Les Ostensions limousines

L’Unesco a inscrit sur sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité cette tradition populaire qui va mobiliser le diocèse de Limoges du 19 mars au 12 novembre. À l’automne 994, une peste frappa Limoges. Le 12 novembre, les Limousins se tournent vers Dieu, qu’ils invoquent par l’intermédiaire de saint Martial. Les reliques du saint furent portées en procession sur le Gaudi, mont de la joie, et des milliers de malades furent guéris. Ce furent les premières ostensions. Elles sont septennales depuis 1512 et mobilisent la population des communes concernées par des préparatifs durant de nombreux mois. Mgr Pierre-Antoine Bozo, évêque de Limoges, entend inscrire ces ostensions dans une « perspective de conversion et de renouvellement missionnaire ».

D’où viennent ces manifestations, particulières au Limousin ?

En l’an 994, une terrible épidémie, appelée « mal des ardents » ou « feu de Saint-Antoine », fait plusieurs milliers de morts dans cette région de l’Aquitaine : l’ergot du seigle, un alcaloïde qui se retrouve dans le pain, entraine de violentes brûlures (d’où le mot ardent), et d’autres graves dérangements pouvant aller jusqu’à la mort : convulsions, hallucinations, maux de tête, nausées, vomissements, nécrose des membres.

Avec le duc Guillaume IV d’Aquitaine, Hilduin, évêque de Limoges, et les évêques de toute l’Aquitaine portent en procession solennelle les reliques des saints locaux, notamment le corps de Saint Martial (l’apôtre de la Gaule, III° s), enlevé spécialement de son tombeau. De très nombreuses personnes sont guéries, et « la peste de feu » cesse.

C’est en remerciement de ce Miracle des Ardents, que les reliques des saints de tout le Limousin sont portées en procession, d’abord ponctuellement lors de la venue à Limoges d’un personnage important (roi, pape) ou en cas de grandes catastrophes (guerre, épidémie). En 1518, s’établit à Limoges l’usage de montrer, tous les sept ans, les reliques des saints limousins ; et en 1638, le pape Paul V confirme cette habitude. Les ostensions (du latin ostendere, montrer) ne seront interrompues qu’en 1547 (à cause de la peste) et durant la Révolution ; depuis 1806, cette périodicité septennale se maintient. Les dernières ostensions ayant eu lieu en 2016, les prochaines auront donc lieu en 2023.

Le millénaire du Miracle des Ardents a été fêté en 1994 à Limoges, sous la présidence du nonce apostolique, Mgr Lorenzo Antonetti.

Les confréries limousines et les lieux d’ostensions

Des confréries se sont créées au cours du temps, pour ancrer localement la vénération permanente des reliques des saints, mais aussi pour porter les châsses ou simples reliquaires dans les rues lors des ostensions : la grande châsse de St Martial (1,30 m de long, plus de 450 kilos) nécessite 10 porteurs. La plus ancienne confrérie a été fondée en 1153 à Limoges et la plus récente en 2016 à Guéret. Depuis 1975, la plupart de ces confréries sont regroupées au sein de la Fédération des Confréries Limousines. Il existe 7 confréries à Limoges, dont La Grande Confrérie de Saint Martial, fondée en 1356 ; au Dorat, la Confrérie  de Saint Israël et de Saint Théobald a été fondée en 1495. Mais certains lieux, dits « ostensionnaires » (qui accueillent des délégations venant d’ailleurs), ont seulement un comité ostensionnaire.
A ce jour, il existe 21 lieux  « ostensionnaires » : 15 en Haute-Vienne, deux en Creuse, et 4 en Poitou-Charente (paroisses autrefois rattachées au diocèse de Limoges).

