Curé à durée indéterminée ?

L’abbé François Dedieu, curé de la paroisse Saint-Urbain-Sainte-Marie de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) et référent pour la France des Cellules paroissiales d’évangélisation, vient de publier un essai tonique à contre-courant : Curé à durée indéterminée (1). Entretien.

La Nef – Pourriez-vous nous faire un bref historique du statut de curé et de son lien avec la paroisse : quand cette charge a-t-elle vu le jour et comment a-t-elle évolué au fil des siècles ?
Abbé François Dedieu – Jésus ne nous a pas décrit la structure que l’Église devrait mettre en place pour être efficace quant à sa mission. Jusqu’au VIe siècle, les mots diocèse et paroisse ont souvent le même sens. Les paroisses et la fonction de « curé » sont nées progressivement entre le IVe et le IXe siècle, avec une définition plus claire au quatrième concile du Latran (1215). La figure du curé s’est dessinée à partir de celle de l’évêque, par analogie : il est pour sa paroisse ce que l’évêque est pour son diocèse. Il en est le « pasteur propre », selon l’expression du concile Vatican II.

Les curés étaient jadis inamovibles : à quand cela remonte-t-il et pourquoi ? Et quand et pourquoi a-t-on changé cet aspect ?
À la tête de chaque communauté, saint Paul place un ancien. Il y a déjà une première marque de stabilité. Avec le deuxième concile de Vaison (529), la figure d’un prêtre pasteur de sa paroisse émerge, avec cette même logique.
Le concile Vatican II a supprimé la distinction entre curés amovibles et curés inamovibles. Il a demandé la stabilité pour tous les curés, tout en permettant aux évêques de les transférer plus facilement, de façon à éviter des situations de blocage et à veiller au bien des âmes. Ce principe de la stabilité des curés a été souligné tant dans le Directoire pour le ministère et la vie des évêques que dans le Code de Droit canonique. Face à l’habitude prise au motif d’une exception possible de nommer les curés pour un temps déterminé, le principe de stabilité a été rappelé en 2020 par la Congrégation pour le Clergé dans une instruction sur La conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Église. Il est intéressant de noter que l’évangélisation en est le but.

Dans un monde où les gens bougent beaucoup, et déménagent donc souvent, pourquoi est-il important qu’un curé soit stable, si les familles qu’il suit ne le sont pas elles-mêmes ?
Quand tout bouge, il est nécessaire d’avoir des repères stables ! Il importe avant tout de comprendre que la paroisse est une communauté. La taille de certaines de nos paroisses, tant en nombre dans de grandes villes qu’en superficie dans le monde rural, ne nous y aide probablement pas. Elle est pourtant une famille dont le curé est le père. Certains sont amenés à déménager, mais beaucoup sont stables. Et ceux qui déménagent sont souvent heureux de trouver un ancrage dans le lieu où ils arrivent.

Une certaine mobilité des curés n’est-elle pas nécessaire, ne serait-ce que pour pouvoir les déplacer lorsque cela se passe mal dans une paroisse, et cette mobilité ne peut-elle être source de renouveau ?
Dans sa sagesse, l’Église prévoit que cela peut mal se passer. Un curé peut être transféré, révoqué ou peut démissionner. Notons que la stabilité souhaitée se distingue de l’inamovibilité. C’est le bien des âmes qu’il faut rechercher, tant des pratiquants que des habitants, ou encore du curé. Un changement peut être source de renouveau comme il peut déstabiliser une communauté. Des études – essentiellement dans le monde évangélique qui se préoccupe davantage de la croissance – montrent qu’une communauté qui vit un changement de pasteur tous les six ans ne connaît à terme aucune croissance numérique. Aujourd’hui, les curés sont déplacés alors que tout va bien, tant pour eux que pour la communauté qui croît !

Quels sont finalement les avantages de la stabilité de curés nommés pour une durée indéterminée, et quelles conséquences positives cela génère-t-il pour la paroisse, notamment pour ses dimensions eucharistique et missionnaire sur lesquelles vous insistez ?
Sans le couperet d’une échéance, le curé apparaît véritablement comme donné à sa paroisse, comme le bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Il peut prendre le temps de connaître chacun, afin d’identifier les charismes et d’aider ses paroissiens à les déployer. C’est essentiellement dans la perspective missionnaire que la durée importe, car certains projets mettent du temps à se construire et méritent d’être préservés d’un changement trop fréquent de vision pastorale.

Quelle est la position de votre évêque sur cette stabilité, et des évêques en général ? Et pensez-vous que vos confrères prêtres aspirent à cette stabilité plutôt qu’à des changements réguliers plus ou moins programmés ?
Je laisse mon évêque répondre à cette question, n’étant pas son porte-parole ! Notez cependant qu’il est suffisamment libre pour avoir préfacé l’ouvrage… Quant aux autres évêques, j’imagine que beaucoup sont dans l’attitude qui était la mienne autrefois, et considèrent ces déplacements réguliers comme naturels car « on a toujours fait comme ça »… même pour les évêques ! Je ne peux que les encourager à lire le livre : il ne s’agit pas de défendre une thèse mais de comprendre pourquoi l’Église demande par principe la stabilité des curés en redécouvrant ce que sont la paroisse et le curé.
J’ai reçu de nombreux témoignages de prêtres. Beaucoup n’osent pas en parler à leur évêque, de peur de donner l’impression de revendiquer quelque chose pour eux-mêmes. Ce n’est pas sans me poser question quant à la façon dont sont vécues l’obéissance et l’autorité dans l’Église.

Quand on observe la baisse du nombre de pratiquants et du nombre de prêtres qui fait qu’un curé d’une zone rurale peut se retrouver avec 50 clochers à gérer, cette question de la stabilité du curé n’est-elle pas quelque peu seconde au regard du grand défi de la survie de la paroisse demain et de sa mission d’évangélisation ?
Comment un curé peut-il faire le tour de sa paroisse en six ans ? Cette question de la stabilité est certainement au cœur de la vitalité de nos communautés. Bien sûr, nos paroisses prendront la couleur de leur curé et réciproquement. Ce n’est pas un problème tant que tous sont en communion avec l’évêque. Le territoire de la paroisse définit pour le curé son territoire de mission, vers lequel il est envoyé avec ses paroissiens nourris de l’Eucharistie, en s’y donnant sans mesure.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

(1) Curé à durée indéterminée. Des pasteurs stables pour des paroisses qui bougent, Préface de Mgr Matthieu Rougé, Artège, 2022, 240 pages, 17,90 €.

© LA NEF n° 349 Juillet-Août 2022, mis en ligne le 17 février 2023