Il est une dimension peu soulignée dans la vie de la Vierge Marie, qui est celle de son humilité avant l’Annonciation. On souligne en effet classiquement l’humilité de sa réponse à l’ange lui annonçant qu’elle allait être mère du Sauveur. Et on a bien sûr raison. Mais on n’évoque pas ce qui précède : sa vie depuis sa naissance jusqu’à cette annonce. Or dans la perspective de l’lmmaculée conception, toute sa vie a été sans péché, avant comme après. Mais si après l’Annonciation elle pouvait avoir été éclairée par cette annonce extraordinaire, ainsi que par l’expérience de la vie avec son fils Jésus, ce n’est pas le cas avant, et le récit même de l’Annonciation nous confirme sa surprise.
Nous avons donc auparavant une personne, enfant et jeune adulte, qui ne pèche pas mais qui n’a apparemment reçu aucun message éclairant cette situation exceptionnelle. Or Marie ne pouvait pas ne pas avoir constaté, au moins par un simple étonnement, qu’elle se distinguait profondément de toutes les personnes qu’elle pouvait connaître et rencontrer, même saintes comme ses parents Anne et Joachim. Lesquels d’ailleurs ne pouvaient pas non plus ne pas faire la même observation. Pouvait-elle ne pas voir la spécificité de cette situation, tant en elle-même, que par rapport à ses parents et tous ceux qu’elle côtoyait ?
Par ailleurs, chacun de nous est, si on peut dire, équipé d’un ressort de rappel contre toute forme de fierté, qui est précisément notre péché : chacun de nous commet des actes mauvais qu’il ne peut pas ne pas voir et qui ne sont pas cohérents avec l’image que nous aimerions avoir de nous. Mais à côté de leur tristesse, ils ont un côté positif, qui est précisément de nous rappeler ce que nous sommes, nos limites et nos faiblesses – ce qui idéalement nous ramène à une attitude d’humilité et de demande par rapport à Dieu.
C’est ici qu’apparaît la dimension la plus importante dans cette absence de péché chez Marie : aucune forme d’orgueil ou de vanité. Car si on constate qu’on est en tout point exemplaire, comme ne pas en déduire qu’on est exceptionnel ? Et donc supérieur à toute autre personne ? Et concevoir une forme de fierté, à la mesure de cette exceptionnalité même, confirmée par l’observation quotidienne ? Ce qui du point de vue de l’idée d’Immaculée conception, ne serait pas sans fondement. Sauf que bien sûr ce qui en fait le sens profond, c’est que c’est un don entièrement gratuit de Dieu.
Apparaît alors ce qui est sans doute le plus grand mérite de Marie. À côté du fait que, dans les milliers de fois où d’un point de vue humain elle pouvait pécher, elle ne l’a pas fait, le trait majeur est qu’elle ne s’en est en rien attribué le mérite, et y a reconnu le don de Dieu. Sinon bien sûr elle serait entrée dans la zone d’une forme ou d’une autre de fierté de la créature, qui s’attribue ses richesses et ses vertus comme si elle en était à l’origine.
L’Immaculée conception est d’abord une ouverture à la grâce telle que le péché, théoriquement possible, n’est jamais choisi dans les faits. Adam et Ève aussi n’avaient pas le péché originel, par construction. Mais ils ont péché ; ils ont voulu détourner vers eux les dons de la création. Marie ne l’a pas fait ; et comme on l’a dit, c’était déjà le cas avant même qu’elle ait eu la moindre information sur le rôle attendu d’elle. C’était donc chez elle un acte totalement gratuit. Par-là, c’est un signe extraordinaire, et humainement inexplicable. Mais un acte qui en revanche éclaire sa réponse à l’ange : lorsque celui-ci lui annonce un rôle dépassant infiniment la condition humaine, elle l’accepte humblement en s’en remettant à la volonté divine : qu’il me soit fait selon votre parole.
Il y a donc là un message extraordinaire sur la nature humaine : l’une d’entre nous a pu librement, par son ouverture à cette grâce dont elle était comblée, ne jamais pécher alors qu’elle menait une vie humaine ordinaire, et le faire par une ouverture totale à Dieu et à sa grâce. De ce fait, elle nous envoie un message puissant, alors même que nous sommes dans une situation différente ; car elle nous éclaire sur ce que peut être un être humain et nous montre dans sa plénitude la sainteté réalisée.
Méditons donc la vie de Marie, non seulement cette partie que nous connaissons tous, mais aussi en amont, celle de la jeune Marie, pure et humble, avant même qu’elle ait connu le sens de ce que signifiait cette situation exceptionnelle dans le dessein de Dieu, qui lui en faisait la grâce.
Pierre de Lauzun
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