Le contexte des Ostensions

Elles se déroulent sur plusieurs mois, et attirent plusieurs dizaines de milliers de visiteurs/pèlerins, en plus des très nombreux participants, chaque paroisse « ostensionnaire » ayant sa propre organisation et son calendrier. De hautes personnalités ecclésiastiques  extérieures au diocèse de Limoges (nonce apostolique, cardinal, Père Abbé, autres évêques) président certaines cérémonies. Les « ouvertures solennelles » commencent autour de Pâques ; et les cérémonies de clôture s’étalent de mai à novembre, ce qui permet à l’évêque de Limoges d’en coprésider plusieurs. Entre les cérémonies d’ouverture et de clôture, les reliquaires sont accessibles à la vénération des fidèles.
Les lieux d’accueil sont abondamment pavoisés (arcades, drapeaux, oriflammes, tentures, branchages, guirlandes, fleurs …), avec parfois des reconstitutions des fortifications du Moyen Age (comme au Dorat).
Divers évènements et animations sont associés à cette longue période : reconnaissance anatomique des reliques, présentation du drapeau ostensionnaire aux habitants, accueil des pèlerins, reconstitutions historiques, conférences, concerts, veillées de prière…
Après les messes solennelles d’ouverture et clôture, les chefs des saints locaux, conservés dans des coupes précieuses, sont présentés à la vénération des fidèles. Les châsses (refermées), les reliquaires et les statues sont ensuite portés en lente procession dans les rues par les personnes choisies localement,  en grande tenue (écharpe…), accompagnés parfois de gardes d’honneur armées de lances, de hallebardes ou de fusils (non chargés). Des pénitents avec tunique et chapeau conique sont parfois présents. Et Jésus portant sa croix au milieu des centurions est souvent représenté.
Plusieurs communes « ostensionnaires » accueillent des délégations venant d’ailleurs, qui portent les reliques de leurs propres saints et se joignent au cortège principal. Au Dorat, trente cinq communes voisines, maire et curé en tête, ont processionné en 2016, avec leurs propres reliquaires, statues et bannières ; de nombreux habitants, costumés en saints locaux, figurent dans les cortèges, qui comprennent aussi d’importants personnages, parfois même représentés par de jeunes enfants ; on peut reconnaître ainsi plusieurs fois : St Louis, Ste Jeanne d’Arc, Ste Thérèse de Lisieux, Mère Teresa, Soeur Emmanuelle, le Padre Pio, St Jean-Paul II, St Martin, et bien sûr St Martial ; mais aussi St Joseph et St Jean-Baptiste. Le Dorat se distingue en outre par une tradition « militaire » : sapeurs et grenadiers-voltigeurs de l’époque impériale, mousquetaires à cheval ; ces derniers  accueillent les délégations aux portes de la ville et les conduisent à l’entrée de la collégiale, dans laquelle prennent place plusieurs milliers de personnes. Des confréries européennes (Belgique, Allemagne, Autriche, Pologne, Italie, Espagne, Portugal, Suisse…) participent également à certaines ostensions, comme à St-Léonard de Noblat.

Année d’ostensions, année de bénédictions, disait-on jadis !

Au total, ce sont des centaines de communes qui participent aux Ostensions. Elles s’y préparent longuement pendant les mois, voire les années précédentes, notamment pour préparer les costumes, refaire les décors, confectionner les drapeaux, restaurer les chapiteaux, préparer les tribunes, entrainer les chevaux… C’est l’occasion de rencontres et d’entre-aide entre les anciens et les plus jeunes.

Entre profane et sacré, des rassemblements en expansion

Manifestations de la foi populaire séculaire et des vieilles traditions, les Ostensions limousines, pittoresques et brillantes, ne sont pas une vague reconstitution historique à l’usage des touristes. Elles associent étroitement, dans la ferveur et l’allégresse générale : le pouvoir civil, qui fait rayonner l’identité de chaque commune et contribue de mieux en mieux à l’entretien des églises ; et le Clergé qui s’investit de plus en plus (Mgr Bozo, actuel évêque de Limoges, a proposé à toutes les paroisses des préparations spirituelles pour 2023). Les Ostensions attirent de plus en plus de monde (au Dorat, des écrans extérieurs permettent de suivre les cérémonies). Et elles s’étendent à de nouvelles participations : en 2016, Etagnac et Guéret sont devenus communes « ostensionnaires » ; et 13 pays d’Europe participeront aux cérémonies de St-Léonard de Noblat en 2023, au lieu de  9 en 2016. Quant aux jeunes générations, elles participent de plus en plus à cette « communion des saints », pour marcher sur les traces de leurs ainés.
Le peuple de Dieu, croyant ou seulement tolérant mais toujours respectueux, est rassemblé dans cette démarche et peut dire : « C’est à cette place que nos pères ont prié, c’est à cette place que nous prierons à notre tour ».

Depuis décembre 2013, les Ostensions Limousines sont inscrites par l’UNESCO au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité
L’association correspondante a pour objectifs la connaissance, la sauvegarde, la valorisation, le rayonnement et la transmission des ostensions septennales limousines.

Les cérémonies de clôture auront lieu notamment :
– le 21 mai 2023 à St-Léonard de Noblat, sous la présidence de Mgr Meier (Allemagne) ;
– le 4 juin au Dorat, sous la présidence du cardinal Sarah ;
– le 2 juillet à Limoges, sous la présidence du cardinal Barbarin.

Pierre de Riedmatten*

*Auteur d’un livre sur Le Saint Suaire (2020) et d’un livre sur la Confrérie des saints du Dorat (2021)

© LA NEF mis en ligne le 14 mars 2023, exclusivité internet.