun charisme, aucune vibration, leur libido dominandi ne s’affiche même plus au jour naissant. De la compotée de conformisme, de la gelée de lâcheté. Quarante ans de libéralisme de centre gauche ont donné les sujets d’empire sans empereur, des fonctionnaires sans lignée, des parlementaires bedonnants. Par démagogie, à défaut de démocratie, ils flattent la jeunesse, adulent des jeunes égarés. Il faut rebooster l’Europe, disent-ils, croient en une Europe réformable, celle de la jeunesse et de la paix. Elle est pitoyable cette nigedouille protestante arborer un sticker du drapeau européen sur son macbook pro et dire son admiration pour Merkel, sa passion pour Michel Barnier.

Nos députés du parti de la majorité présidentielle, parce qu’ils sont les héritiers de la start-up nation, issus de la société civile, donc de la bourgeoisie des métropoles mondialisées, sont des puceaux de la vie, des créatures d’éprouvettes sorties de laboratoire. En bas, il y a le sarouel, en haut le costume thermocollé trop étroit Paul Smith, la chemise blanche ouverte sans cravate, les sourires faux étincelants, les pensées conformes à leur complexion désincarnée. Ils viennent de Science po, ectoplasmes de l’intelligence, et ne comprennent rien, ne sentent rien mais ils vomissent le peuple du pays réel, ne le croise même plus et passe leur temps à lui faire la leçon sur l’écologie et sur ce qui est républicain ou non.

Le bobo est le virus de ce long hiver. Il est dans son monde comme le têtard dans le marécage, partout, nombreux, trop nombreux. C’est aussi un résistant. Aux Allemands ? Nein. A la dictature sanitaire ? Comment ! Il résiste à l’extrême droite et à l’intolérance. Il est Charlie, se donne le droit de blasphémer, et, bien sûr, revendique son athéisme ; les religions sont nocives. Parce que les barbares n’auront pas sa haine, on le voit, Jean Moulin de l’apéro, prendre des coups en terrasse, un spritz en été, une bière dans un pub en hiver. Les bobos fréquentent les bars concepts. Ils boivent des pintes hors de prix dans des bars industriels qui reproduisent une fiction de café ouvrier. Là est le paradoxe du bobo : apprécier le vulgaire quand il est chic, vomir le vulgaire véritable quand il est dans la France périphérique. Ils détestent ceux qui roulent au diesel et fument des clopes mais achètent aux puces de Saint-Ouen un cendrier Ricard pour son côté vintage. Ce sont des « aristobeaufs », issus de la province aisée, avides de réussir dans la vie parisienne. Ils ponctuent chaque phrase d’anglicismes périmés, « it’s up to you », « by the way », « azap ». Parmi les clients, deux ramifications s’imposent : Jean Eude, sosie de Yann Barthès, en veston Sandro, et Maxime, jeans serré, tee shirt blanc qui laisse entrevoir un tatouage maori. Le Maté incas issu du commerce équitable d’un côté, la IPA tiède de l’autre. Madame, la copine de l’un des deux, porte élégamment son perfecto kooples. Ils communiquent tous par références musicales, par expressions tirées de séries. La conversation ne dépasse pas le niveau des limbes cathodiques ; Marivaux et Crébillon, à notre époque, auraient commis le suicide.

Un couple bobo sait être rebelle et punk quand il le faut, de 18h00 à 23H00. Avant il travaille dans une boîte d’écolo conseil ou dans une start-up qui fait de l’humanitaire : les 16p++ bien évangélisés gagnent du fric sur le dos de l’écologie. Ces indépendants dépendants, selon le bon mot de Marcel Gauchet, ont des vies planplan au fond d’appartement minuscule des arrondissements vivables. Ils consomment en réseau, ont leurs propres adresses, vont là où c’est tendance. Ils vont se faire un petit ciné, le soir, se font livrer par Moussa, chauffeur uber payé en lance-pierre, des sushis, et regardent netflix. Ils peuvent faire, pour le week-end, une petite expo d’art contemporain. Ils y verront probablement ce peintre norvégien qui, après s’être injecté de la peinture par l’anus, la recrache sur une toile.

JB, Jean Baptiste, l’ami des bobos, adore le rap. Il porte une casquette de Yankee et des lunettes ray ban à la Jean Paul Sartre. Arthur son pote, quant à lui, est un babtou qui fait dans la music électro. Chaque soir, ils descendent les pistes de neige. Joséphine, petite professeur de français célibataire va initier ses élèves au rap car c’est une nouvelle forme d’expression littéraire. Elle aime ses élèves comme ses chats, s’habille comme un sac, se débride quand elle fréquente les pubs, enchaîne trente-six amants, pur produit de la morale protestante qui associe progrès des mœurs et consumérisme. Elle fait ce qu’elle veut de son corps, féministe accomplie, c’est pour cela qu’elle reste seule, termine ses journées au Lexomil, reste seule, hystérique et casse bonbon.

Le bobo fait une croisade quand il fait ses courses. Il est un citoyen actif, conscient et responsable. Chaque geste est fait pour la planète. Il achète des carottes consciencieusement comme un catholique irait à confesse. Il faut le voir revenir du marché avec un rutabaga et un poireau dans le sac. Ils sont bios, bons et contents. En rentrant, ils iront à la librairie chercher les mémoires d’Obama, ce grand homme. Ils y croiseront quelques boomers, Jean Pierre et Sylviane, qui se refusent de penser, expliquent qu’il faut se faire vacciner, comme cela est dit à la télé, et qu’il faut confiner sévèrement pendant six mois. Ces maniaques du gel hydroalcoolique, qui ne manquent jamais une émission de François Busnel sur le 5 et le marché de la poésie à Rocamadour en été, et celui de Saint-Sulpice au printemps, ont des vies minables de petits retraités gavés au journal de 20h00, et décrètent que tout le monde doit avoir la leur.

Peut-être même que j’ai trouvé l’allégorie suprême de ce progressisme du haut : un type en costume bleu, en cravate cette fois, sûrement un employé de banque, sac à dos, le masque comme il faut, sur une trottinette électrique. Le monde moderne. Il prend l’information sur tweeter, capte les homélies des spots publicitaires comme les plantes vertes la lumière. On le retrouve en train de faire ses courses, devant le rayon houmous du Franprix, l’air hagard, le regard apeuré au moindre geste barrière qui n’est pas respecté. Les métropoles mondialisées, villes grandes solitudes comme chantait Michel Sardou, vont créer des espèces d’humanoïdes totalement inédits, physiquement réduits, courbés, demi-gros, et faux maigres et sans consistance. Des travailleurs fantoches et des consommateurs fantômes.

Nicolas Kinosky

© LA NEF, le 18 Mai 2021, exclusivité internet